Trois ans après sa dernière victoire (Bâle 2019) sur le circuit ATP, presque cinq ans après sa vingtième et ultime finale victorieuse en Grand Chelem (Australie, janvier 2018) et deux mois après l’annonce de sa retraite de la compétition, Roger Federer n’a pas de souci financier à se faire: ses sponsors, comme ses admirateurs, ne l’oublient pas et ne l’oublieront sans doute jamais.
La dernière grande question, il y a deux mois, au sujet du champion s’élevait d’ailleurs à 1000 millions de francs: le Bâlois était-il le quatrième sportif de l’histoire à être devenu milliardaire?
La plupart des grands sportifs doivent pourtant anticiper la chute de leurs revenus une fois que l’âge ou une blessure les rattrape. Federer est une des rares exceptions à cette logique. Il échappe pour toujours à l’obligation d’aller cachetonner à la télévision comme consultant et il est dispensé à vie d’ouvrir un bar Chez Rodgeur. Ses gains sont depuis longtemps dissociés de ses performances sportives et même de sa simple présence sur un court de tennis. En 2020, première année covid, il aurait gagné 106 millions de dollars, selon le classement du magazine «Forbes». Il devenait cette année-là le sportif le mieux rémunéré, devançant les footballeurs, basketteurs et golfeurs. Une première historique pour le tennis.
Peut-être Federer n’a-t-il même jamais autant gagné d’argent depuis que son palmarès avait cessé de s’étoffer. Le Suisse est bel et bien devenu un demi-dieu pour la publicité, une marque planétaire à lui tout seul, solide et rassurante, avec cette indispensable et inexplicable pointe de mystère supplémentaire qui fait défaut à ses meilleurs ennemis Nadal et Djokovic. Federer fait désormais partie des immortels du marketing du XXIe siècle. Seul un énorme faux pas – très peu probable vu son intelligence et son style de vie – pourrait le faire chuter de cet Olympe virtuel.
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Le contrat du siècle pour Roger Federer
S’il fallait isoler un seul épisode dans la vie du Roger Federer homme d’affaires, ce serait celui de son changement d’équipementier attitré, son passage de Nike à Uniqlo en 2018. Cet épisode est très bien raconté dans la meilleure biographie parue à ce jour sur le champion bâlois, celle de Christopher Clarey (Ed. Flammarion, 2022). Car rappelons que la fortune d’un grand sportif, aujourd’hui, dépend plus de ses sponsors que de ses gains. Les primes en tournoi de Federer sont estimées à 130 millions de dollars «seulement».
Son long partenariat avec Nike date de 1997. Federer n’est encore qu’un junior de 16 ans quand son agent de l’époque, Régis Brunet, signe avec la grande marque américaine un contrat à 500 000 dollars sur cinq ans, un montant énorme à l’époque pour un junior ayant encore tout à prouver, mais une somme dérisoire au regard des performances de Federer dès les années 2000.
Les rapports entre Nike et le clan Federer seront pourtant toujours compliqués. La marque toute-puissante considère le tennis comme un «petit» sport pour elle, puisqu’il ne rapporte que 350 millions de dollars sur un chiffre d’affaires annuel de 50 milliards. Mais Federer est devenu No 1 mondial et accumule les trophées. En 2008, les deux parties parviennent à un accord de renouvellement de leur contrat sur dix ans. Mais, en 2018, la superstar n’arrive pas à s’entendre sur le montant d’une prolongation. Alors il se laisse séduire par la marque de «fast fashion» japonaise Uniqlo, qui venait de terminer un partenariat de cinq ans avec Djokovic. Federer et son entourage n’ont pas dû hésiter longtemps: 30 millions de dollars par année sur dix ans. Autrement dit: 300 millions de dollars d’ici à 2028. Même si certains agents sportifs estiment que cette somme garantie est en réalité plus basse, l’ordre de grandeur est correct et donc extraordinaire pour un tennisman de... 37 ans à l’époque.
L’autre grand dossier financier de la maison Federer est plus artisanal. Comme Uniqlo laissait Federer entièrement libre de choisir «sa» marque de baskets, Federer a investi dans On, la marque zurichoise créée en 2010. Cette fois, les Federer jouent la carte boursière en prenant une participation de 3% à l’entrée en bourse d’On Holding AG. Et il y a une année, ces 3% valaient 330 millions de dollars. Mais, en cet automne 2022, l’action a perdu deux tiers de sa valeur. L’actionnariat et ses incertitudes bien moins glorieuses que celles du sport ne respectent décidément personne, même pas le demi-dieu Rodgeur.
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«Intéresse-toi à tout!»
Quand on s’approche, comme Roger Federer, de la porte mythique du milliard de francs, de dollars ou d’euros, on peut imaginer que tout devient compliqué, les amitiés, les relations en général, la vie quotidienne. Les exemples de nouveaux riches, sportifs notamment, qui sont sortis de route faute d’avoir su aborder sereinement ce carrefour délicat sont nombreux. Federer est un modèle de résilience par rapport à cette fortune potentiellement empoisonnée.
«Je crois vraiment qu’il (Federer, ndlr) aurait pu se contenter d’être peintre en bâtiment à Bâle. Je pense que l’argent peut créer beaucoup de problèmes. Tout le monde a envie d’en avoir plus, mais on n’est pas tous capables de le gérer. Si vous voulez mon avis, je trouve que Roger s’en sort très bien», expliquait Severin Lüthi à Christopher Clarey, journaliste au «New York Times».
Au fil de ses 20 (!) interviews de Federer, le journaliste américain a pu recomposer la manière avec laquelle le champion gère sa vie hors norme de manière à la rendre la plus normale possible. Parmi ces recettes, celle-ci nous semble particulièrement intéressante: «Mon credo est toujours: «Intéresse-toi, c’est tout; intéresse-toi à tout ce qui a trait à toi.» Ça peut être tes finances, ton agence, tes relations avec ton agent. Ça pourrait être tes sponsors, tes impôts. Quoi qu’il en soit, ne laisse pas d’autres personnes prendre ces décisions à ta place. Au bout du compte, s’il y a un problème, c’est toi qui es en cause. Voilà le meilleur conseil que je puisse donner.»
Même s’il donne parfois l’impression, sur certaines photos de cocktails ou obligations contractuelles, de se demander lui-même ce qu’il fait là, Federer a appris à devenir pro aussi sur ce genre de terrain étriqué, où le «small talk» est de mise, où l’ambiance est aux antipodes des vannes et engueulades des vestiaires de Wimbledon ou de Roland-Garros. L’ado à fleur de peau, quasi caractériel, aux gestes empruntés, à la timidité maladive a su se transformer en une icône marmoréenne compatible avec la jet-set.
Le quadragénaire apparaît désormais comme un businessman impavide et bienveillant à la fois, élégant comme le furent ses revers surtout et ses coups droits aussi, sachant, avec l’aide de ses proches, régler tous les curseurs sur «medium». Il conserve ainsi l’admiration de ses millions de fans, qui sont autant de consommateurs potentiels de vêtements, de voitures, de téléphonie mobile ou de montres. Quand la crise covid plonge des familles dans la précarité même en Suisse, le couple Mirka et Roger annonce qu’il va verser 1 million de francs pour ceux qui ont besoin d’aide, tout en espérant inspirer d’autres nantis à faire pareil. Ni trop, ni trop peu, en somme, comme une recette de longévité.
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