Avant, Igor Iakovets n’aimait pas son président. «En fait, glisse cet Ukrainien trentenaire qui a fui Kiev pour le nord-ouest du pays avec son épouse, je le trouvais inapte. Trop faible face à la corruption, prêt à discuter avec Poutine… Et là, je me retrouve sincèrement surpris par sa réaction. Pour l’heure, nous devons tous mettre nos critiques sur pause.» Lui qui travaille dans la technologie de l’information se surprend même à saluer, avec ses amis, «ce clown qui tient tête à Poutine», référence au passé de trublion télévisé du président. Avant, c’était avant le jeudi 24 février 2022 qui a vu la capitale réveillée par les premières attaques russes. Et a révélé Volodymyr Zelensky en chef de guerre galvanisant ses troupes.
En quelques heures, l’homme âgé de 44 ans est devenu l’incarnation d’un peuple refusant de plier sous les assauts militaires de Vladimir Poutine. Le soir même, dans une première allocution télévisée, il apparaît vêtu d’un simple sweat-shirt vert militaire pour annoncer la mobilisation générale. Souligne que «l’ennemi m’a identifié comme la cible numéro 1, ma famille comme cible numéro 2». Son épouse, Olena Zelenska, et leurs deux enfants, une fille de 17 ans et un garçon de 9, ont été mis à l’abri.
Sur Twitter, qu’il utilisait déjà de manière frénétique, il multiplie les messages en ukrainien comme en anglais pour expliquer avec quel dirigeant il vient de s’entretenir et exhorter les Ukrainiens à ne pas se rendre. Le samedi 26 février (soit 2 jours après la déclaration de guerre de Poutine), dans une vidéo également diffusée sur son compte Telegram, application très prisée de ses concitoyens, il se montre dans les rues de la capitale sans gilet pare-balles, afin de prouver qu’il n’est pas en fuite, contrairement aux rumeurs. «Ne croyez pas aux «fakes». Je suis ici.»
Ce conflit aux portes de l’Europe, aux inquiétants relents de troisième guerre mondiale, est suivi en direct sur les réseaux, alimentés par une multitude d’images, de vidéos et de témoignages. Le calme et la maîtrise de l’homme d’Etat deviennent une source de mèmes rediffusés en masse. Les canaux officiels de communication ukrainiens s’en servent à merveille. C’est l’ambassade ukrainienne au Royaume-Uni qui révèle sur Twitter que les Etats-Unis ont proposé à Volodymyr Zelensky de l’exfiltrer. «Le combat est ici. J’ai besoin de munitions, pas d’un transport», répond-il à Joe Biden. «Les Ukrainiens sont fiers de leur président», tweete l’ambassade.
L’homme a toujours admirablement maîtrisé sa communication. Fondée en 2003, sa maison de production, Kvartal 95 Studio, reste sa garde rapprochée: ses dirigeants ont rejoint le nouveau gouvernement après son élection en avril 2019, lors de laquelle il a récolté plus de 73% des suffrages face au sortant, l’oligarque Petro Poroshenko. Dans la foulée, il dissout le parlement. Déjà pendant sa campagne, dont la couleur est le vert – la fusion du bleu et du jaune, les couleurs nationales du pays –, le quadragénaire bouscule les vieux codes en vigueur. Dans des vidéos léchées, de sa voix chaude, il appelle son opposant à un débat dans le stade de Kiev.
Il est jeune, dynamique, et surtout très connu: acteur comique, il a été la star de la série «Serviteur du peuple», une production maison diffusée entre 2015 et 2019 et regardée par quelque 20 millions de téléspectateurs dans le pays. La vie d’un professeur d’histoire qui devient… le président de l’Ukraine. Dès 2018, il se lance en politique en surfant sur sa notoriété. Le nom de son parti? Serviteur du peuple. Son programme? Mettre fin à la corruption des élites.
Ce mélange des genres, la fiction devenue réalité, fait tousser. A l’international, il se fait surtout connaître lorsque, à l’été 2019, le président américain Donald Trump l’appelle et insiste pour qu’une enquête soit lancée sur le fils de Joe Biden, qui a des affaires en Ukraine. Le président ukrainien se montre à l’écoute et lui confie avec délectation avoir séjourné à la Trump Tower… Les commentateurs occidentaux ont ironisé sur celui qui a «enfin décroché une invitation à la Maison-Blanche», en août 2021.
Sur ses terres, ses aficionados déchantent. La lutte contre la corruption, la grande promesse de son programme, s’avère plus complexe qu’annoncé. Il ne serait que la marionnette de l’oligarque Ihor Kolomoïsky – juif comme lui – ou, pire, de Vladimir Poutine, auquel ce russophone serait prêt à donner les clés de l’Ukraine. Le 21 février 2022, alors que les troupes russes se pressent aux frontières, la rédactrice en chef du «Kyiv Independent» publie une tribune cinglante dans le «New York Times» sous le titre «Le comique-devenu-président est complètement dépassé».
Après des débuts prometteurs, notamment le lancement d’un énorme programme de construction de routes, force est de reconnaître que «la réalité a démasqué un président tristement médiocre», assène-t-elle. «Le problème, c’est la tendance qu’a M. Zelensky à tout traiter comme un show. Les apparences sont pour lui plus importantes que les conséquences. Et les objectifs stratégiques sont sacrifiés pour des bénéfices à court terme.» Le président se montrerait également hypersensible à toute critique. Résultat: une popularité en chute libre, avec des sondages favorables à 25% des suffrages, bien loin du second tour de 2019.
Mais ça, c’était avant. Selon le «Washington Post», alors que, le jeudi 24 février 2022, les dirigeants européens débattaient des sanctions à imposer à la Russie, le plaidoyer vibrant, par visioconférence, du président ukrainien aurait fait monter les larmes aux yeux de politiques parmi les plus aguerris. En quelques minutes, écrit le quotidien américain, Volodymyr Zelensky appelle ses interlocuteurs à réévaluer les ambitions européennes de son pays et à lui venir en aide. Avant de conclure que c’était peut-être la dernière fois qu’ils le voyaient en vie.
Le quotidien britannique «The Times» révélait que quelque 400 mercenaires, mandatés par la milice privée Wagner, dirigée par des proches du président russe, auraient été lâchés dans la capitale ukrainienne. Leur cible: le président et une vingtaine d’autres personnalités politiques. Une partie de ces miliciens seraient arrivés d’Afrique.
Désormais, certains, à l’instar de l’historien britannique Andrew Roberts, voient même en Volodymyr Zelensky le digne successeur de Winston Churchill lors de la Seconde Guerre mondiale. L’histoire dira si le chef d’Etat s’est fourvoyé en refusant de voir venir la menace russe. Pour l’heure, il joue le rôle de sa vie. Et sa vie.
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