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Ukraine - Russie

Simonetta Sommaruga: «J’ai beaucoup insisté pour que les sanctions soient prises»

Le gel des avoirs russes, sanction finalement adoptée à son tour par la Suisse lundi, est un soulagement pour Simonetta Sommaruga. La conseillère fédérale socialiste, qui s’était rendue en visite officielle en Ukraine – y compris dans le Donbass – en 2020, s’en explique en exclusivité.

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Berne, 28 février 2022. La Conseillère Fédérale Simonetta Sommaruga. © Niels Ackermann / Lundi13

Simonetta Sommaruga, la cheffe du Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) photographiée lundi 28 février au Palais fédéral.

Niels Ackermann / Lundi13

- Madame la conseillère fédérale, en juillet 2020, en tant que présidente de la Confédération, vous aviez effectué une visite officielle en Ukraine. Quel souvenir en gardez-vous?
- Simonetta Sommaruga: Celui d’un jeune pays aux habitants pleins d’espoir après une histoire douloureuse: affamé par Staline dans les années 1930, puis passé par la souffrance de la révolution de Maïdan en 2014, avec cette population qui voulait enfin la paix et la démocratie. Il me tenait vraiment à cœur de m’y rendre pour attirer l’attention sur un dangereux conflit oublié et rappeler que, en Europe, la population vivait encore dans la crainte d’un conflit pas réglé. Mais c’était aussi Kiev, une ville comme ici, où les gens se baladaient et vivaient leur vie. Ce genre de visite est inoubliable. Voir l’ensemble du pays désormais attaqué, c’est atterrant et c’était encore inimaginable il y a peu. Tous les souvenirs et les moments de tension que j’ai gardés de cette visite sont vivaces.

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- L’Europe s’est retrouvée abasourdie de voir la guerre sur son territoire.
- Sans doute n’avons-nous pas pris la menace suffisamment au sérieux.

- Nous, c’est-à-dire?
- L’Europe, la Suisse... Après les événements de 2014, nous avions pensé que c’était fini, que le pire était passé. Aujourd’hui, je pense à ces jeunes ingénieurs que j’ai rencontrés, ces musiciens, cette écrivaine... Les gens qui luttent pour les droits de l’homme et contre la corruption, ces femmes, ces enfants qui doivent désormais se terrer dans le métro... Cela m’émeut énormément.

- Vous vous étiez rendue dans la zone séparatiste du Donbass avec le président, Volodymyr Zelensky. Racontez-nous.
- Le président voulait me montrer un pont qu’il a fait construire pour permettre aux habitants des deux côtés de rester en contact. Ce lien était très important pour lui, il a toujours défendu cette cohésion. C’était la première fois qu’un chef d’Etat étranger se rendait dans cette zone. La sécurité ukrainienne nous a avertis que nous ne devions pas aller plus loin, que des tireurs pourraient nous prendre pour cible. C’est là que le président a dit: «This is my country!» et que j’ai décidé de l’accompagner. Je portais un gilet pare-balles, ce qui était nouveau pour moi. J’ai senti ce que signifiait le fait d’être le président d’un pays dans lequel se déplacer est un danger. Et j’ai vu quelqu’un qui agissait avec son cœur, une volonté très authentique. Ça reste un moment extrêmement fort pour moi.

Simonetta Sommaruga et Volodymyr Zelensky

Simonetta Sommaruga et Volodymyr Zelensky (à droite) aux abords du pont reconstruit de Stanytsia Louhanska, sur la ligne de front divisant le Donbass, en juillet 2020.

Niels Ackermann / Lundi13

- Quelle image gardez-vous du président?
- Cela ne faisait pas très longtemps qu’il était au pouvoir, mais j’ai constaté qu’il était très conscient de l’ampleur de sa tâche et qu’il la prenait très au sérieux. Sa volonté authentique de s’investir pour son pays se confirme aujourd’hui. Je crois qu’il avait compris beaucoup de choses sur son pays et cet immense voisin avec lequel les liens étaient forts. En même temps, il était constamment sous tension. Je n’ose imaginer son état d’esprit aujourd’hui.

- Aujourd’hui, vous avez peur pour lui?
- Oui.

- Le fait que ce conflit se tienne en Europe explique-t-il la mobilisation massive de ces derniers jours?
- Personne ne pouvait imaginer une telle situation. C’est pourquoi il fallait, et il faut, condamner de la manière la plus ferme la Russie, qui viole le droit international et inflige des souffrances sans nom aux civils. Que la Suisse condamne par ses mots, c’est très bien, mais cette condamnation devait aussi se traduire par des actes. J’ai beaucoup insisté pour que la Suisse reprenne les sanctions de l’Union européenne, et au plus vite, auprès du président de la Confédération (Ignazio Cassis, ndlr). Le Conseil fédéral a pris enfin cette décision aujourd’hui et j’en suis très contente, même si c’est un peu tard.

- Comprenez-vous la frustration d’une grande partie de l’opinion, qui a trouvé trop tièdes les premières réactions de la Suisse?
- Oui, franchement, je comprends la population.

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- Je vous sens très émue.
- Les souvenirs de cette visite sont très présents; j’étais dans un pays qui subit maintenant une agression terrible. Il nous faut agir maintenant. Et essayer, ensemble, avec l’UE et le reste de la communauté internationale, de stopper ce qui se passe. La Suisse était déjà très présente en Ukraine par le biais de l’aide humanitaire. J’ai visité un projet qui donne accès à l’eau potable à 4 millions de personnes. Notre aide humanitaire doit également s’appliquer aux pays voisins qui ouvrent leurs frontières aux réfugiés.

- Que répondez-vous à ceux qui diront que la Suisse, en appliquant ces sanctions, oublie sa neutralité?
- La Suisse peut certes offrir ses bons offices, comme le veut sa tradition. Cela n’empêche pas les paroles et les actes très clairs et cela ne doit pas être une excuse pour ne pas appliquer les sanctions.

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- Ce qui se passe va-t-il rebattre les cartes sur le plan géopolitique?
- Il va d’abord falloir voir ce qui se passe ces prochaines heures, ces prochains jours. La situation évolue d’heure en heure. C’est maintenant qu’il faut faire le travail, s’engager pour le droit et pour le bien de l’humanité.

- Qu’en est-il de la dépendance suisse envers l’énergie russe, sachant que près de la moitié du gaz importé ici vient de Russie?
- La situation actuelle est la preuve supplémentaire que cette dépendance envers le pétrole et le gaz de pays souvent problématiques doit être évitée. Un argument qui s’ajoute évidemment à la protection du climat pour réduire notre dépendance envers les autres pays. Et qui conforte la stratégie que j’ai mise en place depuis trois ans pour accroître la production d’énergie renouvelable chez nous.

- Maintenant que les sanctions ont été annoncées, êtes-vous soulagée?
- Pas soulagée, non. Je veux désormais que notre pays fasse tout ce qui est en son pouvoir, avec nos partenaires européens, pour que le conflit prenne fin. Je veux garder l’espoir que la situation s’améliore et je suis en pensée avec les Ukrainiens.

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Par Albertine Bourget publié le 1 mars 2022 - 08:44