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Santé

Sclérose en plaques: du côté de la médecine

La sclérose en plaques est une maladie incurable mais de nouveaux traitements sont prometteurs. Le dossier santé de «L'illustré» met en avant différents points de vue afin d'éclaircir les problématiques liées à la maladie. Retrouvez ici les explications des professeurs Lalive d’Epinay et Renaud Du Pasquier qui mettent à mal les idées reçues. 

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sclérose en plaques

La sclérose en plaques est une maladie incurable mais de nouveaux traitements sont prometteurs.

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Complexe, d’origine encore mystérieuse, donnant lieu à des symptômes aussi sévères que diffus, la sclérose en plaques concerne environ 15 000 personnes en Suisse. Longtemps synonyme de handicap en raison des lésions neurologiques qu’elle induit, elle est aujourd’hui mieux maîtrisée: «Le risque qu’une personne atteinte de la pathologie depuis vingt ans soit contrainte de marcher avec une canne était de 40% dans les années 2000, il est aujourd’hui de 16%», se réjouit le Pr Patrice Lalive d’Epinay, médecin adjoint agrégé au service de neurologie des Hôpitaux universitaires de Genève.

Point d’orgue des progrès: l’arrivée de traitements permettant de freiner l’évolution de la maladie. Mais pas de l’éradiquer: «Comme toute maladie auto-immune, la sclérose en plaques reste un défi thérapeutique car elle est due à un dysfonctionnement du système immunitaire qui, alors qu’il est censé protéger l’organisme, se retourne contre lui», poursuit le spécialiste. Si les thérapies actuelles reposent sur des immunosuppresseurs atténuant l’agressivité de ce système immunitaire, une nouvelle génération de traitements pourrait révolutionner la prise en charge. Dans les coulisses de la recherche: vaccins à ARN messager, stratégie de neuroréparation ou encore pistes environnementales.

1. Qu’est-ce que la sclérose en plaques?

Survenant le plus souvent chez de jeunes adultes, la sclérose en plaques s’attaque, par le biais du système immunitaire, à la gaine de myéline (la structure protectrice des neurones). Ainsi endommagés par «plaques» (d’où le nom donné à la pathologie), les neurones du système nerveux central (incluant cerveau, moelle épinière et nerf optique) dysfonctionnent, causant des symptômes diffus. Parmi les plus fréquents: troubles moteurs (faiblesse d’un membre par exemple), visuels (baisse de la vision d’un œil, vision double, etc.), de l’équilibre, perte de sensibilité du toucher, etc. Au fil du temps, les lésions s’accentuent et peuvent entraîner des séquelles irréversibles.

2. Deux formes distinctes

Dans 85% des cas, la pathologie se présente sous la forme dite «poussée-rémission». Celle-ci se caractérise par l’alternance d’épisodes marqués par des symptômes aigus et de périodes d’accalmie, durant lesquelles une récupération partielle ou totale des facultés atteintes est possible. La toute première manifestation de cette forme poussée-rémission survient souvent par le biais de symptômes très marqués. A l’inverse, la forme dite «primaire progressive» est plus sournoise. Concernant 15% des patients au début de la maladie, elle présente aussi davantage de risques de séquelles permanentes. Le plus souvent, elle ne donne d’abord lieu qu’à des gênes floues et passagères (fatigue, trouble moteur fugace, etc.). Mais une fois enclenchée, elle ne cesse plus d’évoluer. A noter qu’une forme poussée-rémission peut évoluer en forme progressive dite «secondaire», qui peut être favorisée par l’absence de prise en charge adéquate.

3. Les traitements actuels pour freiner la maladie

Depuis une vingtaine d’années, l’arsenal thérapeutique à disposition s’est considérablement développé. Trois axes de traitement cohabitent. Le premier repose sur la prise d’immunosuppresseurs. Leur objectif: atténuer l’action du système immunitaire devenu intolérant à certaines protéines (antigènes) propres à la gaine de myéline entourant les neurones. Actuellement, plus d’une dizaine d’immunosuppresseurs existent pour endiguer la forme poussée-rémission, un seul en revanche pour la forme primaire progressive. Ces traitements peuvent donner d’excellents résultats – surtout pour la forme poussée-rémission – en permettant à la maladie de rester stable et ainsi à de nombreux patients de mener une vie quasi normale. Mais ils comportent une limite majeure: un risque accru d’infections, le système immunitaire étant partiellement «bridé». Le deuxième axe de traitement est la prise de cortisone à haute dose sur de courtes périodes, pour apaiser l’inflammation lors des épisodes aigus de la maladie. Quant au troisième, il est dit «symptomatique» et vise à soulager les manifestations de la maladie (douleurs, crampes, troubles de l’humeur, etc.).

4. La piste des vaccins à ARN messager

Ils existent depuis plus de vingt ans, mais l’actuelle pandémie de Covid-19 les a placés sous les projecteurs du monde entier. Le lien entre vaccins à ARN messager (ARNm) et sclérose en plaques? «On oublie parfois que les vaccins ne visent pas uniquement à défendre l’organisme contre l’extérieur, mais peuvent aussi constituer des stratégies thérapeutiques pour traiter certaines maladies, y compris les affections auto-immunes comme la sclérose en plaques», note le Pr Lalive d’Epinay. Preuve que la piste devient des plus sérieuses, l’étude parue le 8 janvier 2021 dans la prestigieuse revue «Science». Son principe: injecter à des souris atteintes d’encéphalite auto-immune expérimentale (l’un des modèles de recherche les mieux à même de reproduire la sclérose en plaques humaine) un vaccin ARNm basé sur les antigènes de la gaine de myéline attaqués à tort par le système immunitaire. Son objectif: moduler l’action du système immunitaire. Ses résultats: spectaculaires. «Bien sûr, il s’agit d’un modèle animal, mais les chercheurs sont parvenus à l’objectif ultime de rééduquer le système immunitaire pour le rendre de nouveau tolérant aux cellules de l’organisme, sans pour autant l’«éteindre» complètement, préservant ainsi ses capacités de défense», résume le Pr Lalive d’Epinay. La suite? «Plusieurs étapes sont incontournables pour vérifier l’innocuité et l’efficacité de cette stratégie chez l’humain, indique l’expert. Ces protocoles se comptent en années, mais on peut imaginer que le chemin pourra être plus rapide grâce aux extraordinaires avancées thérapeutiques opérées autour des vaccins à ARNm pendant la pandémie.»

5. La stratégie de neuroréparation

C’est l’un des autres enjeux clés: trouver le moyen de réparer la myéline (et donc les neurones) lésée par les assauts du système immunitaire. «Une multitude de groupes de recherche y travaillent à travers le monde et certaines études sont récemment passées en phase 2 ou 3 de leur développement (étape de l’essai clinique visant à éprouver la tolérance et l’efficacité du traitement, ndlr)», se réjouit le Pr Lalive d’Epinay. Les protagonistes en jeu pour viser cette réparation? Cellules souches mésenchymateuses, stimulation d’oligodendrocytes précurseurs ou encore anticorps spécifiques. «L’une des idées phares est d’utiliser des cellules spécifiques du patient, de les modifier en laboratoire afin de les préparer à leur mission de réparation, puis de les réinjecter dans le liquide céphalorachidien, en les laissant se diriger d’elles-mêmes vers le cerveau, détaille le spécialiste. Il reste beaucoup à faire, mais les résultats actuels sont particulièrement encourageants.»

6. La voie du cerveau

Agir directement sur le lieu des attaques des neurones par le système immunitaire, à savoir dans le cerveau lui-même? L’idée est aussi séduisante que complexe à mettre en œuvre. «Tous les traitements actuels ciblent le système immunitaire circulant dans le corps, rappelle le Pr Lalive d’Epinay. Concrètement, les immunosuppresseurs administrés aux patients le sont sous forme injectable, ingérable (comprimés) ou par perfusion. La boîte crânienne reste un lieu clos et hautement délicat rendant périlleuses les actions thérapeutiques.» Et pourtant, une piste sérieuse se profile: agir sur la microglie, ces cellules immunitaires spécifiques présentes dans le cerveau à côté des neurones et impliquées dans les attaques de la myéline en cas de sclérose en plaques. «L’objectif est de trouver le moyen de moduler leur action sans les éteindre complètement, car elle joue aussi un rôle clé pour la protection du cerveau face aux agents pathogènes», précise l’expert.

7. La piste environnementale

Si les causes exactes déclenchant la sclérose en plaques demeurent mystérieuses, un faisceau d’indices laissent à penser que des facteurs extérieurs, se conjuguant probablement à une prédisposition génétique, joueraient un rôle important. Parmi les suspects étudiés: le tabagisme, l’obésité, certains virus rencontrés durant l’enfance (le virus d’Epstein-Barr notamment (lire en fin d'article les récentes découvertes)), le microbiote ou encore un déficit en vitamine D. «Un grand chemin reste à parcourir pour comprendre leur implication respective, mais l’impact environnemental ne fait aucun doute et pourrait lui aussi constituer une piste de traitement», conclut le Pr Lalive d’Epinay.


Vaccins et sclérose en plaques: gare aux idées reçues

Depuis longtemps, le rôle des vaccins dans l’apparition de la sclérose en plaques (SEP) fait débat. Il est important de rappeler que, malgré de très nombreuses études, aucune preuve scientifique ne montre un lien de causalité entre les deux. «Dans les années 1990, une crainte concernait le vaccin contre l’hépatite B. Plus récemment, c’est le vaccin contre le VPH (papillomavirus humain) qui a été pointé du doigt», explique le Pr Renaud Du Pasquier, chef du service de neurologie du Centre hospitalier universitaire vaudois. «Mais de nombreuses et très sérieuses études ont clairement démontré que ces vaccins n’entraînent pas l’apparition de la maladie. On ne peut pas exclure en revanche qu’ils favorisent une poussée, lorsque la maladie est déjà sous-jacente.»

A l’inverse, la question de vacciner les personnes atteintes de SEP – dont le système immunitaire est chatouilleux – peut s’avérer délicate. De vastes études ont permis de considérer les vaccins – notamment ceux contre la grippe, les hépatites A et B, la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR), la diphtérie, le tétanos et la polio (DTP), la coqueluche – comme totalement sûrs pour ces patients. «Ils sont clairement recommandés, ajoute Renaud Du Pasquier. C’est le cas par exemple du vaccin contre la grippe, qui présente beaucoup moins de risques de déclencher une poussée que la grippe elle-même chez les personnes atteintes de SEP.» En revanche, il faut éviter de vacciner pendant une poussée, car le système immunitaire est alors très activé et un vaccin pourrait aggraver ladite poussée. Seul le vaccin contre la fièvre jaune doit être prescrit avec prudence, même en phase de rémission, en pesant préalablement la balance bénéfice/risque.

Quant au récent vaccin à ARN messager contre le Covid-19, particulièrement efficace pour éviter les formes graves de cette maladie, il est très bien toléré chez les personnes dont le système immunitaire est affaibli. «Le seul bémol est que son efficacité peut être amoindrie lorsqu’il est administré à une personne sous certains traitements immunomodulateurs», conclut l’expert.



L’étau se resserre autour du virus de la mononucléose

Au cœur d’une étude aussi inédite que spectaculaire par son ampleur, le virus d’Epstein-Barr, responsable, entre autres, de la mononucléose, serait bel et bien impliqué dans la survenue de la sclérose en plaques. Parue dans la prestigieuse revue Science*, la recherche, menée sur vingt ans auprès de 10 millions de militaires américains, montre un risque multiplié par 32 de développer une sclérose en plaques en cas d’infection par le virus en question. «Ce taux est considérable au regard des risques accrus par deux ou trois pour des facteurs comme le tabac ou l’obésité, réagit le Pr Lalive d’Epinay. Et surtout, l’étude semble confirmer un fait que l’on pressentait depuis plus de vingt ans: une infection par le virus d’Epstein-Barr est une condition nécessaire pour développer quelques années plus tard – 7,5 ans en moyenne selon l’étude – une sclérose en plaques.» 

Mais attention: la contamination par le virus d’Epstein-Barr – et le fait d’avoir potentiellement développé une mononucléose – n’est qu’un facteur parmi d’autres aboutissant à la survenue de la sclérose en plaques. Près de 95% de la population croise la route du virus d’Epstein-Barr, mais la sclérose en plaques ne touche pas plus d’une personne sur 560 en Suisse. La clé de l’énigme? «Il est certain que nous ne sommes pas égaux face à la survenue de cette pathologie auto-immune. La prédisposition individuelle, en partie génétique, rend certains plus à risque que d’autres de la développer lorsqu’ils sont exposés à un facteur clé comme le virus d’Epstein-Barr», poursuit le neurologue.  

Reste que cette nouvelle étude renforce l’espoir autour des recherches actuellement à l’œuvre et notamment celles d’un vaccin à ARN messager contre la mononucléose. L’entreprise Moderna en a annoncé les premiers essais cliniques tout début janvier. «Ce virus, impliqué dans la mononucléose mais également dans la survenue de nombreux cancers, est sous les projecteurs des chercheurs depuis de nombreuses années. Mais l’ensemble de ces récentes découvertes laisse présager un réel tournant thérapeutique», se réjouit le Pr Lalive d’Epinay.

* Bjornevik K, Cortese M, Healy BC, et al. Longitudinal analysis reveals high prevalence of Epstein-Barr virus associated with multiple sclerosis. Science 2022 Jan 21.

>> Pour en savoir plus: «Sclérose en plaques», coll. L’Essentiel, sous la direction de Patrice Lalive d’Epinay et Renaud Du Pasquier, RMS Editions, 2019.

Par Laetitia Grimaldi publié le 20 janvier 2022 - 10:23