On rencontre Hamida Aman dans un quartier du nord de Kaboul, à Char Qala. A presque 50 ans, cette élégante entrepreneuse suisso-afghane aux yeux vert émeraude nous reçoit à l’ombre des bougainvilliers en fleurs dans une vaste demeure – anciennement les studios de son groupe de production audiovisuelle Awaz – investie aujourd’hui par la station Radio Begum.
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Née à Kaboul de deux parents afghans, Hamida Aman fuit l’occupation soviétique et arrive à Vevey en 1981, à l’âge de 8 ans. Une scolarité à Renens, suivie d’études en lettres à l’Université de Lausanne et des premiers emplois dans l’enseignement et le journalisme. Sa vie bascule lors des attentats du 11 septembre 2001. Alors pigiste pour le défunt hebdomadaire «L’Hebdo», elle propose d’accompagner les journalistes de la rédaction en Afghanistan, pays où elle n’était pas retournée depuis vingt ans. «J’ai vécu le plus grand choc de ma vie. J’ai compris que cette terre, c’était chez moi», se souvient-elle avec une émotion demeurée intacte. Elle s’en excuserait presque: «J’ai été extrêmement bien accueillie par une Suisse généreuse qui m’a offert les mêmes chances d’accès à l’éducation que mes camarades. Pourtant, dès que j’ai posé le pied à Kaboul, j’ai ressenti, pour la première fois de ma vie d’adulte, un sentiment de légitimité.»
Celle qui ne devait passer que six mois dans son pays d’origine y reste et fonce pied au plancher. Des jobs dans des ONG puis, très vite, l’envie de créer sa propre entreprise en 2004, Awaz (la voix). Avec succès, son groupe de production s’installe dans le paysage audiovisuel de la région. Toutefois, en 2020, elle sent le vent tourner lorsque des pourparlers entre les Américains et les talibans débutent, des négociations tenues sans membres du gouvernement afghan, mis à l’écart.
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«J’étais scandalisée et surtout très inquiète pour le sort de mes compatriotes, se souvient-elle. D’un revers de main, on balayait vingt ans d’efforts pour reconstruire le pays. Qu’allait-il advenir de toutes ces femmes? Il fallait anticiper, nous préparer pour ne pas subir la situation si les talibans venaient à s’emparer du pouvoir.» Elle mobilise alors son réseau et fonde l’ONG Begum Organization for Women afin d’aider et de soutenir les Afghanes. Trois mois plus tard, le 8 mars 2021, est lancée Radio Begum, une radio faite par les femmes pour les femmes. La station émet 24 h/24, couvre neuf provinces et compte 15 femmes dans ses locaux. Quotidiennement, six heures de programmes éducatifs sont diffusés sur l’antenne, le matin en dari et l’après-midi en pachto, les deux langues officielles de l’Afghanistan. Une mission capitale dans ce pays où les filles de 12 à 18 ans se voient refuser le droit à l’éducation. Alors certes, il a fallu s’adapter pour continuer d’émettre sous le joug des talibans; réaménager les espaces de travail pour séparer les hommes des femmes, renoncer à diffuser de la musique et, pour les journalistes, porter un masque chirurgical lors des live sur Facebook. Mais la mission éducative se poursuit. Une bulle de résistance dans les ténèbres.
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