Christina Aus der Au et Laure-Christine Grandjean.
Laure-Christine Grandjean
Chancelière et responsable de la communication, diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg
Je prie, tu pries, il prie, elle prie, nous prions. Force est de constater que le commun des mortels (voire la mortelle des «fausses» communes) prie. Il le cachera sûrement aux autres, pour ne pas être qualifié de bigot, de superstitieux ou que sais-je. L’autre jour, une amie en peine m’envoie un texto: «J’ai adressé une prière à l’univers.» Tandis qu’un autre copain, agnostique, me lance, une lumière dans les yeux: «Tu vas à Paris, tu passes à Montmartre? Tu mettras une bougie pour moi.»
Alors on met des bougies. On ajoute une petite flamme à la litanie des autres petites flammes qui s’élèvent, portant plus haut les vœux d’une pléthore d’illustres inconnus. Et qui sait, parmi ces flammes, l’une m’est-elle peut-être destinée? On craque l’allumette en pensant à l’autre, en lui souhaitant tout le bien, en demandant un petit coup de pouce de là-haut.
Oui, les bougies invitent à la prière. Elles en sont même l’allégorie, si l’on en croit l’auteur Christian Bobin: «Elles perdent tout leur sang. Elles dépensent toute leur mèche. Elles ne gardent rien pour elles, elles donnent ce qu’elles sont, et ce don passe en lumière.»
Et pour paraphraser encore Bobin: prier, c’est prendre le temps de s’éloigner de soi pour rejoindre les autres.
Alors: éloignons-nous un peu de nous-mêmes. Et ne cessons pas de prier (1 Thessaloniciens 5:17). Car pour tout chrétien, prier, c’est se tourner vers Dieu, ce qui le décentre de lui-même et le tourne aussi vers les autres, puisque Dieu les aime.
Christina Aus der Au
Théologienne protestante et philosophe, directrice du Centre de développement de l’Eglise à l’Université de Zurich et nouvelle présidente du Conseil synodal thurgovien
«Demandez et vous recevrez», énonce un passage de l’Evangile. J’ai souvent du mal avec ça. Quand des amis m’informent d’un exaucement de prière pour une place d’apprentissage ou pour le beau temps lors d’une manifestation paroissiale, je préférerais envoyer ce Dieu-là en Ukraine. Ou en Afghanistan. Car là-bas aussi, des gens prient. Pour le pain, pour la paix, pour la liberté. Et ils meurent quand même.
Pour moi, la prière est une quête permanente. Lorsque j’étais petite, mon père possédait une radio à ondes courtes qui captait le monde entier. Une fois que nous étions au lit, il restait au salon, cherchant à capter un émetteur international. Cela grésillait et sifflait souvent longtemps jusqu’à ce qu’on entende une voix ou une musique d’abord hachée puis toujours plus limpide. Chez moi, cela grésille et siffle souvent aussi. Je ne sais plus du tout ce qui est primordial. Alors, se taire, appuyer sur le bouton intérieur. Et écouter. Dieu, où es-tu? Parfois je trouve l’émetteur. Ou il me trouve. Que ton règne arrive. Que ta volonté soit faite. Dieu, tu me soutiens. Tu me donnes une assise. Et tu portes le monde. Même là où il y a de la détresse.
Lorsque nous prions ensemble, à haute voix, côte à côte, à l’église et dans le monde entier, non seulement cela donne la chair de poule mais cela dégage une force qui nous porte et nous mobilise tous ensemble. Alors nous nous levons et nous nous engageons. Pour le pain, pour la paix, pour la liberté. Pour notre prochain. Parce que nous avons repris pied.
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