«Ce que nous avons réalisé est à la portée de tout le monde. Il suffit d’avoir la volonté de le faire, sans attendre des décisions politiques qui tardent beaucoup trop à venir et des soutiens économiques qui ne tomberont jamais du ciel. C’est tout.» Sandrine Du Pasquier est catégorique. Pour elle, chacun de nous a le pouvoir de se protéger contre la crise énergétique qui menace et les moyens de répondre au dérèglement climatique. Théorie de «bobo», utopie d’écolo? Que nenni.
La gérante de la coopérative de logements du quartier de la Paix, à Nyon, qui regroupe 104 appartements répartis dans 12 immeubles, a le grand avantage de prêcher par l’exemple. C’est elle, en effet, qui a incité le conseil d’administration et l’assemblée générale du collectif à transformer ces 12 bâtiments, dont dix ont été construits entre 1947 et 1962, en logements «verts» entièrement tournés vers la transition énergétique. Au programme: décarbonation du site avec, à la clé, une réduction de 95% de ses émissions de CO2, renaturation, création d’une véritable centrale solaire, pompes à chaleur et géothermie en remplacement du gaz et technologies innovantes. Un cocktail qui assure désormais une autarcie énergétique avoisinant les 80% aux 290 résidents.
Alors qu’approche la fin de ce chantier révolutionnaire, le premier de cette ampleur dans le pays, Sandrine Du Pasquier se félicite de l’investissement de 4,5 millions de francs que la coopérative a consenti pour la mue de son patrimoine. Une dépense financée en puisant dans ses fonds propres pour l’octroi d’un crédit et grâce à une subvention de 300 000 francs accordée par la ville et le canton et via un emprunt. «Nous avions un double objectif: consommer l’électricité la plus propre possible et protéger les locataires contre les fortes augmentations de la facture énergétique. Un programme ambitieux, qu’il a fallu faire passer. Mais en prenant soin d’expliquer le projet dans ses moindres détails et de répondre à toutes les questions, nos membres y ont adhéré quasi à l’unanimité», argumente-t-elle, en lançant une question cruciale: «Combien coûteront le mazout et le gaz cet automne? Et dans trois ans? L’amortissement se fera peut-être bien plus vite qu’on ne le pense.» Un message visiblement entendu par les coopérateurs auprès desquels le comité s’est engagé. «Les transformations ne feront augmenter ni les loyers ni les charges», garantit l’administratrice. Promesse tenue, mesures à l’appui, l’un des bâtiments ayant déjà passé deux hivers.
Ce défi, c’est l’ingénieur en énergie Marc Muller et son bureau de 15 personnes qui l’ont relevé. Connu et réputé pour ses compétences et son engagement en faveur de la transition, l’ancien compère de Jonas Schneiter de feu l’émission écologique de la RTS «Aujourd’hui», s’y est attelé avec la ferme intention de démontrer que l’heure de penser la construction autrement a sonné. «Le temps presse. Elle est révolue l’époque où on avait le choix entre bâtir de manière traditionnelle ou juste avec une petite touche d’écologie pour rendre le projet plus fun. Les solutions et les technologies pour faire mieux existent. Elles sont là, à portée de main. Il suffit de les empoigner et de tourner la page», martèle l’ex-responsable du domaine solaire de l’Office fédéral de l’énergie.
Le solaire justement. L’une des pierres angulaires de la transformation nyonnaise puisque, selon son concepteur, les 1600 m² de panneaux installés sur les toits des immeubles produiront 300 000 kWh par année. Soit le quart des besoins. Ce n’est pas tout. Le Vaudois assure que l’épaisse isolation thermique en laine de bois d’une vingtaine de centimètres posée sous les panneaux, alliée à quelques mètres carrés de végétalisation sur les surfaces «mortes», permettra une économie d’énergie d’environ 20%. En gros, l’équivalent de 200 000 kWh. «Cette technique a également l’avantage de créer un système de ventilation qui protège de la chaleur. La laine de bois retient et accumule cette dernière la journée et la rejette durant la nuit grâce à un flux d’air circulant entre les deux côtés de la toiture.
Quant aux végétaux, ils jouent à la fois le rôle de filtre et de terreau de développement d’une petite biodiversité», détaille-t-il. Avant de conclure: «Jusqu’ici, en Suisse, on a essentiellement construit pour se protéger du froid. Avec les périodes de canicule qui se multiplient, ce procédé de ventilation naturelle est très efficace. Malgré les fortes températures de ces derniers jours, la température des appartements situés sous le toit n’excède jamais 25°C.»
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Si les deux vieilles chaudières à gaz ne seront démontées que l’été prochain – on n’est jamais trop prudent –, ce sont maintenant des pompes à chaleur air-eau et de la géothermie, puisée à plus de 200 m de profondeur dans le bas du quartier, qui produisent chauffage et eau chaude. Un double système qui permet d’économiser pas moins de 500 000 kWh, dont 350 000 grâce à la géothermie. Le compte est bon. Qui ravit Antonino, 75 ans, locataire depuis trente-cinq ans, occupant avec son épouse un trois-pièces loué 1000 francs par mois, charges comprises. «Même si les transformations ont pris du retard à cause du covid, elles n’ont jamais été dérangeantes. D’autant que, au final, elles se révèlent très avantageuses et très réussies sur le plan esthétique», s’enthousiasme le retraité.
«Aujourd’hui, seuls deux locataires sont restés connectés aux Services industriels de la ville», devise la gérante, respectueuse de ce choix et qui tient à rendre hommage aux anciens dépositaires du collectif, qui ont constamment investi dans l’entretien et la rénovation. «Lorsque nous avons effectué les mesures énergétiques préliminaires, on s’attendait à trouver des pertes quatre à cinq fois supérieures à des bâtiments neufs. Mais, à notre grande surprise, celles-ci se limitaient en moyenne à une fois et demie. C’est excellent.» «C’est le grand avantage de la coopérative, dont la vocation n’est pas d’accumuler des bénéfices mais de privilégier le bien-être et l’intérêt des locataires», enchaîne Marc Muller, dont les conférences font le buzz sur la Toile et sont toujours plus prisées des entreprises helvétiques et de France voisine.
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Histoire de joindre le geste à la parole, celui-ci nous désigne les bornes de recharge pour véhicules électriques en cours d’installation. «Au final, il y en aura une par appartement. D’une seule voiture électrique au début du chantier, on en dénombre une quinzaine aujourd’hui dans tout le quartier. Cela fait appel d’air», se réjouit le titulaire d’un «executive master of business administration» en nous entraînant dans le local, en bois bien sûr, où sont rangés les boîtiers électroniques récoltant les données de consommation de chaque appartement sur une plateforme web sécurisée. «Les immeubles sont interconnectés, ce qui permet d’adapter les flux d’énergie en fonction de la demande et de s’échanger les kilowattheures excédentaires. Avec son autonomie énergétique de 80%, le quartier est si résilient qu’il peut jouer le rôle de base arrière pour la ville en cas de grosses pénuries ou de black-out. Je vous rappelle que, après six heures de coupure d’électricité, votre frigo ne conserve plus les aliments», prévient le cofondateur d’Impact Living, bureau également chargé de la transition complète de la coopérative voisine des Chênes, propriétaire d’une quinzaine d’imposants immeubles.
Comme s’il voulait prouver qu’il n’appartient pas à la catégorie des «faites comme je dis, pas comme je fais», Marc Muller a imaginé et construit à la sueur de son front sa propre villa autarcique, à Châtillon, dans la Broye fribourgeoise. Un petit paradis pour sa femme, leur fils et la biodiversité, où rien ne manque du confort moderne bien qu’elle ne soit connectée ni au réseau électrique ni au réseau d’eau. Cinq ans après, le coût d’exploitation de ces 247 m² de surface habitable n’excède pas 40 francs par mois. Une économie qui lui a donné l’idée d’acheter le vieux chalet déglingué d’à côté pour le transformer à sa mode. Une bâtisse baptisée «la maison qui produit du pognon». Devinez pourquoi…
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