Roger Federer fait son entrée dans «L’illustré» en janvier 1999. «Plus fort que Rosset!» prévient Marc David, notre journaliste, dans le titre. Au retour de Miami, champion du monde junior, et même s’il fait toujours la vaisselle à la maison, le gamin goûte à sa célébrité naissante. «Certaines personnes ont l’air fières de me parler», tandis que d’autres «veulent absolument m’inviter». Les organisateurs de tournoi lui offrent des «wild cards». Dès la fin février, il a gagné 170 places au classement. En avril, il débute en Coupe Davis à Neuchâtel contre l’Italie. Il aligne ensuite sept éliminations au premier tour, mais s’épanouit à l’automne dans les tournois en salle. Il apprend très vite et capte tout, même devant la télévision. Soixante-quatrième mondial en décembre, il a déjà engrangé 223 859 dollars de gains. Ses parents n’auront pas eu à le financer longtemps.
L’année 2000 débute sur les pistes de Montana avec Marc Rosset. Les deux hommes se retrouvent deux mois plus tard en finale du tournoi de Marseille. La première pour Roger. Rosset gagne à l’expérience. A Pâques, un communiqué annonce que Federer quitte Swiss Tennis pour voler de ses propres ailes. Autre surprise, il ne choisit pas Peter Carter pour l’accompagner, mais Peter Lundgren. Ancien 25e joueur mondial, ce Suédois roublard se dépêche de lui inculquer les bonnes manières. «Avant de quitter Swiss Tennis, c’était un morveux, un enfant gâté qui obtenait tout gratuitement. Maintenant, il doit payer l’hôtel, le restaurant, il devient un homme», raconte-t-il à «L’Equipe». Les débuts ne sont pas folichons: toujours des défaites au premier tour et des problèmes de concentration dès que les choses tournent mal. Aux JO de Sydney, il s’écroule alors qu’une médaille lui semblait promise. Mais au dernier soir des Jeux, il embrasse Mirka.
Battu en finale à Bâle, il pointe au 25e rang en fin d’année. Embauche le préparateur physique Pierre Paganini cent jours par an sur trois ans. Mirka, Paganini, Lundgren: le staff est en place. En février 2001, Roger Federer décroche son premier titre ATP à Milan, sous les yeux de ses parents. Il impressionne en Coupe Davis contre les Etats-Unis, enchaîne demi-finale à Marseille et finale à Rotterdam. Tout va bien, sauf en Coupe Davis. En avril, à Neuchâtel, il fait craquer Jakob Hlasek, capitaine désavoué malgré trois ans de contrat. A 19 ans, Federer est déjà le patron du tennis suisse. Pour le monde, il faut encore patienter… Le 2 juillet, il signe son premier grand exploit en battant Pete Sampras à Wimbledon. La passation de pouvoir tourne court: Federer chute au tour suivant. Blessé peu après, il fête ses 20 ans le 8 août 2001 à Bienne avec son copain Michael Lammer, à qui il sert de taxi. Il l’attend au train, le dépose à l’école et l’emmène à Macolin, où les deux copains poursuivent leur rééducation.
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Ce sentiment d’inachevé perdure en 2002. Il entre dans le top 10, mais se plante d’entrée à Roland-Garros face à Arazi, puis à Wimbledon face à Ančić. En plein désarroi, trop nerveux, trop exigeant envers lui-même, Roger prend en pleine face le communiqué de l’ATS du 2 août 2002: Peter Carter est mort dans un accident de voiture en Afrique du Sud. Très affecté, il perd au premier tour à Toronto et rentre en Suisse pour les obsèques, le 14 août à Bâle. C’est la première fois qu’il va à des funérailles. En lui, quelque chose a changé. Une bonne fin de saison lui offre un ticket pour le Masters de Shanghai. Il est sixième mondial, le meilleur classement jamais atteint par un Suisse.
Va-t-il enfin gagner un Grand Chelem? Beaucoup n’y croient plus lorsqu’il se fait sortir au premier tour de Roland-Garros par un Péruvien inconnu. «Après ça, j’ai refusé de perdre», dira-t-il. Roger Federer fait profil bas en débarquant à Wimbledon. Il loge dans un petit 3 pièces avec Lundgren, Mirka et son physio, qui dort sur le canapé. Il évite les interviews, s’entraîne quand il y a peu de monde, ne s’inscrit pas en double. Mirka filtre les demandes. Roger passe les tours, réalise un match parfait en demi contre Roddick et se retrouve en finale pour la première fois face à l’Australien Mark Philippoussis. Il gagne en trois sets, se répète de ne pas pleurer, fond en larmes et reçoit la coupe «comme on prend le soleil avec les mains». Il est à sa place, enfin, mais n’en prendra conscience que quelques semaines plus tard, sur une plage de Sardaigne. «Je me disais à moi-même: «Ça, personne ne te l’enlèvera jamais.» Ce n’est pourtant pas une fin; juste un début.
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