Après les salutations et les présentations d’usage, il nous emmène, fébrile, à l’arrière de son SUV, parqué à deux pas de son cabinet. Coffre ouvert, Konstantin Dubnov montre fièrement son gilet pare-balles et son pistolet semi-automatique Fort-12, de fabrication ukrainienne, qu’il dissimule sous une couverture. Comme des milliers de civils déchargés de leurs obligations militaires, le dentiste de 47 ans a accepté de prendre en charge le coût de son équipement afin de pouvoir intégrer une unité de réservistes volontaires. Sa motivation est claire.
«Au début de ma formation, j’ai fait le serment de défendre mon pays jusqu’à la dernière goutte de mon sang et je compte bien tenir mon engagement. Je veux voir grandir ma fille de 2 ans et demi dans un pays libre, débarrassé de toutes les peurs et les violences qu’on lui fait injustement subir depuis huit ans», assène-t-il, le geste et le regard aussi déterminés que la parole.
«En 2014, notre armée était en déliquescence. Mais nous avons retenu la leçon. Avec le temps, sa préparation et son équipement se sont nettement améliorés et les Russes auraient une sacrée mauvaise idée de nous attaquer aujourd’hui», prévient le thérapeute-milicien qui, au nom de son amour pour la patrie, soigne bénévolement les personnes blessées pendant le conflit ou lors des innombrables accrochages opposant presque quotidiennement les forces ukrainiennes aux séparatistes soutenus par la Russie dans la région du Donbass.
Ce samedi 29 janvier, sa vie de militaire du dimanche l’emmène à Brovary, banlieue grisâtre située à un jet de pierre de la capitale. C’est là, à 9 heures précises, sur le parking d’un supermarché, qu’il a été convoqué en compagnie d’une cinquantaine d’autres volontaires. Le rassemblement terminé, ces civils, avocats, électriciens, chauffeurs ou architectes en temps normal, se dirigent en convoi avec leurs véhicules privés sur leur lieu d’entraînement.
Ce jour-là, une zone industrielle désaffectée sortie tout droit d’un décor de fin du monde, morne plaine où fonctionne encore une centrale à charbon d’époque soviétique qu’on rallie après avoir traversé un bois par une route forestière horriblement cabossée. Le temps de s’équiper, ce petit monde est aligné aux ordres d’Alexander, un quinqua taillé à la hache à qui la vaillance démontrée durant la guerre a forgé une solide réputation. Au sein de ce groupe aux allures un peu désuètes, certains sont encore en jeans alors que d’autres sont «armés» d’une kalachnikov... en bois.
Parmi eux, quatre femmes, dont Tatiana, une infirmière de 41 ans, qui ne voit pas pour quelle raison elle ne pourrait pas soutenir son pays aussi efficacement qu’un homme. Par –5°C, sous une bise à décourager un Esquimau, les apprentis combattants sont éparpillés par groupes de dix. Au programme, maniement de l’arme et exercices de déplacements individuels et collectifs en cas d’attaque surprise des Russes. Pour sa deuxième journée de formation, Konstantin souffre. Les dizaines d’allées et venues dans les différentes positions imposées par le sergent-chef mettent les organismes à rude épreuve. «C’est le prix à payer pour être réellement efficace. Si nous voulons défendre nos positions, chacun doit savoir se comporter et ce qu’il a à faire», estime-t-il, en reprenant son souffle. En 2014, il s’était rendu au chevet des blessés dans la zone des combats. «C’était éprouvant moralement, mais moins physique», grimace-t-il.
Chaque samedi, entre 9 h et 16 h, des dizaines d’unités de réservistes volontaires sont formées au combat à travers le pays. Six pour la ville de Kiev, soit près de 600 hommes et femmes chargés de défendre la capitale et de faciliter la fuite des civils au cas où. «Que les Russes se le disent: nous sommes déterminés à leur rendre la vie dure s’ils devaient arriver jusqu’ici», avertit Konstantin, en rangeant son précieux matériel qui, sauf événement contraire, ne devrait pas ressortir de son coffre jusqu’à samedi prochain...
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