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Sécheresse

Fonte des glaciers: «Ce n’est pas le moment de baisser les bras»

Physicien spécialisé en glaciologie, le professeur Amédée Zryd répond aux questions qui interpellent et angoissent face à l’accélération de la fonte des glaciers. Selon lui, malgré les événements brutaux qui se multiplient, la Suisse n’a pas à craindre de pénurie d’or bleu dans les prochaines décennies.

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glacier du rhône

Les bâches, protection qui semble dérisoire contre la fonte des glaciers, ici celui du Rhône, photographié le 21 juillet dernier.

Braschler/Fischer

- L’accélération de la fonte des glaciers n’est plus un phénomène passager désormais. Vous confirmez?
- Amédée Zryd: Tout à fait. Bien qu’on l’observe depuis une quinzaine d’années déjà, elle est spécialement spectaculaire cet été avec une isotherme du 0°C flirtant avec les 5000 m, la hauteur du Mont-Blanc. Les débits des rivières évacuant ces masses d’eau libérées sont impressionnants mais malheureusement, au-delà de faire le bonheur des poissons et de garantir l’irrigation, ces dernières sont en grande partie perdues. Même si les réserves sont encore suffisantes, un jour viendra où les volumes diminueront, ce qui posera certains problèmes.

- Vous avez une date?
- Je ne suis pas devin. Mais tous les scénarios envisagés laissent à penser que d’innombrables petits à moyens glaciers auront disparu à l’horizon 2080, voire avant pour ceux exposés sur le versant sud. On estime par exemple que le glacier de la Plaine Morte, au-dessus de Crans-Montana, n’existera plus en 2050. Le glacier du Rhône lui-même va beaucoup diminuer, ce qui réduira ses volumes d’eau libérés. Ces réductions influenceront le remplissage des barrages. On sait qu’au fil du temps, le barrage de Mauvoisin, pour n’en citer qu’un, aura de plus en plus de peine à atteindre sa pleine capacité.

Amédée Zryd

Le professeur Amédée Zryd, physicien spécialisé en glaciologie.

xing.com

- Cette accélération se déroulant sous nos yeux, si l’on peut dire, commence à inquiéter la population. Et vous?
- Inquiet n’est pas le bon mot. On le sait désormais, les glaciers vont continuer à reculer dans les cinquante prochaines années et même au-delà. Malgré cela, l’arc alpin restera le château d’eau qu’on connaît simplement par sa position géographique. Sur l’ensemble de l’année, je parle toujours des Alpes, les volumes devraient rester plus ou moins stables. C’est leur répartition qui changera. L’eau arrivera beaucoup moins sous forme de neige et beaucoup plus par des pluies automnales, comme dans le Jura. Les lacs qui ne sont pas régulés par des barrages risquent en revanche de s’assécher. Certaines adaptations seront sans doute douloureuses mais avec sa richesse et, j’espère, la volonté de s’attaquer aux problèmes avec intelligence, la Suisse a les moyens de les résoudre.

- On dit que, à terme, la fonte des glaciers provoquera la création de près de 700 nouveaux lacs dans le pays. Vrai?
- Cela paraît effectivement vraisemblable. Certains de ces lacs ou gouilles existent déjà d’ailleurs. Quand un glacier recule, il laisse apparaître un terrain surcreusé qui crée une dépression qui, à son tour, crée des moraines latérales et frontales contre lesquelles l’eau va buter. Avec le temps, l’eau creuse encore la terre jusqu’à former un lac. C’est de cette manière que le Léman est né, lorsque le Rhône s’est retiré. Il est certain que, entre les langues des glaciers, d’innombrables gouilles vont se former. A ce propos et pour l’anecdote, un jour que je conversais avec le tenancier de la buvette du glacier du Rhône, celui-ci m’a lancé: «Au lieu d’accompagner les touristes sur le glacier, un jour, je leur louerai peut-être des pédalos.»

- Vous parlez d’adaptations douloureuses, qu’entendez-vous par là?
- Il se peut que certaines de nos habitudes soient bousculées. J’imagine par exemple un monde sans ski. On en souffrirait bien sûr et que dire des stations. Mais fondamentalement, cela ne nous empêchera pas de vivre. Je suis moins optimiste à l’échelle de la planète. La vitesse à laquelle fond la glace aux pôles est très inquiétante. Avec, de surcroît, l’élévation des températures qui fait gonfler le volume de l’eau, le niveau des océans atteint des hauteurs alarmantes. On s’attend à des élévations de plusieurs mètres, ce qui engloutira de gigantesques surfaces de terre. D’événement en événement, le réchauffement perturbera en fait l’ensemble du système climatique terrestre. On en a déjà de dramatiques illustrations avec l’intensification des feux de forêt et la désertification de certaines régions. L’Europe ne sera pas épargnée mais les modèles penchent pour un certain refroidissement dans un premier temps. Une parenthèse qui n’empêchera pas le réchauffement global de se poursuivre.

Glaciers suisses

Images satellite de la NASA en juillet 2021.

Nasa

- C’est irréversible?
- Ecoutez, comme je suis optimiste de nature, je pense que sous la contrainte et la torture (rire), nous parviendrons au mieux à stabiliser les choses, à défaut de les inverser. Même en stoppant net les émissions de CO2, par effet d’inertie, revenir à l’équilibre prendrait des centaines d’années. Donc, concentrons-nous déjà sur les seuils à ne pas dépasser, dont nous sommes très proches. Même s’il a fallu plus de quarante ans pour prendre conscience des dangers qui nous menacent, depuis les premières alertes des scientifiques à propos de la fonte des glaces polaires, l’espoir est permis.

Glaciers suisses

Image satellite de la NASA en juillet 2022. Constat: en un an les champs sont asséchés, la surface de neige réduite et les glaciers en recul. 

Nasa

- Si vous aviez un message à faire passer?
- Je dirais que ce n’est pas le moment de baisser les bras. J’ai rencontré récemment un groupe de jeunes qui parlaient de la fin du monde, d’une bataille perdue, donc inutile. Ce qui se passe cette année est certes impressionnant mais nous n’en sommes pas là. Se lamenter ne sert à rien. Il faut agir maintenant. Chacun de nous peut apporter sa contribution en modifiant sa manière de consommer, de vivre, de voter même. Les changements s’avéreront parfois douloureux, mais le monde et l’espèce humaine continueront d’exister. Sous quelle forme? Là est toute la question. La bonne nouvelle, c’est que partout sur la planète des gens ont pris conscience que nous avons vécu en surexploitant et en surconsommant des ressources qui s’épuisent. Du pétrole à l’eau, en passant par les forêts et les sols. Nous sommes de plus en plus nombreux à lutter et à travailler pour réparer les dégâts. Pour paraphraser le titre d’un film célèbre, je dirais que la situation est grave mais pas désespérée… 

>> A lire: «Glaciers, du Rhône au Mont-Blanc sous le même angle», Amédée Zryd, Hilaire Dumoulin, Nicolas Crispini, Ed. Slatkine

Par Christian Rappaz publié le 11 août 2022 - 08:31