«Lady Diana est comme une star de films muets. Elle a cette façon incroyable d’exprimer ses émotions sans parler. La princesse comprenait le pouvoir de sa propre image», confiait récemment Ed Perkins, le réalisateur de «The Princess», denier documentaire à se passionner pour la vie de Diana Spencer. Construit à base d’images d’archives, sans commentaires, le film ausculte la fascination d’un peuple et de ses médias pour l’épouse du futur roi d’Angleterre, entre son mariage à 20 ans, en 1981, et sa mort brutale sous un pont, en 1997. Seize années sous le crépitement furieux des flashs faisant de sa vie un «feuilleton télévisé national», selon Ed Perkins.
Un quart de siècle après sa dernière apparition dans les journaux, en maillot panthère, sur le yacht du milliardaire Dodi al-Fayed, du côté de Saint-Tropez, Lady Di est même devenue un mythe. Une héroïne aussi éblouissante et tragique que Marilyn Monroe, dont elle partage la blondeur, l’âge du décès (36 ans) et les douleurs existentielles causées par le cocktail délétère d’abandons et d’obsession publique. Comme la star américaine aussi, sa mort précoce nourrit toujours des fantasmes complotistes.
Lady Di aurait pu avoir le parcours lisse d’une Kate Middleton, elle est l’ultime figure romanesque des années 1990, et son aura de princesse rebelle nourrit une «Dianamania» inédite où l’on ne compte plus les hommages hollywoodiens. L’année dernière, Broadway lui a même offert une comédie musicale («Diana: The Musical», visible sur Netflix), tandis que la prochaine saison de la série «The Crown» (Netflix aussi) promet de s’attarder encore plus intimement sur ses tourments amoureux. Une série pourtant «ratée» au point d’être «distrayante» d’après Marc Roche, biographe royal basé à Londres depuis le début des années 1980, et notamment auteur du récent et corrosif «Les Borgia de Buckingham» (Ed. Albin Michel).
«Parce qu’elle ne saisit pas un aspect essentiel de Diana: c’est une aristocrate, rappelle le journaliste. Les Spencer sont même une des plus vieilles familles du royaume, encore plus aristocratique que la famille royale. Mais Netflix la présente comme une espèce de petite souris écrasée par le protocole, alors qu’elle a passé sa vie dans ce milieu.» Comme tous les mythes, celui de Diana a pourtant fini par l’emporter. Le sien commence par un mariage regardé par 750 millions de téléspectateurs, elle dans une robe aux manches plus gonflées que celles de Blanche Neige, lui couvert de médailles. Regards timides, joues émotives, Buckingham la vend comme l’héroïne d’une comédie romantique ayant conquis le cœur d’un prince.
Une héroïne Disney? «Plutôt Murdoch», rétorque la journaliste spécialisée Maud Garmy. Du nom du patron du célèbre tabloïd «The Sun», Rupert Murdoch… Puisque, en coulisses, tous les éléments dramatiques sont déjà là: le prince Charles aime en réalité Camilla, qui n’est pas à la hauteur des ambitions royales, aussi les grands-mères de Diana et de ce dernier ont arrangé leur union. Programmée pour sourire, la nouvelle Lady Di s’enferme dans une image, tandis que, en Grande-Bretagne, on réclame son brushing dans les salons de coiffure et que son regard bleu énigmatique orne les chambres de fillettes sur posters glacés. «Son éclat a vite éclipsé son mari qui, à l’époque, apparaissait comme un peu étrange: il parlait aux arbres, il s’intéressait aux médecines douces, avec un aspect tristounet. Charles a mal vécu cette Dianamania non-stop», poursuit Marc Roche. L’épouse est même érigée en bête de mode quand elle s’alloue les services d’Anna Harvey, styliste pour le Vogue britannique.
«Elle l’a beaucoup aidée à façonner son allure, très moderne, et lui a donné un sens de l’image et de la pose. Puisque tout cela, Lady Di l’a appris. Ses looks sont devenus éternels. On sentait qu’elle aimait la mode et qu’elle était en phase avec ce qu’elle portait, comme une Jackie Kennedy ou une Audrey Hepburn», observe Ilaria Casati, cheffe de la rubrique Mode du magazine «Elle». En accomplissant ses devoirs caritatifs avec enthousiasme, Diana devient également «princesse des cœurs». Une image fait notamment date: en 1987, alors que le VIH fait des ravages et que ses victimes sont violemment stigmatisées, elle serre la main des malades dans un centre de soins, tout en conversant longuement avec eux. Mais Diana est aussi une mère louve qui ne rate jamais une rentrée scolaire de William et Harry, mis au monde dès les premières années du mariage. La princesse se pointe à l’école en jean, on n’a jamais vu ça chez les royals. Ne manque plus à l’icône qu’une dimension humaine pour entrer dans la mythologie.
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Son vaudeville matrimonial, rebaptisé «guerre des Galles», lui assure ce statut, jusqu’à la saillie historique balancée à la BBC, lors d’une interview choc de 1995: «Nous étions trois dans ce mariage. Donc c’était un peu encombré.» Diana et Charles font chambre à part depuis longtemps, la reine ne veut pas d’un divorce, Diana étouffe, l’avidité pour ses déboires explose. «Elle est arrivée avec la naissance des paparazzis et des médias de masse, et sa légende s’est construite sur cette guerre des Galles, constate Maud Garmy. Elle a aussi beaucoup collaboré avec certains journalistes. Or plus on joue de son image, plus on rentre dans un enchaînement qui fait que l’on en perd aussi la maîtrise.» Au début des années 1990, Diana lâche tout en parlant d’adultère, de boulimie, de dépression, de tentatives de suicide. A l’opposé de la royauté froide et figée, elle expose son âme.
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«Aujourd’hui, à l’aune du mouvement «#MeToo», elle a même l’image de la première à avoir voulu parler pour dénoncer une institution, qui peut faire écho à une forme de libération de la parole. Puisque normalement, quand on signe avec la famille royale, c’est pour être celle qui reste assise à côté, sourit, élève les enfants et ne bronche pas sur les aventures de l’époux. Et il y a eu un phénomène d’identification et de projection massif face à ses failles béantes qu’elle a volontiers exposées. D’ailleurs, Meghan Markle a calqué ce schéma durant sa récente interview avec Oprah Winfrey», ajoute Maud Garmy. Sauf que, à l’époque, comme le montre le documentaire «The Princess», la période est beaucoup moins féministe.
Et après son divorce, en 1996, Diana s’était surtout brûlée à l’obsession collective, alors qu’elle vivait toujours à Kensington Palace, destinée à élever un futur roi (William), tout en se cherchant un destin de femme libre. «C’était une femme paranoïaque et isolée, vivant au milieu des complots de la famille royale, c’est quand même atroce», précise Maud Garmy. Sa mort soudaine lui a donné une dimension shakespearienne. Mais la passion Diana contemporaine s’arrête néanmoins aux portes du Royaume-Uni, assure Marc Roche: «Ce qui m’étonne le plus est le contraste entre cette fascination à l’extérieur et le fait qu’elle soit occultée ici. Car, après sa mort, il y a eu une politique délibérée du palais de reconquête de l’opinion, en faisant mousser le prince Charles, notamment pour faire accepter Camilla. Mais il existe surtout ici un attachement à la monarchie, qui représente une sorte de roc dans la tourmente, et une loyauté à la reine, qui a sacrifié sa vie personnelle à la charge. Il ne faut pas oublier que 80% du pays soutient la monarchie, et qu’ils sont légitimistes.
Au Royaume-Uni, les livres sur Diana ne se vendent pas, au contraire de ceux sur William, Harry ou la reine.» Le journaliste se demande même ce que Diana Spencer, qui aurait 61 ans aujourd’hui, serait devenue sans son tragique accident. «La réponse est la même que si la reine n’était pas devenue princesse héritière à l’âge de 10 ans: elle serait une personnalité dont le poids aurait diminué au fur et à mesure, une grande aristocrate se fourvoyant peut-être dans le monde des paillettes. Je ne crois même pas qu’elle aurait pu continuer son action caritative, car cela reste le vrai pouvoir de la famille royale et le légitimisme des Britanniques aurait suivi. Qui sait, elle serait peut-être devenue influenceuse?» Mais Diana Spencer est morte à 36 ans et chacun, même Netflix, peut broder sur son mythe à l’envi.