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Santé

Alexandra Calmy: «10% des personnes infectées par la variole du singe sont hospitalisées»

Les premiers cas de variole du singe en lien avec l’épidémie actuelle qui sévit en Europe et aux Etats-Unis ont été détectés au mois d’avril. En quelques mois, plus de 35 000 cas ont été rapportés aux autorités de santé publique dans 89 régions ou pays. La professeure Alexandra Calmy, infectiologue et responsable de l’unité VIH/sida aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) alerte sur ce virus pas si bénin.

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Alexandra Calmy

La professeure Alexandra Calmy est infectiologue et responsable de l’unité VIH/sida aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

Julie de Tribolet
Alessia Barbezat, journaliste de L'illustré
Alessia Barbezat

- Quelle est l’origine de la maladie?
- Prof. Alexandra Calmy: Elle a été identifiée pour la première fois chez un humain en 1970, auprès d’un enfant vivant en République démocratique du Congo. Les premiers cas en lien avec l’épidémie actuelle qui sévit en Europe et aux Etats-Unis ont été détectés au mois d’avril. En quelques mois, plus de 35 000 cas ont été rapportés aux autorités de santé publique dans 89 régions ou pays, dont la vaste majorité n’avait jamais été confrontée à ce virus.

- On peut entendre ou lire que les symptômes de la maladie (éruptions cutanées, pustules, fièvre, céphalées, grande fatigue) sont bénins. Est-ce la réalité?
- On entend parfois des propos comme: «Ce n’est pas très grave, on n’en meurt pas.» Il est vrai que le taux de mortalité est très faible mais cela n’en fait pas une infection bénigne pour autant! En fait, 10% des personnes infectées sont hospitalisées, parfois pour alléger des douleurs difficilement supportables. Les lésions cutanées sont parfois étendues et les muqueuses aussi touchées, provoquant des troubles majeurs au niveau oral, génital ou ano-rectal.

- Comment se transmet-elle?
- Par des contacts (cutanés) étroits ou intimes. Nous ne connaissons pas la part de transmission sexuelle en tant que telle. C’est pourquoi il est nécessaire de rester prudent et de se référer aux informations données par l’OFSP, car les connaissances évoluent rapidement. La maladie, sous sa forme actuelle, est apparue il y a seulement quatre mois dans les pays non endémiques et notre recul est donc bien faible. Avec ce virus, nous sommes dans une situation d’apprentissage. Quand on procède à des analyses sur les personnes infectées, on observe que le virus est présent dans le sperme, la gorge et les lésions cutanées ou encore le sang. La voie de transmission principale, toutefois, semble rester celle des contacts intimes avec la lésion cutanée ou muqueuse d’une personne infectée.

- Actuellement, dans les pays non endémiques, le virus touche en majorité les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes (HSH). Pourquoi?
- La variole du singe peut toucher tout le monde et d’ailleurs, dans les pays du continent africain où la maladie est endémique, elle a frappé et frappe toujours les hommes, les femmes et les enfants. Avec l’épidémie observée aux USA et en Europe, ce sont effectivement les HSH qui sont largement surreprésentés. A ce jour, c’est au sein de cette population que le virus circule. Pourquoi pas ailleurs? Je n’ai pas la réponse. Et pour être honnête, dans la gestion d’une épidémie, on ne devrait même pas se poser la question du type de population affecté pour agir rapidement. La Suisse est le sixième pays le plus infecté du monde par million d’habitants. Nous sommes déjà largement touchés.

>> Lire aussi: «La variole du singe a été la pire maladie que j’ai eue de toute ma vie» (témoignage)

- Et pourtant, le vaccin n’est toujours pas disponible en Suisse*. Ne serait-on pas en train de perdre du temps?
- C’est pour cela que j’interpelle les autorités et sensibilise l’opinion publique dès que j’en ai la possibilité. Les vaccins participent au contrôle de l’épidémie. Nous ne connaissons pas l’efficacité exacte des sérums, mais ce dont nous sommes sûrs, c’est que la plupart des pays du monde ont considéré que la vaccination faisait partie de la réponse à cette épidémie. La réponse de la Suisse n’est pas optimale car nous ne disposons pas de tous les outils nécessaires.

- Aux HUG, vous disposez dorénavant du Tecovirimat, un médicament antiviral qui permet de soulager les symptômes des personnes les plus sévèrement touchées. Il n’a pas été approuvé par l’OFSP, comment l’avez-vous obtenu?
- Ces médicaments ont été mis à notre disposition car les HUG participent à une vaste étude internationale pour mieux comprendre la variole du singe et son histoire naturelle. Nous avons aussi réclamé que, en plus des patients inclus dans cette recherche, nous puissions l’administrer à ceux qui souffrent d’une forme très grave de la maladie. On parle alors d’un usage compassionnel. En aucun cas nous n’avons voulu contourner la réponse officielle. Nous avons répondu à une urgence et cela ne remplace pas un approvisionnement centralisé en Suisse.

- Les milieux associatifs sont en colère contre l’attentisme de la Confédération.
- Et je les comprends, c’est très déstabilisant. J’attends une réponse politique de la Suisse. On ne peut demander aux patients d’aller se faire vacciner dans d’autres pays. Je partage le ressentiment des associations. C’est très important qu’elles se mobilisent. Avec l’expérience que nous avons avec le sida, nous avons constaté que l’utilisation du plaidoyer est essentielle pour obtenir ce à quoi nous pensons avoir droit dans notre système de santé.

* >> Le jour de la publication de cet article, le Conseil fédéral a annoncé la commande de 40'000 doses du vaccin du laboratoire Bavarian Nordic pour lutter contre la variole du singe.

Par Alessia Barbezat publié le 24 août 2022 - 08:14, modifié 24 août 2022 - 16:30