Après plus de deux années malmenées par la pandémie, doucement, les masques tombent. Mais un fait inquiète: la détresse psychologique semble en hausse constante, notamment chez les adolescents. Entre 2017 et 2021, la part des jeunes faisant état de troubles psychiques a ainsi plus que doublé, selon l’Observatoire suisse de la santé. «L’incidence des troubles anxieux notamment, déjà très répandus avant la pandémie, continue à augmenter chez les adolescents», alerte la Pre Susanne Walitza, directrice de la Clinique de psychiatrie infantile et juvénile et de psychothérapie, à Zurich, et membre du comité de la Société suisse de psychiatrie et psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent. Et parmi ces troubles: les phobies. «Le contexte anxiogène de ces deux dernières années a été un terreau fertile pour l’apparition de phobies, chez des jeunes au profil anxieux, mais pas seulement», note la Dre Marie Schneider, médecin-cheffe de clinique à l’unité Malatavie (partenariat Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) – Children Action). Aujourd’hui, même si une vie plus normale reprend, des séquelles demeurent. Peur panique des araignées, de la foule ou de tomber malade: décryptage d’un phénomène qui toucherait jusqu’à 10% de la population.
1. La phobie: pas une simple peur
La distinction entre peur et phobie est centrale. «La peur est adaptative, physiologique, phylogénétique (modifications génétiques des espèces au fil du temps, ndlr). Elle est ainsi justifiée par les circonstances liées à un danger ou une menace», explique la Dre Schneider. Dès lors, sentir son rythme cardiaque s’emballer à la vue d’une araignée aux airs de mygale dans son salon est aussi normal que biologique. «La phobie, elle, n’est pas adaptative. Il n’est en effet pas nécessaire à notre survie d’avoir par exemple peur de toutes les araignées que nous croisons», poursuit l’experte. Et d’en expliciter les contours: «On parle de phobie dès lors qu’une angoisse, une peur ou une répulsion sont systématiquement générées par un objet, une personne ou une situation bien déterminés.» Une exception à cette définition: la phobie scolaire, qui est généralement multifactorielle (lire encadré). Quant aux profils à risque, notamment du côté des adolescents: les tempéraments anxieux, la présence d’antécédents familiaux (parents anxieux ou en proie à des phobies) et expériences traumatisantes (en lien ou pas avec la phobie apparue) sont autant de facteurs favorisants.
2. Un cercle vicieux à ne pas sous-estimer
L’objet de la phobie étant bien défini, on pourrait imaginer que de subtiles stratégies d’évitement seraient la clé de la sérénité, mais il n’en est rien. «La phobie est envahissante et peut se muer en cercle vicieux redoutable pour la qualité de vie», poursuit la Dre Schneider. Ainsi, une peur de la foule peut par exemple inciter à éviter les transports en commun, obligeant à trouver d’autres solutions. Sauf que celles-ci, pas toujours évidentes, entretiennent elles-mêmes les ruminations anxieuses. Pire, si un jour le «plan B» est impossible, la confrontation à la situation phobique expose à une montée d’angoisse, renforçant à son tour la phobie.
3. Au départ, rien de plus normal…
Que penser alors de la peur des monstres, du noir ou de l’orage de Tom, 5 ans? Véritable angoisse, situation bien déterminée: ces frayeurs-là aussi remplissent tous les critères de vraies phobies et, pourtant, elles sont le plus souvent le signe… que tout va bien. «On parle d’anxiété ou de peurs liées au développement, elles sont tout à fait normales, rassure la Pre Walitza. Beaucoup d’enfants ont plusieurs peurs en même temps et le plus souvent l’objet des frayeurs est en lien direct avec leur développement mental. Les peurs typiques sont celles des animaux, de l’obscurité, des personnages imaginaires et des catastrophes naturelles. Avec l’âge scolaire, les peurs de l’école, de l’échec, des réactions négatives des autres et de la santé augmentent.» Et de préciser: «Relativement légères, l’anxiété ou les peurs liées au développement disparaissent généralement d’elles-mêmes.»
4. Le risque que la phobie s’installe…
Mais certaines peurs peuvent se cristalliser et se muer en véritables phobies. «La peur naît avant tout d’un sentiment d’impuissance, rappelle la Pre Walitza. Les enfants et les adolescents doivent donc développer des stratégies d’adaptation pour que certaines peurs passent. Et pour cela, la présence de modèles et de relations de confiance, notamment avec leurs parents, est essentielle pour partager autour des peurs, discuter des stratégies possibles pour y faire face, et qu’elles passent…»
5. Les ravages de la pandémie de Covid-19
Sauf que tout cet univers entourant enfants et adolescents a été malmené par la pandémie. «Parents, famille, école, activités extrascolaires: cet ensemble censé faire «tampon», préserver et soutenir les plus jeunes a été mis à mal et a pu dysfonctionner», souligne la Dre Schneider. Et d’ajouter: «Les tensions personnelles et intrafamiliales se sont intensifiées, alors même que les échappatoires permettant de gérer l’angoisse et de décompresser – salles de sport, cinémas, restaurants, etc. – demeuraient portes closes. Alors très vite, les souffrances se sont accrues, les consultations spécialisées ont été débordées par les demandes, renvoyant de nombreux jeunes et leurs familles à leurs difficultés.»
6. Bas les masques… et pourtant
Aujourd’hui, les lieux de vie ont rouvert, l’école a repris son rythme, mais ce n’est pas si simple… «Il n’a pas fallu simplement retrouver la vie d’avant, mais reprendre le cours des choses différemment», relève la Dre Schneider. Or les séquelles sont nombreuses et les consultations spécialisées restent saturées. De plus, pour beaucoup d’adolescents, le retour en présentiel, la pression des examens, le regard des autres engendrent une anxiété d’autant plus importante que la pandémie nous a aussi «déshabitués» de nombreuses composantes du quotidien. Tout cela peut faire le nid de symptômes anxieux inédits.»
7. Les phobies se soignent
«Les phobies doivent être traitées dès lors qu’elles entraînent une souffrance sévère et persistante chez l’enfant ou l’adolescent, entravent son développement ou déclenchent des problèmes en famille ou à l’école notamment», indique la Pre Walitza. Comment? «La prise en charge se décide au cas par cas, poursuit la Dre Schneider, mais trois axes principaux se dessinent: la thérapie comportementale et cognitive qui permet de «désensibiliser» de la phobie (à l’aide d’images, de stages, voire de la réalité virtuelle). Elle s’adresse aux personnes chez qui la phobie est bien circonscrite. La deuxième est la psychothérapie et se justifie lorsque la phobie s’inscrit dans un contexte plus large d’anxiété. Un troisième axe, si les symptômes persistent malgré la thérapie et que la qualité de vie est altérée, repose sur le recours à un traitement médicamenteux (anxiolytiques).» Et de conclure: «Plus une phobie est prise en charge tôt, plus grandes sont les chances d’atténuer ses effets avant qu’elle ne s’impose dans la vie de la personne.»
Témoignage: «Ce n’est pas que je ne voulais pas aller à l’école, c’est que je ne pouvais pas»
Face aux mauvais résultats scolaires de leur fils, Bertrand* et Carine* ont pris en 2018 la décision de le changer d’établissement. Le début de la descente aux enfers pour Gabriel*, 13 ans à l’époque.
On a voulu faire quelque chose «pour» lui, on ne se doutait pas que cela serait «contre» lui, raconte Bertrand. Petit à petit, Gabriel a commencé à montrer des signes d’inquiétude, d’angoisse, il pleurait quand il fallait partir le matin. Ça a été de pire en pire, jusqu’à ce que je doive le sortir physiquement de la voiture et le porter jusqu’à l’entrée de l’école.» Gabriel se souvient: «Ce n’est pas que je ne voulais pas y aller, c’est que je ne pouvais pas.»
Et son père de poursuivre: «Il était dans une vraie détresse. On ne le reconnaissait pas, il semblait éteint. Nous nous sommes posé beaucoup de questions: subissait-il du harcèlement, des violences? Apparemment pas…» Les parents de Gabriel se mettent alors à chercher un interlocuteur pour aider leur fils. «Mais nous nous sommes heurtés à deux murs: le manque de disponibilité des psychologues ou des psychiatres et une incompétence quasi généralisée sur la question de la phobie scolaire, regrette Carine. C’est après plusieurs échecs que nous nous sommes tournés vers le Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du Centre hospitalier universitaire vaudois.
«Le contact s’est noué tout de suite, se souvient Gabriel. Le psychologue qui m’a reçu était à l’écoute. Il n’a pas cherché à tout prix à comprendre d’où venait le problème, mais plutôt à me remettre sur les rails de l’école.» En parallèle de ce suivi, Gabriel a progressivement pu reprendre le chemin de sa classe dans son école d’origine, grâce à un réseau réunissant parents, doyenne, enseignante, infirmière scolaire et psychologue. «C’est lui qui décidait du rythme, chaque petit pas était une victoire», confie sa mère. Après avoir terminé sa scolarité avec le certificat obligatoire, le jeune homme est aujourd’hui apprenti bûcheron. «Toutes ces années ont été difficiles, mais j’ai gagné en maturité et en confiance en moi, avoue Gabriel. On a bien fait de ne pas abandonner.
Ado en souffrance: les signes à repérer
Face à un adolescent par essence en plein bouleversement tout à la fois psychique, hormonal et physique, comment faire la part des choses, côté parents, entre le «tout à fait normal» et la présence d’un profond mal-être? Tour d’horizon des signaux clés avec la Dre Marie Schneider, médecin cheffe de clinique à l’unité Malatavie (HUG-Children Action).
Phobie ou état d’anxiété envahissant entravant la vie familiale et/ou sociale
- Tristesse tenace
- Repli sur soi
- Consommation de toxiques (alcool, tabac, etc.)
- Echec scolaire
- Troubles du sommeil
- Troubles du comportement alimentaire
- Impossibilité d’échanger autour des difficultés avec les personnes «ressources» (famille, entourage)
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