Deux ans jour pour jour après avoir décrété au nom du Conseil fédéral l’état d’urgence et le semi-confinement du pays, le 16 mars 2020, Alain Berset a reçu, à Berne, les lectrices et lecteurs de «L’illustré» désireux de débattre avec lui de sa gestion de la crise sanitaire. Une rencontre qui s’est déroulée dans une atmosphère détendue, presque chaleureuse malgré le décor fastueux du Bernerhof, cet ex-hôtel de luxe situé dans le prolongement du palais abritant aujourd’hui le Département fédéral des finances. «Ne vous laissez pas impressionner par le prestige du lieu», a plaidé le ministre de la Santé et de la Culture, en accueillant avec simplicité et même une certaine bonhomie ses hôtes forcément un peu stressés. «Vous m’avez manqué. Je suis quelqu’un qui sort beaucoup, qui aime sillonner le pays à la rencontre des gens, qui prend le train, qui adore assister à des spectacles, des concerts. Autant de plaisirs dont nous avons tous été privés ces deux dernières années», a lancé en préambule le ministre fribourgeois, en saluant l’initiative de notre journal et en confiant son bonheur de se «retrouver autour d’une vraie table, avec de vraies personnes». Après avoir avoué ne pas avoir fait le lien avec la date anniversaire du semi-confinement, Alain Berset a répondu aux nombreuses questions de «ses» invités sans jamais laisser transparaître le moindre signe d’empressement. Au contraire, celui qui a incarné ces deux années de pandémie a poursuivi le débat au cours d’un apéritif qu’il a tenu à honorer, se prêtant volontiers à l’incontournable séance de selfies. Retour sur une page covid pas encore tournée…
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- Question de Mme Cécile Aguillaume: Cette pandémie a beaucoup changé la culture politique suisse, mettant le Conseil fédéral et vous-même en particulier sur le devant de la scène. Une situation qui a parfois dérapé via des attaques personnelles très violentes. Comment avez-vous géré cette période et pensez-vous qu’on puisse revenir à la sérénité?
- Alain Berset: Il me paraît évident que nous retrouverons les mêmes relations sociales qu’auparavant. A cet égard, je suis impressionné de voir comment le naturel revient au galop. Par exemple lors de la session (qui s’est achevée vendredi, ndlr), j’ai été frappé de constater avec quel plaisir les parlementaires se sont retrouvés, maintenant que la plupart des mesures ont été levées. Personnellement, je fais encore partie des personnes qui renoncent le plus souvent à la poignée de main et aux bises, mais je me sens de plus en plus esseulé. Cela dit, la pandémie n’est pas terminée. Il n’est pas exclu que la situation redevienne un peu compliquée cet automne. Mais ce qui nous semble être derrière, c’est la phase aiguë dans laquelle le fonctionnement de notre système de santé serait mis en danger.
Concernant les attaques personnelles, il est vrai que nous avons vécu des événements inhabituels. Et inacceptables. Ceci d’autant plus dans un pays comme la Suisse, avec un système politique unique au monde permettant à tous ses citoyens de remettre en question, dans les urnes, tous les objets votés par le parlement. Après, je n’aime pas trop évoquer ces attaques personnelles. Je dirais simplement que lorsqu’on vous menace, vous vous interrogez sur le sens de votre engagement, vous vous demandez pour quelle raison vous et votre famille devriez supporter ce genre de pression. Heureusement, ça va beaucoup mieux aujourd’hui.
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- Question de Mme Jacinthe Jeannerat: Avez-vous craint pour votre vie et êtes-vous encore sous protection?
- Non. Parce que j’ai été très bien accompagné par une équipe très efficace et que j’ai eu la chance d’être soutenu par mon entourage, ainsi que par celles et ceux dont c’est le métier. Je pense aux divers services qui ont assuré ma sécurité, qui tous ont fait un très gros travail. Ce qui m’a permis de rester concentré sur mes tâches. C’était le plus important.
- Question de M. Roberto Lopez Nieto: Avez-vous connu des moments de doute et pensez-vous avoir toujours mis la jauge au bon endroit, notamment sur la question du passe sanitaire?
- La réponse à la première question est simple: tout le temps! Le doute vous assaille en permanence. Et c’est assez usant, je dois dire. Vous êtes constamment en train de vous demander ce qu’il aurait fallu faire autrement. J’ai porté une centaine de propositions au Conseil fédéral, qui toutes nous paraissaient justifiées au vu des éléments dont on disposait au moment de la décision. En même temps, nous ne savions pas grand-chose du virus ni de comment nous allions réagir face à une situation aussi nouvelle et aussi brutale. Raison pour laquelle j’ai toujours appréhendé mon mandat avec beaucoup d’humilité et de modestie. Etre confronté à des informations contradictoires m’a beaucoup aidé. J’ai fonctionné comme une éponge, récoltant un maximum d’avis afin de prendre les meilleures décisions pour le pays. Je crois pouvoir dire que nous nous en sommes pas trop mal tirés. Grâce au certificat sanitaire introduit à l’automne, on a pu lisser les pics et éviter que la situation ne devienne hors de contrôle, comme elle l’a été chez certains de nos voisins. Ensuite, début février, face à l’extrême contagiosité du variant Omicron, on a compris qu’on ne pourrait plus complètement contrôler son évolution et que le certificat perdait son utilité.
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- Question de M. Julien Billeter: Comment expliquer la pénurie de masques au début de l’épidémie et comment ne pas mettre en question la pertinence des spécialistes qui prétendaient qu’ils n’étaient pas utiles?
- Il est vrai qu’à cette époque, au printemps 2020, les spécialistes n’étaient pas du tout unanimes. Beaucoup affirmaient que porter un masque n’était pas une bonne idée. N’étant pas épidémiologiste, j’ai suivi ce conseil. Avec le recul, on peut hocher de la tête – comme vous le faites – car il s’est vite avéré que cette appréciation était erronée. Après, beaucoup ont prétendu que nous nous étions cachés derrière cet argument parce que les masques manquaient. Or cela reviendrait à dire que le capitaine d’un bateau avec 3000 personnes à bord, mais ne disposant que de 500 gilets de sauvetage, expliquerait aux passagers que ces gilets sont inutiles, simplement parce qu’il n’y en a pas assez. Croyez-moi, si le port du masque avait été conseillé, on aurait immédiatement demandé aux gens de tout faire pour se protéger au mieux, jusqu’à constitution des stocks. On s’est trompé trois semaines sur deux ans et cela a été vite corrigé. D’autres choses n’ont pas bien fonctionné. Mais il y a aussi eu beaucoup de succès, sur lesquels on ne me questionne presque jamais. La vaccination par exemple.
- Question de M. Julien Billeter: Une pandémie est-elle soluble dans le fédéralisme?
- Si vous lisez la loi sur les épidémies, la répartition des tâches est très claire. En cas de pandémie, ce sont les cantons qui doivent faire face, notamment pour gérer les hôpitaux et le matériel. La Confédération est quant à elle responsable des achats de vaccins et de médicaments. Cela dit, quand le Conseil fédéral a pris la main, sa première préoccupation a été de la rendre au plus vite. Mais pourquoi avons-nous dû prendre les devants? C’est assez simple: fin février 2020, nous avons contacté les cantons qui s’apprêtaient à vivre de grandes manifestations, comme Genève et son Salon de l’auto, Bâle et son carnaval, d’autres encore. Face à l’évolution de la situation, il leur incombait d’annuler ces événements, ce qui – pour des raisons de proximité – était très compliqué pour eux. Ils nous ont répondu que ce serait plus simple si la décision venait du Conseil fédéral.
Nous avons beaucoup appris et accumulé beaucoup d’expérience au cours de ces deux années. Les achats de vaccins pour 2023 ont été sécurisés, ainsi qu’une foule d’autres éléments qui devraient nous permettre de gérer les phases suivantes dans le cadre de nos structures fédéralistes habituelles. Vouloir conserver le pouvoir au sein du collège signifierait s’installer dans la peau d’un pays centralisé et cela ne fait pas du tout partie de notre ADN politique.
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- Question de Mme Myriam Martens: J’ai été surprise par les prises de position publiques d’un de vos collègues suite à certaines décisions. Estimez-vous que la collégialité a parfois été violée au sein du Conseil fédéral? Et comment expliquez-vous la cacophonie entre les cantons en matière de mesures?
- Le Conseil fédéral fonctionne presque comme autour de cette table. Nous sommes dix: sept conseillers fédéraux, un chancelier et deux vice-chanceliers. Nous nous rencontrons toutes les semaines, on se connaît bien, on s’apprécie sur le plan humain. Il arrive souvent que nous mangions ensemble après les séances, où nous débriefons et plaisantons, histoire de mettre un peu d’humour après des séances souvent très longues. Les rapports humains sont donc très sains même si les approches politiques sont différentes, d’ailleurs moins que ce qu’on imagine de l’extérieur. Un problème ne se résout pas avec des dogmes. Les solutions sont souvent assez évidentes et il faut faire avec, que ça plaise ou non. Maintenant, il arrive que certaines dissensions traversent les murs du palais. Jusqu’où va la collégialité? A chacun et à chacune d’interpréter son rôle à l’aune d’une population dont le message est plutôt «on attend de vous que vous gériez ça en une équipe, unie et solidaire». Ce message est aussi une piqûre de rappel pour celles et ceux qui veulent s’exprimer plus librement.
Concernant la soi-disant cacophonie intercantonale, on se souvient en effet de la période où les restaurants bernois étaient ouverts alors que ceux du Jura étaient fermés, ou encore des différences de fonctionnement entre Genève et Vaud. Tout cela est inhérent au fédéralisme. De fait, nous avons réalisé un exercice grandeur nature durant deux ans. Il doit désormais être analysé en profondeur, afin d’éviter ce genre de dysfonctionnements si la situation devait se représenter.
- Question de M. Paul Nicolet: Avez-vous été tenté de paraphraser Emmanuel Macron et d’emmerder les non-vaccinés jusqu’au bout?
- (Rires de la salle.) Non, pour moi, la vaccination doit rester un acte volontaire. C’est une liberté individuelle à laquelle je suis très attaché. La rendre obligatoire comme l’ont fait certains pays voisins m’a étonné. Cela dit, se faire vacciner ou pas est une décision qui a des conséquences. Risquer de subir des effets secondaires dans le premier cas, ou se retrouver à l’hôpital ou aux soins intensifs dans le second, puisqu’il est avéré qu’avec le variant delta par exemple, les non-vaccinés avaient un facteur vingt à trente fois plus élevé de subir des complications. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de rendre le certificat vaccinal obligatoire. Et puis, n’oublions pas qu’avec 2 millions de passages frontières par jour pour 8,5 millions d’habitants, la Suisse et l’un des pays les plus ouverts et connectés du continent. Imaginer qu’on puisse la mettre sous cloche est un leurre. Au début de la pandémie, on m’a dit «vous êtes nuls, regardez l’Islande!» Sauf que l’Islande est une île. Il n’y a que deux moyens pour s’y rendre, la mer et les airs. Et c’est facile à contrôler. Tant pour le programme de vaccination que pour le reste des mesures, nous avons toujours essayé de trouver un chemin propre à la Suisse, en restreignant le moins possible la vie des gens. Même au pic de l’épidémie, il n’y a jamais eu d’interdiction de sortir de chez soi. Si on compare le vécu quotidien des capitales européennes, la Suisse est un des pays qui a été le moins fermé.
- Question de Mme Iloé Debétaz: Cette pandémie a non seulement révélé les lacunes matérielles mais aussi et surtout en termes de personnel hospitalier qualifié. Que fait le Conseil fédéral pour anticiper le problème puisque cette pandémie n’a pas dit son dernier mot?
- Vous avez deux fois raison. Cette pandémie n’est pas terminée et il nous a manqué beaucoup de choses, lors de la première vague essentiellement. Et pas que des masques. Nous avons également passé tout près d’une pénurie du médicament qui permet de maintenir les gens dans le coma artificiel lors d’une intubation. Un dossier qui me réveillait la nuit. Je dois aussi vous avouer que nous avons même craint pour l’approvisionnement alimentaire du pays, alors que la production était à l’arrêt chez certains de nos partenaires. Concernant le personnel, nous ne savions pas au début que le virus créerait de tels problèmes en soins intensifs. Se procurer des respirateurs artificiels n’a jamais été un réel souci, par contre trouver assez de personnes sachant les faire fonctionner a été une autre paire de manches. Cela dit, c’est toute la politique du système de santé qui a été remise en cause. Imaginez, si on s’était retrouvé à cette même table avant la crise, avec 30% des contingents des soins intensifs se tournant les pouces. On m’aurait dit «c’est n’importe quoi de dépenser tout cet argent pour rien». Il est vrai que le système a évolué vers une forme d’économicité qui ne permet pas d’absorber des chocs tels que celui que nous avons vécu. A nous d’en tirer les enseignements. On travaille désormais avec les cantons sur des modèles plus flexibles. Il faut créer des passerelles entre le secteur des soins traditionnels et les soins intensifs. Mais encore faut-il trouver des candidates et des candidats. Cela prend du temps. Dans le meilleur des cas, une formation spécifique aux soins intensifs prend deux ans.
- Question de Mme Iloé Debétaz: Conformément à la loi covid et à l’initiative sur les soins acceptée par le peuple, il faut en effet développer la mobilité du personnel médical. Qu’allez-vous entreprendre concrètement pour la mettre en place?
- Le problème est qu’en décembre, quand le parlement a confié au Conseil fédéral le soin de s’occuper de cette question, il a expressément refusé que la Confédération finance quoi que ce soit. Dès lors, je me vois mal imposer un modèle aux cantons. Notez que cela ne change rien au fond de l’affaire. Les cantons sont conscients de la situation. On leur a rappelé récemment encore à quel point il est important qu’ils soient bien préparés pour l’automne. Qu’ils puissent engager des collaboratrices et collaborateurs supplémentaires et, à plus long terme, de pouvoir en former davantage. Jusqu’à maintenant, nous avons eu la chance de pouvoir compter sur le personnel étranger que nos pays voisins ont eu la courtoisie de ne pas réquisitionner au plus fort de la pandémie. A ce sujet, je tiens à rappeler que trois de nos cinq grands hôpitaux, Genève, Lausanne et Bâle, en sont fortement dépendants. Maintenant, il serait faux de se préparer à la prochaine crise en pensant qu’elle sera identique à celle qui se termine. Car s’il y a une chose qui paraît à peu près sûre, c’est qu’elle sera différente, même si c’est une pandémie.
- Question de Mme Cécile Aguillaume: Les milieux culturels ont mal vécu le fait de ne plus pouvoir partager leur art avec le public mais également de se voir rétrogradés au rang d’activité non essentielle, alors qu’on pouvait faire ses courses sans problème. N’y a-t-il pas eu deux poids et deux mesures?
- Vous ne m’avez jamais entendu dire qu’il y avait des domaines qui n’étaient pas essentiels. Jamais. Ensuite, la question qui s’est posée à nous en mars 2020 était celle-ci: comment faire pour limiter les contacts quand, de surcroît, on ne connaît rien d’un virus et qu’on n’a pas de vaccin? Ne plus pouvoir acheter de quoi se nourrir n’était pas possible, par contre, il a fallu fermer à peu près tout le reste. Ce que nous avons fait le 16 mars 2020 avant d’annoncer, quatre jours plus tard déjà, des soutiens économiques très importants pour permettre aux secteurs concernés de traverser la crise. Vous savez, la culture m’est très chère, tant dans mes activités professionnelles que privées. Je suis conscient qu’elle a beaucoup souffert. Mais reconnaissez que cela aurait été compliqué de fermer les écoles, et de laisser ouverts les théâtres, les musées et les salles de spectacle.
- Question de M. Julien Billeter: Le Conseil fédéral a-t-il l’intention de définir des secteurs stratégiques où la Suisse doit pouvoir assurer son approvisionnement?
- C’est une question importante à laquelle le parlement nous demande d’ailleurs de répondre. On constate aujourd’hui qu’avec le temps, nous avons perdu des capacités de production. Cela dit, la pandémie nous en a fait gagner de nouvelles. Je pense en particulier aux vaccins, avec l’association entre le fabricant de Moderna et Lonza, en Valais. C’est une collaboration qui classe la Suisse – selon la Banque mondiale – au 13e rang des pays en termes de capacité de production de vaccins.
- Question de M. Roberto Lopes Nieto: On dit que la Suisse possède 15 millions de doses de vaccin dont l’expiration se profile. Va-t-elle les revendre ou les offrir à des pays moins favorisés?
- Nous avons acheté suffisamment de doses pour en être pourvus jusqu’en 2023, y compris avec les donations prévues pour les pays dont l’accès aux vaccins est plus compliqué, à travers le système Covax. Il faut aussi rappeler que chaque vaccin coûte une fraction de ce que coûte un test. Quand la pandémie sera derrière nous, nous aurons d’ailleurs davantage dépensé pour les tests, qui ne nous sortent pas de la pandémie, que pour les vaccins.
- Question de Mme Cécile Aguillaume: La pandémie a eu des effets sur la santé mentale de la population, chez les jeunes en particulier. Comment appréhendez-vous ce phénomène?
- Le problème est sérieux. Les possibilités pour les jeunes et les enfants d’accéder rapidement à des thérapeutes sont beaucoup trop réduites. Nous avons alerté les milieux psychiatriques pour remédier à ce phénomène qui s’est aggravé de manière inquiétante avec la crise sanitaire. Malheureusement, on ne peut pas sortir toutes les solutions d’un chapeau. Mais cela fait partie de nos préoccupations prioritaires.
«La levée des dernières mesures le 1er avril n’est pas remise en cause»
Alain Berset répond aux questions d’actualité.
- La nouvelle hausse des cas d’infection et des hospitalisations risque-t-elle de vous inciter à prolonger l’obligation du port du masque dans les transports publics et l’isolement des personnes positives?
- (Alain Berset empoigne son smartphone et vérifie sur-le-champ si nos propos sont avérés. Avant de les valider.) Je dispose de ces données constamment à jour et je constate en effet une petite augmentation des hospitalisations. Mais cela reste parfaitement gérable. Le goulet d’étranglement s’est toujours formé aux soins intensifs et, actuellement, le taux d’occupation y est deux fois moins important qu’il y a cinq semaines (moyenne sur sept jours). Et à cette période, c’était déjà deux fois moins qu’à la fin décembre. Vu la saisonnalité du virus et l’immunité collective qui augmente jour après jour, je m’attends à une vraie détente. Peut-être pas pour tout de suite, mais dans les prochaines semaines. Il n’y a donc a priori pas de quoi remettre en cause les décisions qui ont été prises.
- Au cours de l’échange, vous avez à plusieurs reprises reconnu, avec une sincérité qui vous honore, qu’avec le recul vous auriez fait certaines choses différemment. Lesquelles par exemple?
- Conformément au dicton selon lequel on est toujours plus intelligent après qu’avant, je pourrais vous en citer plusieurs. La première qui me vient à l’esprit est la fermeture des écoles. Etait-ce vraiment approprié? Parfois, vous êtes contraint de prendre des décisions sans savoir si le remède sera pire que le mal. Je me console un peu en me disant que ce n’était pas possible de faire autrement, car les cantons étaient eux-mêmes en train de fermer les écoles. Le pire aurait été que certains agissent alors que d’autres renoncent, engendrant ainsi un certain chaos. Quand j’ai senti venir cela, tout en constatant que les pays voisins – qui avaient affirmé ne pas vouloir fermer les écoles – finissaient quand même par s’y résoudre, alors j’ai compris qu’on n’y échapperait pas. Et qu’il faudrait le faire de manière ordonnée. Mais, honnêtement, les conséquences de cette décision pour les élèves devront encore être analysées.
- Au terme de ces deux années, de quoi êtes-vous le plus fier?
- Fier n’est pas le bon mot. Je dirais qu’il y a des choses que nous avons mieux réussies que d’autres. Par exemple cette capacité à ouvrir un dialogue entre le Conseil fédéral et la population. Dans son immense majorité, celle-ci a compris les décisions et les a appliquées au mieux, ce qui a d’ailleurs permis de rendre les restrictions moins dures qu’ailleurs. Le bilan général est encore à venir mais, à en croire les évaluations internationales, nous nous en sortons plutôt bien, y compris en termes de surmortalité. Le fait d’avoir maintenu les domaines skiables ouverts malgré l’opposition de nos voisins s’est également avéré judicieux je crois. Mais notre plus grand succès a trait à la vaccination. Grâce à un travail acharné des équipes, nous avons très vite détecté les sociétés susceptibles de trouver rapidement un vaccin. Nous avons fait nos premiers choix alors que personne n’en parlait dans le public. La stratégie vaccinale de la Suisse, c’est sans doute ma plus grande satisfaction.
- Et quel a été votre pire moment?
- Nous avons travaillé comme des fous, parfois quasi vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme quand nous avons dû réagir à des décisions prises au milieu de la nuit par l’Italie. Et quand, après ces mois de pression et de tension, vous subissez les pires menaces qu’on puisse imaginer, alors oui, c’est difficile. Il y a eu un moment où je me suis dit: «Mais pourquoi tu fais tout ça?» Emotionnellement, cela a été dur à surmonter. Je n’y serais jamais parvenu seul. Aucune chance. Heureusement, je suis très bien entouré. Avec mes équipes, nous avons vite repris le dessus.