Yvan Attal et Charlotte Gainsbourg se sont rencontrés à l’occasion des essais du film d’Eric Rochant «Aux yeux du monde». La même année, à la mort du grand Serge, son père, le 2 mars 1991, la comédienne n’a pas encore 20 ans. Elle est brisée par le chagrin. Gainsbourg est l’icône que tout le monde s’approprie et la voilà brusquement dépossédée. «Dès que j’ai vu Charlotte, j’ai été séduit», confie Attal, acteur et réalisateur de «Mon chien Stupide», troisième film avec sa compagne. «Le seul regret que j’ai dans la vie depuis que je vis avec elle, c’est que je n’écoute plus la musique de son père. Elle n’y arrive pas. La voix, c’est quelque chose de tellement vivant.» Vingt-huit ans déjà qu’il est parti, l’exacte durée de son couple, devenu l’une de ses meilleures sources d’inspiration.
Manipulatoire et jubilatoire exercice
A travers ses films avec Charlotte Gainsbourg, Yvan Attal est passé maître de la mise en abyme. Un exercice manipulatoire et jubilatoire. «Ma femme est une actrice» (2001), «Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants» (2004) et désormais «Mon chien Stupide» forment une trilogie entre la réalité intime supposée de deux êtres et la fiction. «Claude Berri m’avait proposé de le réaliser en anglais il y a vingt ans. J’avais lu le roman de John Fante, mais je suis passé à côté, faute de vécu. Peter Falk devait en être le héros.
Aujourd’hui, à 54 ans, c’est moi qui ai l’œil qui tombe», dit-il, l’index sur la paupière droite. «C’est le genre de rôle que l’on attend impatiemment depuis l’âge de 20 ans. J’ai pris de l’épaisseur, dit-il, tapotant sur son ventre. Mais la seule façon de progresser pour un comédien, c’est d’évoluer humainement.»
Coproduction suisse…
La reprise des commandes de l’adaptation passe par la Suisse. «Georges Kern a apporté les droits du livre, ce qui est énorme.» PDG et actionnaire de la marque horlogère Breitling, il est coproducteur de son premier long métrage où le personnel et l’universel se rejoignent. L’usure du couple, la crise de la cinquantaine, chacun s’y reconnaîtra. Attal, lui, s’y connaît, surtout lorsqu’il s’agit d’éducation. «J’ai eu une proximité avec mes enfants un poil toxique. La distance que mon père avait avec moi était bien plus rassurante.» Il a même rencontré la fille de John Fante. «Elle m’a confié qu’il racontait à table, le soir venu, ce qu’il avait écrit sur sa famille la journée.» Des horreurs!
Le cinéaste a confié le rôle de l’aîné à son fils Ben. La confrontation entre le père déboussolé et le jeune fumeur de pétards est d’une justesse savoureuse. Dans le registre du «mentir vrai», les époux au bout du rouleau Henri et Cécile (Yvan et Charlotte) partagent un joint sur le canapé du salon. La scène désopilante est déjà culte. Et, lorsqu’ils se déchirent inexorablement, sentiments à nu, ils nous emportent dans les larmes.
Pièges déjoués
Attal colle à la fantaisie de Fante et déjoue un à un les pièges de l’adaptation. Il a déniché le chien idéal, Stupide le baveux, élément déclencheur, ressort comique et scabreux. Le regard mangé par les plis, obsédé, homosexuel, le mâtin napolitain est, en bras armé de son maître, substitut de son impuissance sexuelle et autoritaire, d’une rare photogénie.
Enfin, le pianiste américain Brad Mehldau, fidèle pour la troisième fois au Français, signe une B.O. d’une poignante délicatesse. Ses envolées culminent sur les images tirées des vraies archives du couple. Le narrateur semble avoir tout perdu au moment où la fiction pérennise le réel. «On fait des films pour ça aussi, conclut Attal. Ma famille est là, réunie pour toujours.» Et pour le meilleur.
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