Oublions les flonflons du bal de l’Eurofoot, même si le 2 juillet aurait pu être institué la Saint-Sommer si la Suisse avait gagné contre l’Espagne, tant ce gardien fut surnaturel. Au siècle dernier, il avait 4 ans et participait à son premier entraînement sur le terrain de campagne de Herrliberg (ZH) quand son coach demanda qui voulait aller au but. Comme son père et son oncle avaient été portiers, le bambin leva sa menotte et entra dans la cage. Il y est toujours.
>> Lire aussi: Quatre pour un quart
C’est lui qui fait désormais le malheur des plus terribles canonniers de la planète, avec pour victime notable Kylian Mbappé, dont il a détourné le funeste tir au but, la nuit folle du 28 juin à Bucarest. Cela dit, juste après son arrêt, il a vérifié que l’arbitre était d’accord. C’est un respectueux, Yann Sommer, un bien élevé.
>> Lire également: Yann Sommer: «Je vis toujours complètement dans le moment présent»
Question caractère, il n’a pas grand-chose à voir avec les têtes de lard qui choisirent d’occuper ce poste de solitaire, les Lehmann, Grobbelaar ou Chilavert, personnages à la limite du caractériel qui flanquaient la frousse à leurs propres défenseurs. Yann Sommer, lui, se tient bien, c’est un rassembleur et un humaniste. Aussi parce que, au début de sa carrière, il a pu compter sur le soutien de joueurs plus âgés. «Aujourd’hui, j’essaie de faire pareil avec les jeunes. Je me sens la responsabilité de les entourer.»
S’il se distingue, c’est dans son approche extraordinairement saine de la vie et du sport. En plus d’entraîner la force, l’endurance ou les exercices spécifiques aux gardiens, il a ainsi intégré le mental et la méditation à son programme hebdomadaire. Utilise une application spéciale pour sa concentration, sa coordination. Ses poussées de perfectionnisme vont jusqu’à le faire exercer les muscles des yeux.
Son autre particularité se niche dans son assiette. Ce fils unique a pris de ses parents, dont un père cuisinier hors pair, l’amour de la table et des bons produits. «Le repas du soir était notre rendez-vous quotidien, un moment sacré où l’on se retrouvait tous les trois en famille pour parler et passer du temps ensemble. L’été, on avait l’habitude de partir en vacances dans une maison en Provence. C’est là-bas que j’ai découvert les marchés de produits frais, la bonne huile d’olive et le vin», dit-il dans L’illustré en 2017.
Son food blog, qu’il a arrêté, a longtemps célébré ce bonheur d’épicurien. Ses petits-déjeuners sont cultes. Il décrit comment, le matin, il ne boit jamais de café mais de l’eau fraîche avec beaucoup de citron ou de l’eau chaude avec une infusion de gingembre fraîchement coupé. Puis comment il prend tout son temps. Commence sa journée par un exercice de relaxation en écoutant le gazouillis des oiseaux par la fenêtre grande ouverte. Puis prépare paisiblement des mueslis d’anthologie, à base de graines de lin et de chanvre, de myrtilles ou de baies de goji séchées.
Rien de mieux avant la fureur des stades. Nul doute que sa famille profite de ce père nature. En plein Euro, il s’est éclipsé du camp romain des Suisses pour découvrir sa deuxième fille, Nayla. Puis il est rentré et a enfilé son maillot pour se dresser devant les cavalcades turques, françaises et espagnoles.
Depuis, il n’y en a que pour lui. Les Romands, si pauvrement représentés, se consolent en apprenant que ce héros au sourire si doux a poussé ses premiers vagissements à l’hôpital de Morges, où il est né. Il a ensuite vécu à Saint-Légier et à Aclens jusqu’à l’âge de 3 ans, car son père avait décroché un emploi à Lausanne, chez Publicitas. Il en a gardé un joli vocabulaire, choyé avec des internationaux comme Djourou ou Fernandes. Et une affection pour les Romands, qu’il trouve «tranquilles et détendus».
Surtout, il dégage une impression d’équilibre. Ses parents, dont il est proche, lui ont enseigné une certaine idée de l’indépendance. «A 17 ans, quand j’ai quitté la maison pour aller jouer à Vaduz, j’ai tout de suite su me débrouiller. Maintenant encore, je dois être le seul joueur de mon équipe à savoir faire tourner une machine à laver.» La nature et les animaux l’entourent. Sa mère Monika, notamment, pratique le shiatsu pour chevaux. Elle va dans les écuries pour les soigner. Il a ainsi cultivé un côté altruiste, peu courant dans le milieu volontiers égocentrique du sport d’élite.
«J’admire les gens qui donnent de leur temps, de leur argent et de leur énergie pour aider les humains et les animaux qui n’ont pas eu les mêmes chances que d’autres au départ. J’aimerais le faire plus tard, quand ma vie me le permettra.» Comme François Hollande, il est un gardien normal, qui ne se ruine ni en voitures ni en shopping. Le seul domaine où il concède quelques folies pécuniaires demeure l’alimentation. Les produits qu’il achète doivent être de belle qualité.
Il aime l’architecture, aperçue quand il a refait sa maison: «J’ai travaillé sur la conception du jardin, j’ai réalisé à quel point les arbres sont fascinants.» On l’y imagine gratter sa guitare, dont il joue volontiers, ou pousser la chansonnette, car il prend des cours de chant. Et si vous tombez sur lui, il vous prendra peut-être en photo: il a l’habitude d’emporter un petit appareil pour, dit-il, «capturer des souvenirs qui, autrement, se perdraient dans le rythme effréné de notre vie quotidienne».