La semaine dernière, Vaud (j’adore dire «Vaud» tout seul, on dirait une personne avec un prénom très moche) lançait la blitzkrieg de l’année sur internet: la vaccination pour djeun’s. Tout y était. Un site avec un X trop «Xtrem» dans le nom («CoronavaX, frère!»), un lien qui pop dans les groupes WhatsApp avec la mention «Magnez-vous le cul!», une quantité pas limitée mais qu’on dirait que oui et une page à rafraîchir toutes les deux secondes parce que 17 h 40, 17 h 50, 17 h 60 et 23 h 20 avaient l’air disponibles mais en fait plus. Aux chiottes le scepticisme et la peur de se transformer en serveur Microsoft, lundi dernier, tout ce qu’on voulait, c’était mettre son «vax» dans le panier et balancer une capture d’écran de sa prouesse sur les réseaux.
De ma propre mémoire, jamais je n’ai autant souhaité un produit médical. Bien sûr, on ne crache jamais sur un petit schlouk de morphine après une opération des ligaments croisés, ni sur un Alka-Seltzer salvateur trois jours de la semaine sur sept, mais le niveau de hype du «vax» a dépassé toutes mes attentes. A l’heure de ma piquouse (vendredi dernier 20 h 40, entre l’apéro et l’apéro), Moderna, Pfizer, AstraZeneca, ARN messager ou ADN prophétique, peu m’importait. Pour faire intelligent, je demandai quand même au manoillon de la PC, d’un air grave: «C’est lequel?», mais la vérité, c’est qu’il aurait pu me répondre «un excellent riesling de 92» que mon enthousiasme n’en aurait en rien été entamé. J’étais là, en train de vivre mon rêve, l’expérience la plus stylée de notre temps, la collab «Rebecca Ruiz X OFSP», et c’était grand.
Quelle histoire, tout de même, ce «vax»! On l’aura rêvé, on l’aura trouvé «quand même là un peu vite malgré tout enfin c’est super mais bon quand même c’est pas un peu tôt?», on se sera impatientés dans un mélange d’excitation et de crainte («Il arrive quand, que je le fasse pas?»), on se sera engueulés, on aura cagué sur Berset plus que de raison, on aura vu les mémères qui faisaient leurs courses à la Mig’ avec le masque sous le menton et les pépères négationnistes se faire vacciner avant nous, mais en fin de compte, il est là, et on le voulait depuis le départ. Et oui, peut-être qu’il ne sert à rien contre le futur variant bhoutanais ou contre la souche prussienne dont on parlera sans doute dans deux semaines, peut-être qu’on se transformera tous en cobras mutants disruptifs zombifiés dans trois ans, mais avouez que là, maintenant, ça fait plaisir d’avoir mal à l’épaule. Ça bouge enfin, nom de bise! Soyons heureux!
Bien sûr, je pourrais vous parler ici du concours de zizis un peu ridicule entre Vaud («Vaud») et Genève, du «passeport vaccin», de la merdicité des pharmas et de l’attitude absolument dégueulasse de la Suisse à propos de la levée des brevets permettant de rendre accessibles les «vax» aux pays en développement, mais on le sait déjà, que le monde va mal. On le redira une autre fois. Aujourd’hui, c’est jour de fête. Y a de l’espoir, y a du souffle, y a du retour à la normale, y a des terrasses. Y a de la flotte aussi, mais ça passera. Et y a ce SMS.
«MARGUET YANN né.e le 21.09.1984 a été vacciné.e contre la maladie du COVID-19.» Tout y est beau. L’utilisation des majuscules, la solennité de la date de naissance qui donne l’impression d’être Duncan McLeod du clan des McLeod, le fait qu’ils ne disent pas «la» covid et, par-dessus tout, enfin une bonne nouvelle après l’année la plus triste que ma génération et bien d’autres aient vécue. Et les quelques écailles qui poussent sur mon avant-bras droit depuis hier ne m’empêcheront pas de m’en réjouir.