Oui, bon, ben en français, «voyager dans l’espace», ça faisait trop de mots, on perdait l’effet «verbe», ça marchait moins. Même pas encore commencé à écrire que vous m’emmerdez déjà, c’est pas vrai! En plus, c’est pas avec nos conquérants spatiaux broyards qui se boutent le feu à la première occasion (remembering Pascal Jaussi) que Payerne va devenir le nouveau Houston, TX. Non, la conquête de l’espace, c’est aux States que ça se passe, donc cette semaine, à l’instar de tous les connards avec un peu de sous dans une dizaine d’années, nous spacetravelerons.
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Ça y est! Deux mois après Jeff Bezos, parti bézer le cosmos à bord de son grand phallus blanc en juillet, c’était la semaine dernière au tour de quatre inconnus d’aller faire les malins en orbite pendant trois jours. Les «touristes de l’espace», comme on les appelle avec force créativité, étaient composés – je vous le donne en mille – d’un milliardaire et de ses trois invité·e·s: un vieux bidasse, une prof d’uni et une assistante médicale rescapée d’un cancer (trop joli, elle a failli mourir, maintenant elle est dans les étoiles, la vie, quand même, des fois, je te jure…). Le but de la mission: rien branler, mais dans l’espace. Comme Thomas Pesquet, mais sans les diplômes.
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Eh oui, parce que l’espace, pas besoin d’avoir quelque chose à y foutre. Le simple fait d’y être est déjà stylé. «On a marché sur la Lune!!» «Pourquoi faire??» «Oui.» Tout est totalement zinzin, dans l’espace! Le premier chien dans l’espace! Le premier homme dans l’espace! La première femme dans l’espace! Les quatre premiers couillons dans l’espace! Historique! Tout ça pour, nous dit-on sur RTS Info, «prouver que le cosmos n’est pas réservé à des équipages d’astronautes triés sur le volet et formés durant des années». «Pourquoi faire?» «OUI! On t’a déjà dit! C’est pas vrai, celui-là, avec ses questions!» Sans compter que si j’étais astronaute, ça me ferait quand même un peu mal aux fesses. Deux cents ans d’études pour voir Jo la Frite et ses potes arriver là-haut et me faire coucou depuis la vitre quand on croise, ça doit picoter. Aérospatiale is the new photographie.
Pendant trois jours et pour la modique somme d’une dizaine de millions de dollars, nos quatre spacetravelers brandés SpaceX auront donc fait 45 fois le tour de la Terre… Connaissant l’être humain, je me demande après combien de tours quelqu’un aura craqué pour demander le code du wi-fi. «Oui, ben j’ai compris! Là c’est le Mexique, là c’est l’Inde, quand il fait jour d’un côté il fait nuit de l’autre et en fait on voit pas la muraille de Chine… Quelqu’un peut télécharger Gravity, maintenant?» Dans l’espace, personne ne vous entend vous faire chier, mais c’est pas grave, WE DID IT!
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De retour sur Terre, surprise, rien n’avait changé. C’était toujours la merde. Après son périple interstellaire, le susnommé Jeff Bezos, homme le plus riche du monde, avait confié en conférence de presse avoir été «abasourdi» par «la fragilité de la Terre». Tellement abasourdi qu’il en a même oublié de réduire la voilure avec sa multinationale et de faire en sorte que ses employé·e·s arrêtent de se suicider en raison de leurs conditions de travail. Que nous apportera cette fois la prouesse des «touristes de l’espace»? De beaux selfies? Une soirée diapos? Des anecdotes croustillantes («Ce qui est fou, quand on pète en apesanteur…»)? Ou alors une phrase, peut-être… «C’est un grand pas pour moi-même, mais un petit pas pour… c’est quoi, le mot, déjà? Oh, peu importe, remettez-moi un peu de champagne!»