«Attention, c’est pas très fiable…» Ça commence bien. Après le masque (qu’on sait pas bien s’il sert à quelque chose), le fait d’avoir déjà eu le virus (qu’on sait pas bien si ça nous immunise) et l’obtention du vaccin (qu’on sait pas bien s’il protège de tous les variants), nous accueillions la semaine passée avec tambours et trompettes le dernier venu dans la famille Quonsaitpasbiensi: l’autotest. Disponible en pharmacie depuis mercredi dernier par packs de cinq, le petit nouveau n’aura pas tardé à faire honneur à sa lignée puisque, à peine venu au monde, on savait déjà pas bien si.
Moi qui étais déjà en train de rédiger un mot de félicitations pour la naissance du petit à l’attention de la matriarche de la famille, le covid lui-même – qu’on sait pas bien s’il tombe par terre ou s’il flotte dans l’air après plus d’une année de causeries et de recherches –, j’ai dû rapidement ranger mon stylo Montblanc (celui des grandes occasions) pour m’adonner en lieu et place à ma nouvelle passion: déchanter.
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C’est une publication sur le compte Instagram RTS Info qui m’a permis de pratiquer une nouvelle fois cet art que je maîtrise chaque jour un peu plus (l’entraînement paie) depuis le début de la crise. Cette dernière mettait en scène un Suisse alémanique sous-titré «Patrick Mathys – Chef de la section Gestion de crise» qui expliquait en substance que l’autotest, c’était de la daube. 830 «J’aime». Décidément, les goûts des internautes m’étonneront toujours.
Cela dit, force est de constater, en se documentant ça et là, qu’il n’a pas tout tort, mon Patoche. Si j’ai bien compris, le «PCR du pauvre» exige une charge virale danielbrélesque dans les naseaux pour chantonner la vérité avec fiabilité. Si tout le monde le fait, et avec ne serait-ce que 10% de faux négatifs, cela laisserait donc une quarantaine de milliers de pestiférés en liberté prêts à répandre le chaos et la désolation entre les Grisons et Genève. Pas terrible.
En outre, si l’utilisation de l’autotest se résume à: «Trop beau, je suis pas enceinte!» ou, à l’autre extrémité du continuum: «Merde, il faut que j’appelle Denis…», pour terminer quoi qu’il arrive à la poubelle (je schématise), comment continuer le si précieux travail de traçage entamé par les autorités sanitaires depuis plusieurs mois? Ajoutez à cela notre faculté de simples mortel·le·s à réaliser notre autotest comme des tablards (n’est pas «Maître ennaseur» qui veut) et on peut légitimement se demander si le milliard dégagé par la Conf’ ne lui aurait pas servi une énième fois à autotester sa faculté de se saborder elle-même.
Car il est bien là, ce que mon philosophe intérieur a envie d’appeler «le paradoxe de Patrick», et de le résumer par un syllogisme: Patrick, c’est la Confédération (qui lance les autotests); Patrick n’a pas tellement foi en les autotests; donc la Confédération (qui lance les autotests) n’a pas tellement foi en les autotests. C’est pas beaucoup plus compliqué que ça. Certes, si l’inventeur ou l’inventrice du bidet avait été aussi transparent·e sur l’inutilité de sa trouvaille, on aurait peut-être gagné un peu de place dans les salles de bain, mais dans le cas présent, on parle de santé publique et d’argent du contribuable.
Pourquoi alors investir le PIB du Vanuatu dans une combine aussi bancale quand on sait à quel point ces ressources pourraient être utiles à d’autres secteurs en crise? Pour rassurer? Pour avoir bonne conscience? Pour montrer que «les choses avancent»? Je ne sais pas trop. Patrick, un mot? «Eh bien, c’est-à-dire qu’on sait pas bien si…» Merci, Patrick. Qu’à cela ne tienne, j’y réfléchirai en allant faire tester mon autotest chez un testeur agréé. En attendant, j’espère quand même qu’on saura un jour «un peu mieux si», parce que là, je commence joliment à trouver le temps long.
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