Je n’ai jamais compris pourquoi on s’était mis à fêter Halloween ici. On ne décore pas assez les rues et les maisons pour qu’on ait l’impression d’y être, pas tous les gamins le font et les adultes s’en branlent tellement que seul un foyer sur quinze pense généralement à acheter des bonbecs pour l’occasion. C’est l’Amérique en nul. Si on n’a pas envie, il faut pas le faire. Je sais pas si vous savez, mais on n’est pas obligé… Chaque année depuis le début du millénaire, on dirait que ça fait chier tout le monde – les magasins les premiers, si j’en juge par les trois toiles d’araignée factices qui ondoient mollement sous les climatiseurs des supermarchés – alors je vous le demande: ne serait-il pas temps de fêter la mort de la fête des morts sous nos latitudes?
C’est pas dans nos gènes, ça se sent. Les soirées costumées sont merdiques. Les filles sont déguisées en connes et les mecs en rien du tout. «C’est quoi, ton costume, Stéphane?» «C’est moi-même, mais avec une cicatrice sur la joue.» Super, merci d’être venu. Ça picole comme d’habitude mais habillé rigolo. Trop marrant. La fête est plus folle quand on a une perruque, il faut croire. Sans compter qu’en Suisse on est déjà déguisé en trous du cul à l’année, c’est pas un maquillage de lion qui va changer la donne. Et le but, rappelez-moi, c’est d’effrayer ou de baiser? Je demande parce que les infirmières sexy, ça va un moment… J’ai jamais compris le délire. «Je lave des vieux qui ont fait caca au lit, je recouds des arcades sourcilières, je dors pas et je suis sous-payée…» «Grrrr… Continue, ça m’excite.» Non mais flinguez-vous, les fans d’Halloween, on saura au moins quels morts on fête.
Même les gens qui ne m’énervent pas m’énervent. J’en veux pour preuve Jean-Louis, qui éveillait jadis en moi une sympathie certaine avec son tube «D’façon, je déteste les fêtes commerciales…». Aujourd’hui, je sais qu’il va le dire et ça me donne envie de me pendre. Au moins, il est dans le thème. Et que dire de Pastou, qui provoquait jusqu’alors l’hilarité chez les anti avec sa façon si «millième degré» de prendre Halloween à contrepied à l’aide de ses déguisements ironiques. «Je comprends pas le vieux costard avec marqué Canal+ et le fait que tu traînes une perfusion à roulettes l’air fatigué… T’es qui?» «Je suis Philippe J’ai l’dass…» Je n’en peux plus. Achevez-moi maintenant avec une courge lausannoise contaminée aux dioxines et je jure de ne pas vous hanter sur cent générations.
Ne croyez pas que j’oublie les enfants, je classais juste mes paragraphes par ordre croissant de pénibilité. «Des bonbons ou la vie!!!» «J’ai pas de bonbons. Tiens, voilà un couteau, prends-le et bute-moi, je te regarde.» «…» «J’attends.» «…» «C’est bien ce que je pensais. Allez, dégage, Buzz l’Eclair!» Ça fait les bonhommes habillés en Freddy Krueger, mais ça chiale deux heures si vous piquez un Milky Way dans leur écuelle de petits clodos hypoglycémiques. Commence par dominer ta peur de dire bonjour quand tu croises les voisins dans l’escalier et on causera de faire une soirée épouvante après. Si vous voulez faire peur à vos gamins, faites-les regarder le téléjournal une fois par jour et répondez sincèrement à leurs questions sur Bolsonaro, c’est plus effrayant que les citrouilles et ça rend moins obèse que les fraises Tagada.
Quelle tristesse. Comme si ça suffisait pas de se taper le changement d’heure qui fait que le soleil se couche à midi et demi, il faut encore se farcir Halloween. Ou comment commencer le merveilleux gâteau de déprime du mois de novembre par une cerise de consternation. Je suis misanthrope, je sais. C’est saisonnier. Si ça vous bouscule, dites-vous que j’étais déguisé en Michel Houellebecq. La période est difficile et le sera encore quelques mois, mais je vous aime quand même. Promis, si le Grand effondrement ne se produit pas entre aujourd’hui et le mois de février, je vous le montrerai à la Saint-Valentin. Bonne semaine.
>>Lire aussi sa précédente chronique: Yann Marguet: «Echouer»