Le «barber» est fortuit, n’y voyez pas un sens. L’occasion fait le larron et le nom de la comédienne «du moment» se prête bien à la création d’un infinitif néologique, voilà tout. Pour rappel, l’amuseuse est sous le feu des critiques en raison d’une vidéo pour le journal «Le Temps» jugée transphobe par beaucoup. Pas par moi, si je suis parfaitement honnête, mais ne faisant pas partie de la population souffrant – ni même pouvant souffrir – des propos tenus par l’humoriste, je vous propose d’ores et déjà de prendre mon avis à ce sujet et de bien me le mettre où je pense pour tout le reste de ce papier. Ce n’est pas dans le monde merveilleux de mon opinion dont tout le monde se fout que je vous emmène aujourd’hui, mais ailleurs. Suivez-moi… dans le monde de la prise de parole publique à caractère humoristique.
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Contrairement à plein d’autres choses dont je pourrais/pourrai/ai pu parler, voilà une thématique que je maîtrise à 100%, puisqu’il s’agit de mon quotidien, dimanche compris. Je mange humour, je bois humour, je dors humour, je chie humour. Pardonnez la vulgarité du dernier venu dans cette liste, mais le terme me semble inévitable pour comprendre la réalité d’un·e humoriste de profession: si l’on veut pouvoir en vivre, il faut chier de l’humour. A la pelleteuse de chantier. C’est à mon sens la différence fondamentale entre vous, public, et nous, clowns. Certes, vous auriez peut-être fait mieux sur tel ou tel sujet; bien sûr, en sortant d’un spectacle, vous pourriez être déçu·e qu’il ou elle soit allé·e trop ou pas assez loin; naturellement, votre si belle sensibilité (je le dis sans ironie et avec un amour pour l’Humanité que j’espère palpable) peut être heurtée par une vanne, un gag, un jeu de mots, une imitation, une caricature…
Mais là où vos traits d’esprit provoquent le rire (ou l’ire) de quelques ami·e·s en soirée, là où votre dernière saillie sur «Facebook» génère une poignée de likes et quelques commentaires amusés («Sacré Francis!»), les nôtres ont un impact qui met une grande partie de notre vie en jeu. Et comprenez-moi bien: c’est le contrat que l’humoriste conclut tacitement avec le public, nous le savons. A tout le moins, nous l’apprenons petit à petit en découvrant jour après jour vos réactions, vos plébiscites, vos critiques, vos déceptions, votre amour, souvent, et votre haine, parfois. Et celle-ci, parlons-en. Depuis l’avènement des réseaux sociaux, rares sont les publications ne se soldant pas par au moins un «Pas drôle», «Nul à chier» ou «Il faut rire où?». C’est pas grave. On lit, on encaisse, on se blinde, on se protège en développant des stratégies différentes selon notre personnalité… Wiesel répond à tout. Moi à rien. Et on continue les deux, ça veut bien dire qu’on accepte.
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L’erreur serait de croire que cela nous laisse indifférent·e·s. Dans un pays comme la Suisse, l’idée selon laquelle les artistes sont entouré·e·s d’une équipe de relations publiques et de gestion d’image relève du pur fantasme. C’est bien dans la solitude que nous affrontons ces fois où nous avons raté notre cible et nous trouvons publiquement désavoué·e·s par une personne ou tout un groupe. C’est d’ailleurs seule que Claude-Inga Barbey s’est présentée il y a une semaine au débat d’Infrarouge spécial «Peut-on rire de tout?» dont elle était l’objet. C’est en tant que Claude-Inga Barbey qu’elle a affronté ses contradicteurs qui, de leur côté et sans critique aucune, n’étaient «que» des représentants d’un groupe et d’un combat. C’est Claude-Inga Barbey et pas un avocat des droits des Claude-Inga Barbey qui a tenté de défendre son image écornée.
Je ne cherche en aucun cas ici à relativiser le combat d’un groupe oppressé et à minimiser une souffrance au profit d’une autre. Juste à dire que, dans ce cas précis et certainement du fait de mon statut, mon empathie n’a pas de camp. Qu’on soit jeune ou vieil·le humoriste, dans le coup ou «has been» (même si ça aide pas), inconnu·e ou très suivi·e (même si ça aide pas), on peut toutes et tous claudingabarber à un moment ou à un autre. Les règles changent, les codes évoluent, les sensibilités se désinvisibilisent, mais, malgré tout, le faux pas reste humain. A la fin de la journée, tout ce qu’on voulait, nous, c’était faire rire. La mission peut échouer et la responsabilité nous en incomber, mais j’aime à croire que notre cœur et nos intentions sont à la bonne place. Ce serait en tout cas bien de ne pas présumer du contraire.