Quarante-neuf virgule cinq degrés. Dans la région de Vancouver (ou «Vancouvre», si vous faites partie des gens qui disent «Schtoudre» pour «Studer»). De mon côté, la plus grosse tiaffe qu’il m’ait personnellement été donné d’endurer à ce jour reste un joli cinquante-deux. Et c’était pas dans une bourgade canadienne connue pour sa qualité de vie et la fraîcheur de ses bulots mais dans la vallée de la Mort, en Californie. Avec mon pote Maxime, on est sorti de la Kia de location, on s’est regardé quelques secondes et on est retourné dans la Kia de location. Direction San Francisco et ses quinze degrés à l’année, finies les conneries désertiques. Aucune montagne ou cactus rare ou je ne sais quelle saloperie géologique prévue au programme ne valait la peine de se faire cuire le cul par Satan himself. A cinquante-deux degrés Celsius, les priorités changent vachement, mine de rien.
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La différence entre Vancouver et la vallée de la Mort, c’est que la première vient d’un nom de famille hollandais qui veut dire «Gués des vaches» alors que la deuxième signifie comme son nom l’indique «vallée dans laquelle on meurt». Ça a le mérite d’être clair et le gros malin qui s’y baguenaude sans sa Vichy Célestins ne pourra s’en prendre qu’à lui-même s’il commence à souffrir de combustion spontanée. «Vancouvre», c’est autre chose. A Vancouvre, y a des gens qui aiment bien faire un tennis, des fois. Et pis on y bosse, à Vancouvre. On y boit des verres, on y rigole, on s’y balade, on y fait son footing, on y lit un livre dans un parc. On y vit, à Vancouvre, on y clamse pas. Du moins, on n’y fait pas que ça. C’est pour ça que ça s’appelle Vancouvre et pas «la Ville du Trépas». Mais ça, c’était avant il y a trois semaines.
A Vancouvre, en juillet, normalement, il fait vingt-deux. C’est moins que chez nous. Chez nous, à vingt-deux, on dit «il fait bon», à vingt-sept, on dit «il fait trop chaud» et à trente-deux, les vendeurs d’Interdiscount disent «désolé, on n’a plus de ventilateurs». Imaginez-nous à cinquante! Il y aurait une guerre civile et les survivant·e·s iraient vivre à poil dans une forêt à La Brévine. Ou alors on voterait. Je sais pas sur quoi, mais c’est ce qu’on fait ici quand on a les boules. Pourtant, si Vancouvre l’a fait, on aurait tout aussi bien pu tomber sur la case «canicule apocalyptique» en lançant la grande roue de la crise climatique cette année. Nous, en Suisse, cette année, on a eu de la «chance», on s’est «juste» tapé un été de merde et des inondations. Pas de morts subites, pas de feux de forêt, pas d’inquiétude pour Grand-Papa et Grand-Maman… Mais à quand notre tour?
Je n’ai jamais été un négationniste du changement climatique, ni même vaguement sceptique à son égard, mais j’avoue que cette info-ci a malgré tout eu sur moi l’effet d’un réveil assez brutal. Je me suis rendu compte que les messages martelés par la jeune Greta et les rapports annuels du GIEC avaient constitué jusqu’à présent pour moi un genre de «bruit de fond» géo-politico-médiatique, un truc qu’on entend sans entendre, comme une radio allumée pendant qu’on prend sa douche. Et soudain, tout résonne et prend du sens. «Shit just got real», comme disait Martin Lawrence dans Bad Boys 2. On le savait déjà, on y croit enfin: la race humaine va s’éteindre. A fortiori à grande chaleur plutôt qu’à petit feu.
En lisant la semaine dernière dans la presse que les émissions de CO2 atteindraient d’ici à 2023 des niveaux record, cela ne fait plus de doutes. A défaut d’aller vers le beau, on va vers le très chaud. La mondialisation, après avoir fait en sorte que l’on trouve tout, tout le temps et partout, aura même fini par permettre l’import-export de spécialités météorologiques locales. La température du désert de Gobi au Canada, la mousson indienne à Yverdon-les-Bains… Pas facile de trouver une conclusion amusante à tout cela comme il en est l’usage dans cette tribune, ni même de donner une leçon quand on n’est pas un exemple de probité écologique; alors je me contenterai d’un bon mot en rapport avec la thématique de cette chronique: les carottes sont cuites.