Bonjour,
De la défense de Pierre Maudet à celle d’un jeune assassin, l’année judiciaire de la grande pénaliste genevoise Yaël Hayat a été intense et riche d’enseignement. Mais ce sont les dérives, dit-elle, liées aux affaires à caractère sexuel qui auront été sa plus grande source d’inquiétude.
Patrick Baumann
Yaël Hayat, grande pénaliste genevoise, s'inquiète particulièrement des dérives liées aux affaires à caractère sexuel.
Anoush Abrar«Chaque procès, on l’aborde avec une même appréhension, le même émoi, mais celui de Pierre Maudet, dont j’ai rejoint en début d’année l’équipe de défense, aura été pour moi l’un des temps forts de 2021. Ce qu’un avocat redoute le plus dans la défense d’un personnage médiatique, ce sont justement les médias. Il y a tout ce qui a été dit et écrit avant le procès. A la frénésie de l’instance médiatique s’ajoutait ici celle de l’instance politique. La chute, la disgrâce, le bannissement. Tout cela était d’une violence rare. Combien de fois avait-on condamné Pierre Maudet avant même qu’il ne franchisse la porte du prétoire? C’était en quelque sorte un procès à rebours, il fallait avant tout défricher, se désencombrer de tout ce qui nécessairement entravait la raison, parvenir à retrouver un regard cristallin, celui qu’un juge doit porter sur chacune des personnes qui occupent le banc des accusés, restituer cette innocence présumée singulièrement malmenée. Je savais qu’on jugeait l’homme d’Etat et que c’était inédit, mais il m’importait que l’on juge aussi l’homme et que l’on fasse une place à l’imperfection. Les salles d’audience sont remplies d’êtres imparfaits, cela ne fait pas d’eux des coupables. Il était d’abord là, l’enjeu. Permettre un examen serein des actes. Avec Fanny Margairaz et Grégoire Mangeat, ses codéfenseurs, nous avions la conviction que, si Pierre Maudet était jugé sur ses actes et non sur ses premiers mots, il serait acquitté. Cette conviction est intacte.
>> Lire à ce propos: Pierre Maudet: chronologie d'une sombre affaire
Cette affaire n’a pas encore connu son dénouement, mais on peut déjà en tirer nombre d’enseignements. C’est un des temps forts de cette année.
Une année riche et intense avec des défenses très disparates… Je retiens les victoires, bien sûr, celles qui vous portent, mais aussi les échecs, ces moments où on n’a pas réussi à convaincre et qui font partie de votre mémoire, du métier d’un pénaliste. A Fribourg, j’ai défendu un jeune homme condamné pour assassinat à une très lourde peine; je voulais que le regard des juges se pose davantage sur lui, sur son histoire de vie, que sur son acte. Je n’y suis pas parvenue, cela fait partie des verdicts aux lendemains difficiles.
Une de mes grandes inquiétudes de l’année 2021 est liée à tout ce qui touche aux affaires à caractère sexuel. Je défends principalement des hommes dans ces situations et je trouve très effrayant ce nouvel évangile pseudo-féministe né de la mouvance #MeToo qui voudrait nous dispenser de penser. Je me considère comme féministe, mais celui de la lignée d’Elisabeth Badinter, de Gisèle Halimi, pas ce féminisme guerrier qui ressemble à de la misandrie dressant la femme contre l’homme, qui balance ses porcins au nom d’une dignité reconquise, comme si on pouvait retrouver de la dignité en offrant à la vindicte des êtres. Au départ, je trouvais que ce mouvement était un éveil légitime, un sursaut, mais sa façon de muter, sa façon de fracasser des hommes sous parure de justice m’amène à réaliser qu’il s’agit d’une défiance, d’un mépris des institutions, en particulier des institutions judiciaires, une sorte de dictature de la pensée.
Je ne sais pas si une parole qui balance libère les femmes mais, en tout cas, elle enferme à perpétuité des hommes dans une mort sociale, sans même qu’ils aient pu se défendre. Quelle régression! La justice se prononce dans les prétoires et nulle part ailleurs. Il faut encourager les femmes à exprimer un refus lorsque le désir n’est pas partagé, à dire non, à repousser; là est la dignité. Les femmes sont des résistantes, pas des balances! Il faut se redresser! Ma crainte pour 2022 serait que l’on cède à cette dérive, que l’on bouleverse les acquis en changeant la loi, que l’on renverse les garde-fous, la présomption d’innocence, la présomption de consentement, que les hommes n’osent plus courtiser les femmes, que les femmes n’osent plus être courtisées, que l’étreinte charnelle devienne un acte notarié, qu’on ne lise plus les poèmes de Ronsard, de Baudelaire. Cela augurerait des lendemains très moroses…»
Avec sa chanson «Tout l’univers», le Gruérien de 22 ans Gjon’s Tears a représenté la Suisse en finale du Concours Eurovision de la chanson à Rotterdam. Il décroche la 3e place, premier Suisse à finir sur le podium de la compétition depuis 1993, 22 mai 2021, Rotterdam:
Robin Van Lonkhuijsen/EPA/Keystone«On sent chez ce garçon une sorte de rage, de force, de persévérance, ce n’est pas un hasard s’il s’est retrouvé sur le podium de l’Eurovision, d’ailleurs je pense qu’un jour il pourrait bien tutoyer les étoiles car il y a chez lui quelque chose de très lumineux. Sa chanson «Tout l’univers» me fait penser que même s’il n’appartient pas à mon univers musical, il s’invite, il charme et il suffit de l’entendre une seule fois pour la retenir! Ce titre est forcément un bon présage.»
Luna Reyes, 20 ans, une secouriste de la Croix-Rouge espagnole, console un migrant sénégalais arrivé à bout de forces à Ceuta, en Espagne, à la frontière avec le Maroc. Après la publication de cette photo, elle a été harcelée et insultée sur internet. Face à ce torrent de haine, les réseaux sociaux ont vu émerger en réponse le hashtag #GraciasLuna… 18 mai 2021, Enclave de Ceuta, Espagne:
Bernat Armangue/AP/Keystone«Un jour, forcément, il faudra faire un état des lieux et on devra tirer le bilan de cette tragédie. Cette photo m’inspire cette phrase tirée du Talmud qui dit: «Celui qui sauve une seule vie sauve le monde entier.» J’aimerais être cette femme-là. Elle mérite une médaille et non les crachats. Je voudrais défendre cette femme, mise sur le banc des accusés pour avoir été là, dans l’immensité de la solitude et de la détresse de cet homme, la défendre envers et contre tous ces abrutis qui n’ont pas pris la mesure de ce geste. J’ai un infini respect pour elle.»
Mort du pilote de moto fribourgeois Jason Dupasquier, 19 ans, 29 mai 2021, Grand Prix d’Italie en Moto3, circuit du Mugello, Scarperia:
Claudio Giovannini/EPA/Keystone«Je me suis dit en regardant cette image qu’il y a dans cet univers un panthéon pour les hommes qui transforment leur vie en destin. Des êtres comme ce jeune homme, que je ne connaissais pas, qui vivent de leur passion, et voilà que la fatalité fait irruption et donne à cette passion les traits d’un destin. La seule chose qui s’impose à moi, c’est le silence, après le vrombissement d’une vie qui s’achève trop tôt.»
58 femmes au Grand Conseil neuchâtelois, 25 mai 2021, Neuchâtel:
David Marchon et Lucas Vuitel/ArcInfo«La photo en jette! C’est un acquis qui résonne, j’aime voir ces femmes au cœur de la vie. J’aime ce féminisme-là, celui qui élève à un rang, à une stature, où l’on s’impose par sa pensée, par ce que l’on veut être et non par des quotas ou des slogans.»
La crue saisonnière du Gange expose les tombes des morts liés au Covid-19:
«Une photo vaut mille mots, dit-on, et c'est particulièrement vrai ici. On a tous relu «La Peste» d'Albert Camus après l'apparition du Covid-19, en réalisant que nous étions tous pris dans le même destin collectif. Pourtant, et c'est un paradoxe, ce n'est pas si vrai. En Occident, nous avons pu enterrer nos morts, on s'est débrouillés comme on a pu mais on l'a fait! Ici, le rite funéraire n'est même plus possible et c'est désolant. Cette photo nous ramène à cette réalité: nous ne sommes pas égaux devant le covid.»
Ritesh Shukla/Getty Images
Le personnel soignant à bout de forces, quinze mois après le début de la pandémie. En cette Journée internationale des infirmiers, l’équipe des soins intensifs de l’hôpital MontLégia, à Liège, a décidé de protester contre le manque d’aide du gouvernement belge, 12 mai 2021, Liège, Belgique:
Valentin Bianchi/AP/Keystone«Il arrive un moment où les applaudissements ne suffisent plus. Je n’ai pas été surprise par l’acceptation de l’initiative sur les soins infirmiers. Il fallait une reconnaissance à la mesure de leur héroïsme, tout simplement! C’est un message très important qui a été donné.»
Incendies de l'année en Grèce:
«Cette image pourrait être un terrible oracle qui assombrit chaque été les terres grecques. Il serait temps qu'Héphaïstos se retire pour laisser intacte la beauté des lieux et préserver le peuple mis à l'épreuve par ce fléau.»
Valerie Gache/AP/Keystone
Une cabine de téléphérique se décroche: 14 morts, un seul rescapé, Eitan, 6 ans, qui a perdu toute sa famille, 23 mai 2021, Stresa, Italie:
AP/Keystone«C’est une affaire très cruelle, qui nous fige dans la consternation; tous les éléments de la tragédie sont réunis, le destin frappe avec cette disparition brutale de la famille de cet enfant et, à ce malheur, s’ajoute l’intervention des hommes et ce conflit où deux familles, deux lignées, s’arrachent sa garde. On est véritablement aux confins de la tragédie, c’est une affaire qui suscite énormément d’empathie. Il faut espérer que la vie soit plus tendre avec ce garçon. On ne peut s’empêcher de penser que c’est désolant de ne pas réussir à s’entendre pour adoucir l’avenir de cet enfant.»
L’artiste français JR installe un trompe-l’œil spectaculaire en face de la tour Eiffel, 20 mai 2021, Paris:
Christophe Aubert/Bestimage/Dukas«Cette photo est juste sublime et me fait regretter de ne pas l’avoir vue in situ. Il y a l’altitude, la profondeur, tout est réuni! Cela m’a fait penser à cette phrase de Nietzsche lorsqu’il dit que «nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité». Et moi, j’adore quand l’œil est trompé, c’est une façon de nous plonger dans un ailleurs pour dépasser la réalité morose, on en a besoin en ce moment! C’est aussi une façon de retrouver un regard dessillé.»