«Chaque procès, on l’aborde avec une même appréhension, le même émoi, mais celui de Pierre Maudet, dont j’ai rejoint en début d’année l’équipe de défense, aura été pour moi l’un des temps forts de 2021. Ce qu’un avocat redoute le plus dans la défense d’un personnage médiatique, ce sont justement les médias. Il y a tout ce qui a été dit et écrit avant le procès. A la frénésie de l’instance médiatique s’ajoutait ici celle de l’instance politique. La chute, la disgrâce, le bannissement. Tout cela était d’une violence rare. Combien de fois avait-on condamné Pierre Maudet avant même qu’il ne franchisse la porte du prétoire? C’était en quelque sorte un procès à rebours, il fallait avant tout défricher, se désencombrer de tout ce qui nécessairement entravait la raison, parvenir à retrouver un regard cristallin, celui qu’un juge doit porter sur chacune des personnes qui occupent le banc des accusés, restituer cette innocence présumée singulièrement malmenée. Je savais qu’on jugeait l’homme d’Etat et que c’était inédit, mais il m’importait que l’on juge aussi l’homme et que l’on fasse une place à l’imperfection. Les salles d’audience sont remplies d’êtres imparfaits, cela ne fait pas d’eux des coupables. Il était d’abord là, l’enjeu. Permettre un examen serein des actes. Avec Fanny Margairaz et Grégoire Mangeat, ses codéfenseurs, nous avions la conviction que, si Pierre Maudet était jugé sur ses actes et non sur ses premiers mots, il serait acquitté. Cette conviction est intacte.
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Cette affaire n’a pas encore connu son dénouement, mais on peut déjà en tirer nombre d’enseignements. C’est un des temps forts de cette année.
Une année riche et intense avec des défenses très disparates… Je retiens les victoires, bien sûr, celles qui vous portent, mais aussi les échecs, ces moments où on n’a pas réussi à convaincre et qui font partie de votre mémoire, du métier d’un pénaliste. A Fribourg, j’ai défendu un jeune homme condamné pour assassinat à une très lourde peine; je voulais que le regard des juges se pose davantage sur lui, sur son histoire de vie, que sur son acte. Je n’y suis pas parvenue, cela fait partie des verdicts aux lendemains difficiles.
Une de mes grandes inquiétudes de l’année 2021 est liée à tout ce qui touche aux affaires à caractère sexuel. Je défends principalement des hommes dans ces situations et je trouve très effrayant ce nouvel évangile pseudo-féministe né de la mouvance #MeToo qui voudrait nous dispenser de penser. Je me considère comme féministe, mais celui de la lignée d’Elisabeth Badinter, de Gisèle Halimi, pas ce féminisme guerrier qui ressemble à de la misandrie dressant la femme contre l’homme, qui balance ses porcins au nom d’une dignité reconquise, comme si on pouvait retrouver de la dignité en offrant à la vindicte des êtres. Au départ, je trouvais que ce mouvement était un éveil légitime, un sursaut, mais sa façon de muter, sa façon de fracasser des hommes sous parure de justice m’amène à réaliser qu’il s’agit d’une défiance, d’un mépris des institutions, en particulier des institutions judiciaires, une sorte de dictature de la pensée.
Je ne sais pas si une parole qui balance libère les femmes mais, en tout cas, elle enferme à perpétuité des hommes dans une mort sociale, sans même qu’ils aient pu se défendre. Quelle régression! La justice se prononce dans les prétoires et nulle part ailleurs. Il faut encourager les femmes à exprimer un refus lorsque le désir n’est pas partagé, à dire non, à repousser; là est la dignité. Les femmes sont des résistantes, pas des balances! Il faut se redresser! Ma crainte pour 2022 serait que l’on cède à cette dérive, que l’on bouleverse les acquis en changeant la loi, que l’on renverse les garde-fous, la présomption d’innocence, la présomption de consentement, que les hommes n’osent plus courtiser les femmes, que les femmes n’osent plus être courtisées, que l’étreinte charnelle devienne un acte notarié, qu’on ne lise plus les poèmes de Ronsard, de Baudelaire. Cela augurerait des lendemains très moroses…»