Face à l’avalanche de critiques qu’il affronte depuis ce fameux 16 mai dernier, date de l’annulation du festival Vibiscum, son fondateur, William von Stockalper, a tenu à donner à «L’illustré» sa version de cet échec sous forme d’interview.
- La pire critique contre vous et contre ce festival avorté, la plus dure à avaler?
- William von Stockalper: Il y en a beaucoup, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les médias. Mais je trouve particulièrement injuste la critique sur la compensation des billets non remboursés par des entrées au Stars of Sounds de Morat ou à l’Openair Fluo de Neuchâtel. Cette opération a en fait très bien marché et on nous a beaucoup remerciés pour avoir trouvé ces solutions pour lesquelles on s’est beaucoup battus. Je remercie aussi ces deux festivals de nous avoir tendu la main. C’est inhabituel, une telle solidarité dans ce milieu.
- Mais pour le dimanche après-midi de clôture, consacré à la musique classique, les acheteurs n’ont pas eu droit à une offre de remplacement.
- Oui, pour le classique, c'était plus difficile. Nous avons cherché des solutions avec des opéras et d’autres concerts. Mais on nous accordait trop peu de rabais pour que ce soit financièrement possible. Nous avons dédommagé ces gens avec des entrées aux festivals déjà mentionnés, et au prorata des montants de la catégorie des billets achetés.
- Vous êtes tout de même d’accord que cette annulation sans remboursement des réservations est un énorme fiasco?
- C’est bien sûr un terrible échec. Néanmoins, je regrette le peu de recul pris, dans certains médias notamment, pour analyser le pourquoi du comment. Certains ont tout de suite porté des jugements catégoriques et continuent à vouloir m’enfoncer. Oui, j’assume la responsabilité de cet échec. Mais je déplore certaines informations erronées ainsi que la virulence disproportionnée de ce qui a été écrit et dit pendant deux semaines. Des amis d’enfance avec qui je n’avais plus de contact depuis vingt-cinq ans m’ont appelé pour savoir comment j’allais. Oui, il y a des gens lésés, des sociétés lésées. Mais si nous n’avions pas tiré la prise en raison du petit nombre de billets vendus, nous aurions laissé une ardoise trois fois plus lourde.
- Vous avez personnellement gagné de l’argent avec Vibiscum?
- Bien sûr que non. J’en ai au contraire perdu. Vibiscum est une fondation et un président de fondation ne gagne pas un sou. J’ai consacré bénévolement des milliers d’heures pour ce festival avec des collaborateurs et tous les gens qui m’ont suivi. J’ai lancé ce festival avec le cœur, pour la région, pour Vevey. Ma motivation n’a jamais été financière.
- Moins de 9000 réservations sur une capacité maximale de 50'000 billets… Quelles sont les causes de ce chiffre misérable selon vous?
- Il y a d’abord ce printemps pourri qui a démotivé les gens à s’engager pour un festival «open air». C’était une erreur, ou du moins un pari trop risqué, de programmer le festival fin mai. Il aurait mieux valu le faire en septembre. Mais je regrette aussi que les artistes programmés n’aient pas relayé leur présence sur les réseaux sociaux comme cela se fait habituellement. J’ai l’impression, de manière générale, qu’on ne voulait pas parler du Vibiscum sur le plan de la programmation mais qu’on guettait surtout le moindre de ses faux pas.
- Vous soupçonnez un complot du monde de la musique contre le Vibiscum?
- Le mot complot est trop fort. Mais quand, trois semaines avant le festival, et malgré nos demandes répétées, presque aucun des artistes programmés n’avait relayé sa présence à Vevey sur ses pages de réseaux sociaux, on peut se poser des questions. Quand ils font cette promotion, on dit que ce sont des milliers de billets qui se vendent. Donc oui, je m’interroge sur les raisons de cette inertie.
- Comment s’est décidée l’annulation du festival?
- Face aux réservations qui ne prenaient pas, au bout d’un moment, on se met à hésiter. On refait tous les budgets, on essaie d’économiser un maximum d’infrastructures. On a gratté partout où on pouvait gratter. Puis on se dit que si on n’a pas 10'000 billets de plus à telle date, ce sera impossible. Avec 15'000 billets, on y allait, en tablant ensuite sur un démarrage tardif. Mais nous n’avions même pas 9000 billets vendus.
- Et c’est ainsi que deux semaines avant l’ouverture, vous décidez de tirer la prise.
- C’est la décision la plus pénible de ma vie professionnelle. Le matin, je me disais encore qu’on allait le faire, ce festival. Tous mes collaborateurs étaient à fond derrière moi. Mais on a discuté une nouvelle fois avec les professionnels dont certains ont de l’expérience dans les plus gros festivals de Suisse. Et ils ont été unanimes à me dire: «William, il faut tirer la prise.» Un coup de massue… Il faut ensuite l’annoncer aux employés qui étaient encore motivés à fond deux heures avant. Puis il faut constater qu’on ne peut pas rembourser dans l’immédiat les billets et qu’il faut travailler sur une solution de compensation, ce que nous avons fait immédiatement.
- Comment vos collaboratrices et collaborateurs ont-ils pris cette annonce?
- Cela a été un festival, si j’ose dire, de larmes. Mais ce qui m’a fait le plus mal, c’est le harcèlement téléphonique, la méchanceté des mails, l’agressivité sur les réseaux sociaux qu’ils ont dû subir. J’ai dû mettre des collaborateurs en congé dès l’après-midi, des gens effondrés que j’avais dû prendre dans les bras le matin. Je trouve ce niveau de haine disproportionné par rapport, par exemple, à la faillite de certaines grandes banques. Qu’on s’en prenne à moi, j'assume. Mais quand on publie mon adresse privée sur internet, c’est scandaleux. Et qu’on harcèle des collaboratrices et des collaborateurs qui n’y peuvent strictement rien, cela me révolte.
- Tout de même, les deux premières éditions n’avaient pas été des triomphes financiers, loin de là. N’avez-vous pas fait preuve d’entêtement coupable?
- J’ai évoqué l’option de renoncer à une troisième édition à l’issue de la deuxième. Mais tous les partenaires et fournisseurs, qui avaient des ardoises ouvertes, étaient partants pour une troisième édition. Les défauts de jeunesse avaient été en bonne partie corrigés. Tout le monde espérait qu’on améliore la rentabilité. Personne n’avait mis Vibiscum en poursuite l’année passée, sinon cela aurait tout simplement signifié la fin du festival pour des raisons légales. Donc on s’est lancés dans une troisième édition.
- N’avez-vous pas voulu devenir un «petit grand festival» trop vite?
- Non, je ne crois pas que nous ayons brûlé les étapes. Nous avons voulu faire un beau festival pour Vevey, pour la région. Et nos relations nous ont permis d’avoir IAM la première année, DJ Snake et Orelsan la deuxième. De très grandes vedettes donc.
- Mais justement, Orelsan, est-ce que vous l’avez eu en le payant 500 000 francs, un demi-million, comme on a pu le lire, c’est-à-dire en pratiquant une surenchère suicidaire?
- J’ai anticipé cette question et j’ai donc pris avec moi les copies des deux paiements que nous lui avons versés. Je vous demande, pour des raisons légales liées au secret des affaires, de ne pas publier la somme réelle, mais je vous laisse découvrir ces chiffres pour que vous puissiez mesurer le degré de désinformation dont je suis victime. (Le cachet présenté sous cette forme est en effet massivement inférieur à 500'000 francs, ndlr).
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- Des billets ont-ils bel et bien été vendus après la décision d’annuler le festival?
- Je réfute catégoriquement cette accusation grave. La première chose que nous avons faite après la décision d’annuler a été de bloquer la vente des billets sur les sites de vente. C’est justement de là que la nouvelle a fuité! Ce qui explique pourquoi la presse a pu annoncer l’annulation avant nous.
- Et le grand sponsor du festival, Nestlé, quels sont vos rapports avec lui aujourd’hui?
- Nestlé a été franchement incroyable durant toute cette aventure. Je ne peux que les remercier de leur soutien et de tout ce qu’ils font pour Vevey et sa région. En tant que sponsor, Nestlé a fait plus que ce qu’il était tenu de faire.
Le feuilleton Vibiscum
La place du Marché de Vevey se préparait à accueillir, du 30 mai au 2 juin, des milliers de fans de KT Gorique ou Shaka Ponk, quand tout a implosé deux semaines avant l’ouverture.
Rappelons les faits et des développements récents de l’affaire Vibiscum. A l’origine, en juin 2022, il s’agissait d’un événement de soutien au Vevey-Sports, présidé par William von Stockalper depuis 2018. Les stars du rap marseillais IAM et quelques DJ mirent le feu au Jardin du Rivage. Durant ces deux jours, 6000 fans étaient venus. Ce coup d’essai avait été perçu positivement. Changement radical de braquet l’année suivante: le nouveau-né passe d’un seul coup à l’adolescence en déménageant sur l’immense place du Marché voisine. Trois jours de concerts d’une capacité de 18'000 spectateurs par soir. Avec 32'000 entrées, selon les organisateurs, ce demi-succès se solde par des chiffres rouges. On lance néanmoins une troisième édition sur quatre jours. Mais cette fois, les réservations stagnent alors qu’elles devaient éponger les anciennes ardoises. Il faut donc tirer la prise pour atténuer le désastre. Malgré cela, les billets ne pourront pas être remboursés. Du jamais vu en Suisse.
Certains spectateurs lésés se déchaînent sur les réseaux sociaux. De leur côté, les créanciers professionnels restent discrets. L’un d’entre eux, Vincent Albasini, CEO d’Avesco Rent, sort pourtant de sa réserve dans blick.ch/fr, excédé, dit-il, par l’attitude fuyante des organisateurs de Vibiscum, à qui il réclame près de 150'000 francs de factures impayées lors de l’édition de 2023. Ce leader en Suisse dans la location de machines était pourtant prêt à collaborer en 2024 si cette créance était honorée avant la troisième édition. Tel n’étant pas le cas, Vincent Albasini a mis en poursuite Vibiscum en mai dernier. Il ne serait pas le seul, selon le site d’information «20 minutes», qui a publié un article selon lequel la Fondation Vibiscum Festival serait désormais débitrice de plus d’un demi-million de francs, mais qu’elle ferait systématiquement opposition aux poursuites. Depuis la scène du Vibiscum, la magnifique vue sur le Léman semble décidément bouchée.