Au café Farel, à Bienne, Camille Balanche croque à pleines dents dans son bagel végétarien. Quand elle raconte la compétition de downhill mountain biking (DH) qui l’a consacrée championne du monde en Autriche, en octobre dernier, ses yeux s’illuminent. Elle décrit en riant la piste boueuse qui a donné du fil à retordre à toutes les «rideuses». «C’était la plus dure qu’on n’ait jamais vue, tout le monde glissait. Je suis la seule à être restée sur mon bike pendant tout le parcours!» raconte l’athlète originaire du Locle. Avec son chrono de 5’8’’, elle décroche l’or en catégorie master. C’est la première Suissesse à remporter ce titre! Ce tracé à Leogang restera gravé dans sa mémoire. Quant au maillot qu’elle portait lors de sa victoire, sa compagne, Emilie Siegenthaler, l’a accroché au-dessus de leur lit, avec la médaille bien en évidence.
C’est d’ailleurs Emilie la Biennoise qui avait rapidement décelé le potentiel de l’athlète neuchâteloise. «A peine elle a commencé dans cette discipline, je lui disais déjà de rouler moins vite», sourit sa partenaire depuis trois ans. Il faut préciser que la jeune femme de 34 ans n’est pas seulement son amoureuse, c’est aussi sa concurrente sur le circuit. Les deux bikers se talonnent souvent sur les podiums internationaux. Mais pas lors de cette saison, car Emilie s’est blessée. «J’ai rêvé de ce maillot depuis des années, alors je ne savais pas comment j’allais réagir, mais j’étais juste ultra-heureuse quand elle a gagné!» raconte la plus grande supportrice de Camille.
La gagne coule dans les veines des Balanche. Le père de la championne n’est autre que Gérard Balanche, une légende suisse du saut à skis. Quand Camille replonge dans son enfance à La Brévine, elle se voit systématiquement sur des lattes: «Il avait construit une petite piste à côté de la maison et me tirait avec une raquette de tennis pour remplacer la remontée mécanique.» Le reste de sa famille aussi est du genre actif. Sa grande sœur préfère l’endurance et sa maman, la grimpe. «Elle a d’ailleurs ouvert avec mon beau-père la salle d’escalade C+, à Colombier, où on va très souvent.»
Aujourd’hui, la Locloise affiche un pedigree stupéfiant de sportive aux nombreux talents, ayant réalisé d’excellents résultats dans plusieurs disciplines. On rembobine. Après le ski, la petite Camille s’est intéressée très tôt à l’escrime. Elle termine championne suisse junior à l’âge de 8 ans. Elle tape ensuite dans le volant sur un court de badminton à La Chaux-de-Fonds, avant de commencer le hockey sur glace. Et l’athlétisme. C’est finalement le sport d’hiver qui l’appelle. Elle sera sélectionnée dans l’équipe de suisse, avec laquelle elle a participé aux Jeux olympiques de Vancouver de 2010.
Elle a 20 ans. Elle hésite à faire carrière «sur des patins», puis se ravise. «Mon rêve, c’était Macolin», se souvient-elle. Elle suit alors un CFC d’informaticienne pour avoir un papier d’études supérieures et rejoint le centre national pour suivre un master en sciences du sport. Quand elle reçoit son diplôme, cette surdouée commence directement par donner des remplacements comme prof de gym dans sa région. Elle devient aussi personal trainer dans un fitness. Un peu de kin-ball (un sport canadien) pour le fun, puis du volleyball en 2e ligue. Et ses débuts dans le vélo? Il y a six ans, elle monte sur une selle pour pédaler d’abord dans les courses d’enduro, une autre pratique de mountain bike. «Tout ce que je fais, au final, c’est complémentaire, car cela me fait travailler l’explosivité, la force, la condition physique.»
A 27 ans, alors qu’elle coachait des clients dans sa salle de sport, elle tombe sur Emilie. La connexion est directe. La Biennoise, qui finissait son master en psychologie (elle a poursuivi ensuite avec un DAS en psychologie du sport), renverse son quotidien de deux manières. D’abord, c’est la première fois que Camille tombe sous le charme d’une autre femme. Mais, surtout, Emilie l’introduit au downhill (VTT de descente). Une passion qui les soude depuis trois ans. Elles ont d’ailleurs choisi leur nouvel appartement en fonction de la capacité de la cave, pour stocker tout leur matériel. «On a sept vélos chacune», rigolent-elles. L’endroit s’est transformé en garage, car elles passent beaucoup de temps à réparer leurs bikes.
Petit tour à l’étage. La passion du vélo est partout. Sur le frigo, une série de polaroïds qui retracent leurs exploits respectifs. Au salon, des magazines spécialisés sur la table, des photos grand format aux murs. «C’est dommage que le DH ne soit pas aux Jeux olympiques, car c’est impressionnant de regarder les descentes à la TV», disent-elles en chœur. Pour elles, cette discipline souffre encore d’une image de sport de têtes brûlées. «Pourtant, c’est très encadré. On marche sur la piste au point de la connaître par cœur, chaque caillou. On se prépare, on visualise la descente. Ce n’est pas plus dangereux que le ski.» La vitesse moyenne atteint 50 km/h. La Neuchâteloise touche du bois, car, pour le moment, elle ne s’est pas encore blessée, contrairement à sa compagne.
Le duo de professionnelles recommence l’entraînement mi-novembre. L’hiver, l’accent est mis sur la condition physique: trois ou quatre fois par semaine, elles se retrouvent dans le fitness privé de leur entraîneur, Biennathletics. «Dans les environs, il y a aussi une piste de descente sur laquelle tu peux rouler toute l’année. Mais on aime bien aller en Valais aussi, car c’est souvent plus sec et challenging.»
Forte de son titre de championne du monde, Camille Balanche vient de signer un contrat de deux ans avec la Team Pro Dorval. Les deux filles rappellent que les femmes gagnent bien moins que leurs homologues masculins sur le circuit. «Alors qu’ils ont des salaires de 50 000 francs par an ou plus, nous, c’est deux fois moins, au mieux.» Et ça, ce n’est pas gagné.