- Martin Nydegger, pourquoi le secteur du tourisme a-t-il créé son propre label de durabilité?
-Martin Nydegger: Swisstainable n’est pas un label, c’est un toit. Il existe déjà de nombreuses certifications dans notre branche, pour les hôtels, les remontées mécaniques, les restaurants, environ 90% du total des activités. Nous voulions mettre de l’ordre dans tout ça et marquer le coup.
- Que signifie exactement Swisstainable?
- Il s’agit d’une initiative valorisant notre engagement en faveur de la durabilité, en tant que destination touristique. Les partenaires qui ont déjà un label peuvent y participer. Nous voulons motiver les autres à faire le pas. Finalement, tout le monde en profite. Les touristes étrangers apprécient cet effort et restent plus longtemps. Quant aux hôtes suisses, ils redécouvrent leur pays, idéalement en train.
- La Suisse est un pays qui réunit différentes cultures. Est-ce un obstacle ou une chance pour la mise en œuvre de ce projet?
-Il n’y a pas de Röstigraben. Environ 18% des partenaires sont francophones. Nous nous efforçons d’être présents partout.
- Que peuvent apprendre les Romands des Alémaniques en matière de durabilité, et inversement?
- Nos partenaires romands abordent généralement la mise en œuvre de manière un peu différente. Nous observons que les produits du terroir, c’est-à-dire les produits issus de la terre, revêtent une plus grande importance pour eux et sont plus souvent certifiés. En Suisse alémanique, ce sont plutôt les pratiques comme l’énergie ou la gestion des déchets qui comptent en matière de durabilité.
- Vous voyagez en train dans toute la Suisse – comme maintenant – pour faire la promotion de Swisstainable et de la campagne d’été lancée avec les CFF. Quels sont les plus beaux compliments que l’on vous fait en chemin?
- Le compliment que tout responsable dans le secteur des services aimerait recevoir. A savoir: que les collaborateurs s’engagent et que cet engagement est bien perçu par les hôtes. Chez Suisse Tourisme, nous ne sommes pas simplement une entreprise de 280 collaborateurs. Nous voulons faire avancer toute la branche. Nous devons vivre ce que nous prêchons, selon la devise «Doing the right thing, when nobody’s watching».
- A quelle fréquence prenez-vous le train?
- J’effectue mes déplacements professionnels presque exclusivement en train. Ces deux derniers jours j’étais dans l’Oberland bernois, en Valais et maintenant je suis en Suisse romande. Je prends aussi la voiture, lorsque cela se justifie. Il ne faut pas être dogmatique. Mais en voiture, vous devez vous concentrer sur la route, vous pouvez tout juste passer un coup de fil ou écouter un podcast. Dans le train, vous pouvez vous perdre dans vos pensées. C’est presque une sorte de thérapie.
- Qu’est-ce qui freine la mise en œuvre de la durabilité?
- Je remarque que de nombreux partenaires ont une forte envie d’innover. Les remontées mécaniques, les restaurants, tous poussent dans cette direction. Mais la frénésie de réglementation que nous avons en Suisse leur complique la tâche. Certes, il faut des règles pour distinguer la qualité profonde des décisions prises à la va-vite. Mais, parfois, nous en faisons trop.
- Pendant la pandémie de covid, les Suisses sont partis à la découverte de leur pays. Aujourd’hui, ils voyagent de nouveau à l’étranger. Est-ce un problème pour vous?
- Non, le monde est de nouveau ouvert et c’est une bonne chose. Cela signifie aussi que des touristes viennent de nouveau en Suisse. De plus, le voyage rend les gens plus ouverts, plus curieux, plus tolérants. Cette évolution nous aide à notre tour dans notre propre pays. En fin de compte, chaque Suisse et chaque Suissesse est aussi un hôte.
- Le prix élevé des billets n’incite pas forcément les Suisses à voyager en train dans leur pays. Que faites-vous pour y remédier?
- Rien du tout. La Suisse n’est pas un pays bon marché. Nous avons des prestations sociales et des salaires minimums. La qualité helvétique n’est pas gratuite. Et la Suisse a aussi son prix. Quand je vois ce que nous obtenons dans ce train, par exemple, cela vaut chaque franc dépensé.
- Il y a trois ans, vous avez lancé une campagne très remarquée avec Roger Federer. Le casting de stars doit faire de la Suisse une destination touristique pour la clientèle internationale. L’objectif est-il atteint?
- Oui. Nous mettons l’accent sur de nouvelles attractions presque chaque semaine. Aucune campagne ne dure toute l’année. Celle avec Roger Federer et le comédien américain Trevor Noah est l’une d’entre elles. Le thème du Grand Train Tour of Switzerland met en valeur les trains panoramiques.
- Nous sommes assis dans le même train que Roger Federer et Trevor Noah. Ce n’est sans doute pas une coïncidence.
- Nous ne travaillons pas avec Roger pour le marché suisse, c’est ce qui a été convenu juridiquement. Mais il est clair que nous suivons un fil rouge. Nous avons même notre propre locomotive CFF pour la campagne. L’animatrice et mannequin Michelle Hunziker l’a inaugurée récemment.
- Des ambassadeurs différents en fonction de la clientèle cible?
- Oui. Nous invitons des influenceurs dans les trains et leur demandons de poster de belles photos. Souvent, ces ambassadeurs sont peu connus ici mais ils le sont dans leur pays d’origine, où ils font la promotion de la Suisse. Michelle est notre ambassadrice pour l’Italie. Il se trouve qu’on la connaît aussi ici.
- Les Romands ont souvent l’impression d’être oubliés et que les destinations de Suisse alémanique sont davantage promues.
- Ce n’est pas du tout notre intention. Il ne nous viendrait jamais à l’idée de négliger une région linguistique. L’énorme diversité culturelle est un atout pour la Suisse. Nous serions stupides de ne pas en profiter.
- Le Cervin, la Jungfrau, le chocolat, les lacs... pourquoi continuez-vous à miser autant sur les clichés pour promouvoir la Suisse?
- C’est vrai, nous aimons les clichés. On connaît le Cervin en Inde et aux Etats-Unis, c’est super. Mais il est important que les touristes ne viennent pas uniquement pour ces phares touristiques. Notre tâche est de nous assurer qu’ils ne repartent pas tout de suite après avoir vu ces sites. Nous souhaitons qu’ils prolongent leur séjour. C’est notre objectif stratégique. Finalement, tous nos partenaires en profitent.
- Comment vous adressez-vous aux jeunes voyageurs qui n’ont pas les moyens de voyager en Suisse?
- Nos clients asiatiques sont extrêmement jeunes. Autrefois, il fallait travailler longtemps avant de progresser dans sa carrière et de gagner de l’argent. Aujourd’hui, l’âge et l’aisance financière ne vont plus automatiquement de pair. La numérisation et l’industrie de la technologie ont rendu de nombreux jeunes clients riches et nous voulons les attirer. Mais il est vrai qu’en Suisse, ce que nous avons, c’est avant tout la beauté de la nature. Nous ne sommes pas un paradis du shopping. Nous ne sommes pas incroyablement branchés. Et nous n’avons pas de plages ensoleillées. Pour apprécier la nature, il faut avoir accumulé de l’expérience. Je le vois avec mon fils de 16 ans; il n’est pas encore très sensible aux charmes de la nature. Je lui dis alors: «Nous en reparlerons dans dix ou vingt ans.»
- Le secteur des services est confronté à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Comment assurer la fidélité des collaborateurs dans ce secteur?
- Nous avons la chance de vivre dans des paysages magnifiques que nous pouvons préserver et exploiter pour le tourisme. Nous devons également nous préoccuper de nos collaborateurs. Nous devons les motiver afin qu’ils aient du plaisir à travailler. Nous considérons que notre mission est de faire de la Suisse un pays touristique toute l’année et de créer des emplois sur le long terme. Actuellement, le manque de personnel qualifié se fait surtout sentir dans les entreprises saisonnières. Nous devons être anticycliques, ne pas recruter en juillet et en août, mais au printemps et en automne.
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- Le secteur du tourisme est-il attrayant?
- Nous n’avons pas encore réussi à rendre visible l’attractivité de ces postes. A tort! Car le tourisme, c’est la vie. Les premiers rendez-vous ont lieu dans les restaurants. Les familles, les amis et les sociétés se retrouvent dans les hôtels. Mariages, anniversaires, jubilés... ces moments intenses se déroulent sur la scène touristique. Chaque professionnel y joue un rôle important. Nos hôtes économisent parfois des mois, voire des années pour des vacances en Suisse. Ils nous confient un peu de leur bonheur. C’est un secteur où on peut commencer en bas de l’échelle et faire une carrière fulgurante.
Une Suisse plus durable
Avec l’initiative Swisstainable, Suisse Tourisme (ST) veut rendre la Suisse plus durable en tant que destination touristique. C’est le message de la campagne «En route comme chez soi», lancée avec les CFF. En même temps, ST mise sur l’eau en tant qu’élément avec l’opération «Summer in the City». D’autres campagnes suivront en automne et en hiver. Le programme a été développé avec la Haute Ecole de Lucerne. Les projets s’alignent sur la stratégie touristique de la Confédération et sur les initiatives internationales en matière de durabilité.