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Reportage

Voyage au centre de la Terre avec Laurent Hyvert

Certains «trous de renard» cachés dans les montagnes suisses s’ouvrent sur des cathédrales de roche pour qui sait les trouver. «L’illustré» a suivi le guide de spéléologie Laurent Hyvert dans les entrailles des Préalpes vaudoises.

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Le guide de spéléologie Laurent Hyvert

Le guide de spéléologie Laurent Hyvert

Louis Dasselborne

Il faut se faire tout petit pour se faufiler à travers ce trou à flanc de montagne. A Leysin (VD), il y a les Tours-d’Aï, dont les sommets surplombent les Préalpes, et puis il y a les gouffres et cavités, moins visibles, mais tout aussi impressionnants. C’est là que se trouve l’aven Artère, de l’autre côté de la fissure que l’on parcourt en rampant, sur les genoux et les coudes, jusqu’à atteindre une première échelle. Suivront deux autres échelles – l’une en kevlar, l’autre métallique – reliées par des cordes de sécurité où viennent se boucler les mousquetons.

«Nevermind», que l’on pourrait traduire par «T’inquiète!», c’est ainsi que les Jurassiens qui ont découvert en 2015 cette fissure l’ont baptisée. «C’étaient des jeunes du Spéléo-Club Jura, mandatés par l’ISSKA («Institut suisse de spéléologie et karstologie», ndlr) pour dépolluer les combes de Leysin après la saison de ski, raconte Laurent Hyvert, 55 ans, guide de spéléologie. Pendant qu’ils nettoyaient le terrain, ils ont été alertés par un courant d’air qui sortait de cette faille.» C’est également à eux que l’on doit, plus loin, le «boulevard des Jurassiens», cette «grande galerie qui s’aligne le long d’une faille naturelle et qui descend à l’aval sur 80 mètres de dénivelé».

Sous la roche calcaire


Après l’étroitesse, place à l’ampleur. La cavité s’ouvre sur des roches parsemées de gouttelettes d’eau. En regardant le plafond, on croirait voir des milliers de diamants scintiller à la lueur de nos lampes frontales. Mais le mot d’ordre est de regarder où on met ses pieds, car le sol est composé de pierres glissantes et tranchantes. «On est rentré sous une couche de calcaire du Malm, qui est montée avec la levée des Alpes, il y a trente millions d’années», détaille Laurent Hyvert. L’érosion a, depuis, fait son œuvre en creusant la galerie. «Le calcaire est une roche tendre qui s’est craquelée au moment de se soulever. L’eau, qui dissout le calcaire, peut s’infiltrer dans ces failles.»

Coupés du monde dans l’immense cavité qu’est l’aven Artère, à Leysin (VD), le guide de spéléologie Laurent Hyvert se faufile avec agilité

Coupés du monde dans l’immense cavité qu’est l’aven Artère, à Leysin (VD), nous étions trois: le guide de spéléologie Laurent Hyvert, le photographe et moi-même, la journaliste. Une fois n’est pas coutume, celle qui tient la plume est également immortalisée en photo lors du reportage. Grâce à des images réalisées en utilisant nos lampes frontales comme flashs.

Louis Dasselborne

Les fissures dessinent les entrailles de la montagne de la même manière qu’elles le font en surface. «On se base beaucoup sur les cartes topographiques pour voir où sont les failles et si l’étude qu’on a faite s’aligne dessus. C’est rarement au petit bonheur la chance qu’on trouve des grottes!» Cette galerie-ci est traversée par un miroir de faille de plus de 100 mètres. «C’est le plus grand que je connaisse en Suisse», indique Laurent Hyvert, qui y a installé une tyrolienne. L’installation surplombe la salle sur une distance de 25 mètres et arrive dans le miroir de faille. «Donc juste avant si le nœud est bien réglé», plaisante le guide.

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Une tyrolienne sous terre


Ici, pour seul paysage, le mur contenu dans le faisceau de la lampe frontale. Avec le noir tout autour, la tyrolienne souterraine prend des airs de tunnel. Au bout, perchés à plusieurs mètres du sol, nous voilà livrés au guide qui nous remonte à la force de ses bras et des poulies. «On a construit cette tyrolienne à la manière du secours spéléo. C’est avec ce genre de système qu’on travaille pour remonter des civières.» Deux cordes de 9 millimètres soutiennent l’aventurier, dont le baudrier est suspendu à une poulie double, une corde supplémentaire sert à le ramener à bon port. Ballotté sur ce chemin de retour, on jouit d’un point de vue en hauteur sur la cavité et le miroir de faille. Des cairns témoignent du passage d’autres explorateurs avant nous.

La tyrolienne de 25 mètres à l’aven Artère à Leysin (VD)

C’est le summum de l’expédition: une tyrolienne de 25 mètres. Lâchée sur cette double corde, j’ai l’impression d’être dans un tunnel. Tout est sombre, sauf la partie éclairée par ma lampe frontale. Une fois au bout, pas moyen de descendre par soi-même, il faut compter sur les bras du guide qui tire la corde pour me ramener à bon port. C’est dans ces moments qu’on comprend le sens du mot confiance.

Louis Dasselborne

On pourrait croire que le silence règne dans l’aven. En réalité, c’est tout le contraire. Le taux d’humidité y étant de 100%, un bruit de gouttes se fait entendre en continu. Chaque son est amplifié à cause de la taille de la cavité. «Et si on éteignait un moment?» encourage le guide. Le noir. Le glouglou du ruisseau. Le suintement de l’eau formant lentement des stalactites. La grotte devient musicale et invite à l’introspection. On se sent humble et seul au monde. Le paradoxe du temps est cristallisé dans la rivière: l’eau coule sans cesse, mais l’érosion est si lente que les changements ne seront visibles pour l’œil humain que dans des millions d’années.

«En compétition avec soi-même»


«La spéléo a un côté assez introspectif. Certaines équipes essaient d’aller plus vite que d’autres dans la découverte, mais on est surtout en compétition avec soi-même. Il faut se motiver pour passer tel ou tel endroit. C’est une activité à la fois individuelle et collective, parce qu’on est seul sur la corde quand on remonte nos puits, mais on ne peut pas y aller sans équipe. Et puis, ce n’est pas conseillé d’aller tout seul en spéléo, même si c’est vachement grisant.»

Laurent Hyvert pratique la spéléologie depuis près de vingt ans. Il visitait déjà des grottes quand il était enfant, puis est devenu infirmier. Il s’est professionnalisé en spéléologie dans la région de Grenoble, en France, avec une équipe de secours spéléo: les «infirmiers grottologues». Depuis 2019, il est guide de spéléologie 2. «Le guide 1, c’est un peu comme un accompagnateur en montagne. Le guide 2 est capable de gérer l’équipement pour un plus grand groupe et de conduire des gens en trekking», explique-t-il en précisant que la formation est en cours de révision afin d’aboutir à un brevet fédéral dans les années à venir. Depuis un an, cet infirmier à Unisanté est également responsable de la formation des guides pour la Suisse romande, au sein de la Swiss Outdoor Association.

Ce qui motive Laurent Hyvert à se plonger toujours plus loin dans les entrailles de la Terre? «Il y a encore tant d’explorations à faire!» lâche-t-il, enthousiaste, en racontant le travail qu’il effectue dans la région avec son fils, Guillaume, 23 ans, guide 2 lui aussi. «L’aven Artère a été découvert il y a six ou huit ans. Et puis là, en exploration avec mon fils, on a rajouté encore deux fois 200 mètres de galeries, du dénivelé, et on n’est pas loin de sortir à deux endroits. Donc ça, c’est vachement excitant. On se dit qu’on est un peu les premiers humains à mettre les pieds dans ces cavités.»

La préparation à la spéléologie est longue. Chaque détail est important et il faut y penser avant de commencer l’expédition.

La préparation à la spéléologie est longue. Chaque détail est important et il faut y penser avant de commencer l’expédition, car, une fois à l’intérieur, on y reste plusieurs heures. Les bottes hautes et imperméables permettent au guide de garder les pieds au sec. Un aspect que la journaliste et le photographe ont négligé... Nous avons essoré nos chaussettes en sortant de la cavité.

Louis Dasselborne

Les courants d’eau et d’air


En foulant l’argile glissante, on découvre un ruisseau qui devient même rivière en certains endroits. Cette eau, dont nous ramènerons quelques décilitres dans nos chaussures, façonne chaque aspérité de la roche. Les stalactites et les fistuleuses, ces formations en forme de spaghettis qui pendent du plafond, grandissent de 1 centimètre par siècle en moyenne dans nos régions. «Plus c’est humide, plus il y aura de pression sur la goutte dans la stalactite. Donc elle va tomber vite et il y aura moins de calcification autour. En fait, plus il y a de l’eau et moins ça pousse vite. Plus l’eau est lente au niveau du débit, plus la goutte a le temps de rester en suspension et de déposer son calcaire autour.»

Dans cette cavité, les températures ne montent guère au-dessus de 6°C. Avec les pieds dans l’eau, le froid commence à se faire sentir. Pour sortir, il faut de nouveau se faxer à travers le trou de renard par lequel on est entré. Grimper, se hisser, escalader les échelles: la spéléologie reste une activité physique. A mesure que l’on avance, un courant d’air se fait sentir. «Cette montagne respire en fonction des saisons et des gradients de température intérieur-extérieur, explique le guide en détaillant le phénomène des courants d’air à travers les cavités. En hiver, l’air est plus froid à l’extérieur, donc le trou situé vers le bas de la cavité va aspirer cet air. A l’inverse, en été, c’est l’air dans la cavité qui est plus frais et qui sera soufflé. Au printemps et en automne, le courant s’inverse parfois en cours de journée.» Le jour de notre reportage, il fait plus chaud dehors; le vent est donc soufflé, et nous avec, vers la surface.

Le guide de spéléologie Laurent Hyvert

Empli d’une certaine fascination et de beaucoup de respect face à la nature,Laurent Hyvert est pleinement dans son élément lorsqu’il explore les profondeurs de la cavité, avec ses stalactites vieilles de plusieurs siècles.

Louis Dasselborne
Par Sandrine Spycher publié le 6 août 2024 - 11:44