Il est 6h30 du matin et la nuit est toujours noire sur le tarmac de l’aéroport de Genève. Le va-et-vient des avions, lui, a déjà bien commencé. Presque toutes les minutes, l’un décolle, l’autre atterrit. Une danse qui ne cessera qu’autour des 12 coups de minuit. Soudain, les lumières d’un gros-porteur se dessinent dans la nuit. Lors de sa descente, il a survolé Lausanne, Morges et la côte française du Léman. C’est l’Airbus A330 d’Air China. Seul avion à relier directement aujourd’hui la Chine à la Suisse, et inversement, plus de trois fois par semaine. Ils sont 113 à bord sur les 237 places disponibles. L’avion est à moitié vide.
Le 29 janvier dernier, après la décision d’une cinquantaine de compagnies privées de suspendre leurs vols vers la Chine, Swiss leur emboîtait le pas et annulait ses sept vols hebdomadaires vers Shanghai et ses cinq liaisons par semaine pour Pékin, jusqu’au 28 février au moins. Du côté chinois, pas question d’annuler quoi que ce soit. Les compagnies ont reçu une injonction de l’autorité d’aviation: continuez à voler.
En Europe, 12 aéroports accueillent toujours des vols directs depuis la Chine. «Parmi ces derniers, il n’y en a que quatre qui, aujourd’hui, appliquent des mesures de précaution plus élevées, comme des questionnaires systématiques à l’arrivée des passagers ou l’isolement de l’avion dans un terminal dédié, détaille Didier Pittet, médecin de frontière et chef du service de prévention et contrôle de l’infection des HUG. Mais cela avant tout plus pour des questions logistiques qu’épidémiologiques.»
Mais comment la Suisse gère-t-elle ces arrivées de Chine? Si la température corporelle des passagers est systématiquement mesurée à l’aéroport de Pékin avant d’entrer dans n’importe quel avion, à Genève, les mesures de précaution sont basiques. Dans l’avion, un flyer de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) est distribué aux passagers par les membres de l’équipage d’Air China. Sur ce flyer, des recommandations pour leur arrivée: se laver les mains correctement et régulièrement et jeter son masque de protection, obligatoire aujourd’hui dans les avions des compagnies chinoises, dans une poubelle destinée à cet effet.
Depuis samedi dernier, les passagers doivent aussi donner une liste de contacts et remplir un formulaire de traçabilité, la «contact tracing card», indiquant notamment l’itinéraire de leur voyage en Suisse. «Cela peut sembler léger, mais ces mesures font simplement état de ce qui se passe en Suisse, poursuit Didier Pittet, c’est-à-dire rien. Ici, il n’y a pas de cas de coronavirus 2019 connu et le virus n’est pas en circulation. Il est donc logique que les personnes qui arrivent de Chine, si elles ont été identifiées comme étant sans symptômes au départ, enlèvent leur masque. Le respect des pratiques d’hygiène des mains est également un des moyens principaux pour prévenir la transmission. Ces consignes d’hygiène peuvent paraître élémentaires, mais elles sont extrêmement importantes.» Des mesures quasi similaires avaient d’ailleurs été prises à l’aéroport de Genève lors de l’épidémie de H1N1 au printemps 2009.
Dans le monde, une vingtaine de pays, à l’instar des Etats-Unis, de l’Australie, du Vietnam, de Singapour ou d’Israël, refusent leur entrée ou un visa aux voyageurs ayant séjourné en Chine et/ou interdisent l’atterrissage des avions venant de Chine, pour enrayer l’épidémie. En Europe, l’Italie est pour l’instant le seul pays à avoir complètement suspendu son trafic aérien avec la Chine, mais elle semble aujourd’hui vouloir revenir sur sa décision.
De son côté, si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décrété une urgence de santé publique de portée internationale, elle refuse d’émettre une possible «restriction de voyage». «Les mesures supplémentaires prises par certains pays sont à analyser sous un angle plus politique que médical, appuie Didier Pittet. En Suisse, ce genre de restriction, qui serait extrêmement importante, ne se fait que lorsqu’on se trouve devant des maladies incontrôlables, dont on ne connaît pas le mode de transmission, ou éventuellement face à des maladies extrêmement morbides que l’on ne peut pas prévenir. Mais ce n’est pas le cas pour le coronavirus. L’immense majorité des cas sont importés et les transmissions à d’autres personnes de maladies importées demeurent extrêmement rares; ce sont des gens très peu malades et très peu symptomatiques, dont la grande majorité passe inaperçue. Ce qu’il ne faut pas manquer, c’est de faire extrêmement attention aux règles de précaution lorsqu’on examine ces malades.» Et si un cas suspect venait à se déclarer à l’aéroport, un protocole déjà bien rodé pour d’autres épidémies se mettrait en place: «La personne serait envoyée à l’infirmerie pour l’anamnèse et les précautions seraient les mêmes qu’à l’hôpital jusqu’au résultat du test.»
Pendant ce temps-là, à l’étage des arrivées, les passagers du vol CA 861 pour Genève sortent au compte-goutte. Dans les bras de Yeu-Kang et de Ying,
la petite Cinnoa, 19 mois, ne tient pas en place. Ses parents plaisantent: «Nous étions contents de savoir que nous n’avions pas à porter un masque ici. Nous pouvons donc arrêter de courir derrière notre fille qui, en Chine, l’enlevait dès que nous avions le dos tourné.» La petite famille, qui vit à Göteborg en Suède, rentre de Wenchang, une ville de 500 000 habitants sur l’île de Hainan, dont elle est originaire et où elle était en vacances pour célébrer le Nouvel An lunaire. Située à environ 1500 kilomètres de Wuhan, l’île de Hainan compte tout de même quelques centaines de cas de coronavirus et, à l’heure où nous mettions sous presse, trois morts. «Nous avions l’injonction de rester chez nous, alors nous avons, à la dernière minute, décidé de repartir plus tôt. Et puis nous étions quand même inquiets, surtout avec un enfant de 19 mois dans les bras.» Quelques heures après leur arrivée à Pékin, Yeu-Kang et Ying ont appris que leur île se barricadait à son tour et que désormais aucun avion ne la quittait ou n’y atterrissait.
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