A cette heure, une seule chose est certaine: il va falloir changer de carburant. Pas pour une question d’épuisement du pétrole, puisqu’on évalue ses réserves actuelles à 50 ans – et même 150 selon certaines estimations – mais bien parce que le seuil de réchauffement de la planète a été fixé à +1,5°C par les gouvernements. «Pour l’instant, nous en sommes à +1°C. Il suffirait d’envoyer le 25% du dioxyde de carbone (CO2) que nous avons déjà propulsé dans l’atmosphère depuis le XIXe siècle pour atteindre cette température», prévient le professeur François Maréchal.
Notez, le transport routier n’est pas la cause de tous les maux. Il génère 32% des gaz à effet de serre, alors que l’industrie en émet 20%, les services et l’habitat 35% et l’agriculture 13%. Et si on pousse le bouchon d’essence un peu plus loin, on remarque que le segment «voiture» ne représente que le 35% de ces 32%.
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Barre du milliard de véhicules en vue
Le problème, c’est que le nombre de véhicules circulant dans le monde approche du milliard et que ce chiffre aura sans doute doublé en 2030. Et comme il est urgent de réduire nos émissions de CO2, le secteur n’a pas d’autre choix que d’anticiper le remplacement des énergies fossiles.
Constructeurs et équipementiers sont donc au cœur d’un redoutable défi, voire d’un véritable casse-tête: inventer une propulsion du futur propre, bon marché, facile d’utilisation et en suffisance.
Les idées ne manquent pas. De l’amélioration du moteur thermique (rendement actuel: 17%) à la récupération du CO2 (voir ci-dessous), en passant par le développement de systèmes hybrides sophistiqués, l’e-fuel, les biocarburants, le gaz naturel, l’hydrogène et bien sûr l’électricité, les projets foisonnent. Chaque filière a ses défenseurs et ses détracteurs, ses avancées et ses obstacles. Revue de détail avec le professeur François Maréchal.
Tsunami technologique
Pour le responsable du Laboratoire d’ingénierie des processus industriels et des systèmes énergétiques de l’EPFL, c’est inévitable. Plusieurs procédés s’affronteront ces prochaines années dans une sorte de tsunami technologique. Renault mise par exemple sur le 100% électrique, Fiat sur le gaz, Hyundai sur l’hydrogène et Toyota sur l’hybride. Puis un système finira par s’imposer.
Une chose semble néanmoins acquise: les véhicules produits à l’horizon 2030 seront tous électrifiés. «Il faut savoir que les premières voitures fabriquées à la fin du XIXe siècle étaient électriques. Ce n’est que dans les années 1920-1930 que la voiture à essence s’est imposée», rappelle François Maréchal.
Un siècle plus tard, dans le sillage de Tesla, tous les grands constructeurs ont remis la prise, si l’on peut dire. Nissan, BMW, Audi, PSA, Skoda, Honda, Volvo et Volkswagen. Ce dernier investira pas moins de 34 milliards d’euros dans la motorisation électrique au cours du lustre à venir. Reste à savoir de quelle manière tout ce futur courant sera produit. Avec le système actuel, nucléaire en France (75% du courant produit) et charbon en Allemagne (50% du courant produit), l’électromobilité présente donc un bilan écologique catastrophique. «En fait, aujourd’hui, 75% de l’électricité produite dans le monde l’est à partir d’énergies fossiles. Il faudra donc repenser ce secteur pour intégrer les énergies renouvelables», précise François Maréchal, qui a travaillé durant quatre ans avec son équipe et le groupe PSA (Peugeot, Citroën, Vauxhall, Opel) à la conception d’une propulsion du futur.
1,1 litre aux 100 kilomètres
L’EPFL a modélisé une voiture moyenne sur la base des données techniques et des équipements transmis par le constructeur. «Avec une motorisation électrique hybride, dotée d’une batterie et d’une pile à combustible alimentée par du biogaz fabriqué à partir des déchets organiques, nous avons réussi à concevoir un véhicule avec une autonomie de 800 km. Une distance que ce dernier a parcourue en consommant l’équivalent de 1,1 l/100 km, soit cinq fois moins qu’aujourd’hui», confie François Maréchal, avec d’autant plus de fierté que le poids de tout le système de propulsion, moteur compris, n’a pas excédé 120 kg. «De plus, le calcul a tenu compte de l’énergie nécessaire à la construction et à la démolition de la voiture», renchérit le scientifique.
Alors, pari gagné? «En laboratoire, oui, jubile le spécialiste. Mais passer au stade industriel est beaucoup plus compliqué dès lors que les constructeurs sont avant tout des assembleurs et non pas des fabricants. Leur défi est donc de trouver des équipementiers et des sous-traitants capables de fabriquer et surtout de fournir en grande quantité chaque composant de cette technologie.»
Moralité: de la théorie à la pratique et malgré ces tests particulièrement prometteurs, il y a un pas que la transition durable doit encore franchir…
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L’EPFL brevète le piège à CO2!
A Sion, la haute école a mis au point une technologie qui capte le gaz à effet de serre dans l’échappement, lequel est ensuite recyclé en carburant. Génial. Même s’il y a un hic…
Le hic, c’est qu’à ce stade, la technologie est avant tout destinée aux camions. Question de poids et de taille de l’appareillage. «Cinq à 6% du poids du véhicule.
Pour une voiture, ce taux avoisine les 15% alors qu’il ne dépasse pas 1% pour un train fonctionnant au diesel», indique le professeur François Maréchal, responsable du Laboratoire d’ingénierie des processus industriels et des systèmes énergétiques de l’EPFL, qui a mis au point le procédé.
Un système relativement simple à comprendre. «Le CO2, ou dioxyde de carbone, est capté dans l’échappement puis le gaz capturé est chauffé pour l’évacuer. Il est ensuite comprimé pour le rendre liquide et poussé sous cette forme dans un réservoir où il est stocké», explique le scientifique helvético-belge. Et après? «Lors du passage à la station-service, pour faire le plein d’essence, votre réservoir à CO2 est vidé par aspiration. Ensuite, avec une technique associant le photovoltaïque et un réacteur chimique, le dioxyde de carbone redevient carburant avec un rendement pouvant atteindre 80%.»
Ecologie versus économie
Dans les calculs les plus optimistes, le système capte 90% du gaz à effet de serre dans l’échappement. Le problème, c’est que 1 litre d’essence produit 3 kilos de CO2. Pour un réservoir de camion de 300 litres, il s’agit donc de récupérer 900 kg de CO2. «Sur un camion, il y a la place», justifie François Maréchal. «Mais pour un transporteur, la perte de 5% de charge utile n’est de loin pas négligeable économiquement», rétorque Blaise Moret, à la tête, avec ses deux frères, d’une flotte d’une trentaine de véhicules à Martigny.
Séduit par le côté écologique du procédé, le Valaisan l’est donc beaucoup moins par ses conséquences économiques pour l’entreprise. Pour le scientifique, cette technologie revêt pourtant un autre avantage: il ne contraint pas les constructeurs à inventer un nouveau véhicule. «Le système est adaptable aux véhicules existants.» Une raison supplémentaire qui a poussé la haute école à déposer une demande de brevet, qui est toujours en cours de traitement. Affaire à suivre…
L'éditorial: de la fiction à la réalité
Par Christian Rappaz
Comme l’âge de la pierre ne s’est pas arrêté par manque de pierres, l’ère du pétrole ne finira pas par manque de pétrole. Selon les estimations, on pourrait encore en pomper pendant un siècle. Ce n’est donc pas l’or noir qui manque, mais le temps pour atteindre l’objectif climatique que se sont fixé les 193 gouvernements réunis à Paris en 2015: maximum 1,5°C de réchauffement.
Selon les spécialistes de l’EPFL, il suffirait que l’être humain balance encore le quart du CO2 qu’il a déjà rejeté dans l’atmosphère via la combustion des énergies fossiles pour atteindre la limite à ne pas dépasser.
L’automobile est à l’origine d’un tiers de cette pollution. Autant dire que l’heure du changement a sonné. En imposant de réduire les émissions de CO2 des voitures neuves de 40% en 2030, avec un objectif intermédiaire à 20% en 2025, et en décrétant que 35% des véhicules neufs devront être électriques à la fin de la décennie, l’Union européenne a mis la pression. Trop, sans doute. Car comment produire en si peu de temps du courant vert, abordable et en suffisance?
Schizophrénie
A ce jour, le bilan écologique d’une voiture électrique s’équilibre avec celui d’une voiture thermique après 35'000 km déjà. Ce n’est pas tout. Pour la branche, réunie au Salon de l’auto genevois, l’enjeu social est considérable. La propulsion électrique demandant moins de pièces, la filière sera impactée avec, à la clé, des dizaines de milliers de suppressions d’emplois.
Enfin, plus de 40% du prix de la voiture sera désormais dans la batterie. Or, comme les panneaux solaires, les batteries, qui dépendent de l’accès à des terres rares, sont en train de devenir un monopole asiatique. Moralité, on respirera certes mieux, mais à quel prix? Il y a donc clairement une part de schizophrénie dans les contraintes auxquelles est soumise l’industrie automobile. On lui demande de changer de modèle brutalement, de passer de la science-fiction à la réalité sans avoir réfléchi aux conséquences.
Contre mauvaise fortune, le secteur fait encore bon cœur, présentant tour à tour des "concept cars" tous plus déjantés, écolos et divertissants les uns que les autres. Mais derrière ces images de synthèse, la réalité est beaucoup moins rose…