Le signe ne trompe pas. En janvier dernier, l’automobile était l’une des industries les plus représentées au Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, la grand-messe mondiale des technologies grand public. A coups de rutilantes présentations relayées par des médias accourus du monde entier, constructeurs et équipementiers ont rivalisé d’originalité pour présenter leurs innovations et leurs projets futuristes. Leur message disait à peu près ceci: «Grâce à l’intelligence artificielle et à la robotisation, la révolution est en marche! La voiture de demain sera propre, sûre, confortable, ludique, divertissante et, bien sûr, autonome.» C’est en tout cas l’objectif visé par les constructeurs, engagés dans une impitoyable course contre la montre.
Reste que sculpter le visage de l’automobile du futur n’est pas aussi simple que cela. Pour preuve, 26 ans après les premiers pas de la voiture autonome, entrepris par la société allemande Bosch, et malgré l’explosion des technologies numériques, ce qui était de la science-fiction n’est pas encore tout à fait devenu réalité. Pour le grand public du moins.
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Obstacles juridiques
A l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), haut lieu de recherche et de savoir prisé par l’industrie automobile (Nissan et le groupe PSA avaient encore récemment pignon sur rue dans le campus), on estime d’ailleurs que les voitures-robots ne seront pas chez nos concessionnaires avant une bonne dizaine d’années. «Au-delà de la technologie, il s’agira d’adapter les lois et de surmonter les obstacles juridiques», analyse Simone Amorosi, adjoint du directeur du Trace, le centre de transport et de mobilité de la haute école.
«Relié à une foule de capteurs, c’est l’ordinateur, et non plus le chauffeur, devenu simple passager, qui décidera des manœuvres à effectuer. Dès lors, en cas d’accident, qui sera responsable? Le propriétaire du véhicule, son programmeur ou le constructeur?» interroge le scientifique.
A ce stade, d’innombrables questions demeurent en suspens. Signée en 1968, la Convention de Vienne sur la circulation routière impose des règles uniformes dans le monde entier. Elle stipule que le conducteur est le seul responsable du comportement de son véhicule et qu’il doit avoir ses deux mains sur le volant si sa vitesse dépasse 30 km/h. Changer cette législation à l’échelle planétaire ne sera pas chose aisée.
Voiture, chambre à coucher et avion de chasse
Ce n’est pas le seul casse-tête. Technique, celui-ci: comment, dans un premier temps, faire cohabiter les voitures autonomes avec le parc ancien? Et comment recycler ce dernier? Autant de problèmes à résoudre avant que votre véhicule, à l’exemple du concept car autonome imaginé par Volvo (360c), modulable en chambre à coucher, bureau, salon ou espace de réunion, vienne vous chercher devant votre porte, vous dépose à votre destination puis trouve tout seul une place où se garer, jusqu’à ce que vous lui donniez l’ordre de vous rejoindre, via votre smartphone.
A vrai dire, dans un futur immédiat, c’est l’intérieur de nos voitures qui sera radicalement changé. Personnalisable à outrance, connecté au wi-fi et à nos téléphones, celui-ci ressemblera de plus en plus à un lieu de vie. Grâce à la réalité augmentée, toutes les informations utiles s’afficheront sur le pare-brise, voire sur une lentille située à hauteur du regard, comme dans un avion de chasse. Une technologie déjà proposée par plusieurs constructeurs, tout comme la détection des piétons, l’aide automatisée au stationnement (park assist), la détection de la somnolence du chauffeur et même l’analyse de son état physique et psychologique.
Côté carrosserie, celle-ci sera conçue en matériaux composites recyclés ou recyclables ultra-légers, réduisant drastiquement la consommation de carburant. Avec un système de propulsion hybride, électrique/thermique, on ne devrait pas dépasser le litre d’essence aux 100 kilomètres. «Selon la manière de produire l’électricité, de fabriquer la batterie et de la recycler, ce ratio peut être bien moins bon», tempère cependant le professeur François Maréchal, spécialiste des technologies de propulsion.
Loup chinois
Vous l’aurez compris, la voiture totalement autonome n’est pas pour tout de suite. «Elle ne va pas sortir d’un paquet-cadeau un beau matin telle qu’on la rêve. La mutation s’opérera au rythme des évolutions techniques et de la législation. Par petites touches», anticipe Simone Amorosi. D’ici là, des start-up aux dents aussi longues que leurs idées sont innovantes continueront, comme le fait Tesla, à défier les grands constructeurs dans cette marche vers le changement.
C’est le cas de l’une des plus jeunes d’entre elles, fondée en 2016 par deux anciens cadres de BMW et basée à Nankin, dans l’est de la Chine: Byton. Réunie par le duo germanique, l’équipe s’est rapidement étoffée avec l’arrivée d’ex-cadors d’Apple, de Google et de Tesla. Une troupe de choc soutenue à hauteur de 700 millions de dollars par le gouvernement de Pékin et par un fonds d’investissement auquel appartient notamment le géant chinois de la technologie Tencent, qui pointe au top 5 des plus grosses valorisations boursières du globe.
Les résultats n’ont pas tardé. Après avoir fait le buzz avec son concept car présenté en grande pompe à Las Vegas en 2017, Byton a remis le couvert le 8 janvier dernier en étrennant la version définitive de son SUV tout électrique: le M-Byte, qu’il entend lancer sur les routes de l’Empire du Milieu à la fin de l’année, avant de s’attaquer aux marchés américain et européen.
Coup de maître ou coup d’épate?
Conçu comme un objet connecté, ce crossover est bourré de technologies. Les portes se déverrouillent via la reconnaissance faciale. Le tableau de bord se résume à un écran digital de 1,25 m de long sur 25 cm de large. Grâce à un partenariat avec Amazon, les commandes peuvent être activées par la voix, parallèlement à un système gestuel. Bardé d’écrans et connecté au wi-fi, le véhicule sert également, selon ses concepteurs, de plateforme d’e-commerce. Ce n’est pas tout. Des capteurs placés dans les sièges permettent à la voiture de calculer le rythme cardiaque du conducteur, sa tension, son poids et sa saturation en oxygène. Comme sur la Tesla, le système sera régulièrement mis à jour.
Deux versions seront disponibles dès la fin de cette année, assurent les dirigeants de la firme. L’une dotée d’une autonomie de 385 km et l’autre de 520 km, les deux rechargeables à 80% en trente minutes. Last but not least, leur prix: maximum 45'000 dollars. Soit 35'000 dollars de moins que le Model X de Tesla.
Une promesse à ce point alléchante qu’elle paraît tout à fait irréaliste à beaucoup de professionnels de la branche, lesquels ont encore en mémoire les déboires d’une autre start-up chinoise, Faraday Future. Après avoir elle aussi paradé à Las Vegas, elle a subitement disparu des écrans radars.
Respectivement président et PDG du groupe Byton, Daniel Kirchert et Carsten Breitfeld jurent en chœur que leur société ne connaîtra pas le même sort. Au contraire, les deux boss affirment que les six sites de production de Byton en voie d’achèvement (Munich, Santa Clara en Californie et quatre en Chine) pourront assembler 300'000 véhicules dès cet automne et produiront deux nouveaux modèles - une berline et un monospace - en 2021 et en 2022. On attendra malgré tout de voir pour y croire.
Explosion du nombre de brevets
Une chose est certaine toutefois. Toutes les marques qui comptent ont désormais pris conscience des enjeux colossaux qui se profilent. Mais qui mène véritablement le bal dans cette course à l’innovation?
Associé à l’European Council For Automotive R&D, l’Office européen des brevets a récemment répondu à cette question en publiant des statistiques spectaculaires. En effet, le nombre de demandes de brevets liés à ces nouvelles technologies a explosé de 330% entre 2011 et 2017, culminant à 4000 pour la seule année 2017.
Les plus prolifiques ne sont pas les entreprises du secteur automobile (seules Bosch, Toyota et Continental figurent dans le top 10), mais celles des technologies. Samsung vire en tête devant Intel, Qualcomm et LG. Deux sud-coréens (Samsung et LG) et deux Américains. Au classement par continent, l’Asie pointe donc largement en tête, devant l’Europe, qui devance les Etats-Unis de quelques points, malgré Qualcomm et Intel. Les dés sont jetés…