Bon marché et peu risquée, la vitamine D a – ou avait, devrait-on peut-être dire – tous les attributs de la pilule miracle. On lui a prêté toutes les vertus, dont celle de booster l’immunité. Cancer, diabète, maladies cardiovasculaires et plus récemment Covid-19, rien n’était censé lui résister.
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Mais au cours des deux dernières années, de nouvelles études sont venues nuancer les folles espérances thérapeutiques qui lui étaient liées. Selon les dernières données de la littérature scientifique, la supplémentation en vitamine D à large échelle n’aurait ainsi pas d’effets bénéfiques avérés sur la santé. La molécule devrait être administrée uniquement à des groupes d’individus précis, comme les personnes souffrant d’ostéoporose ou de problèmes de malabsorption, par exemple.
Il n’empêche que, malgré les nouvelles connaissances, la controverse continue. A coups d’éditoriaux dans les grands journaux médicaux, les scientifiques qui la défendent s’écharpent avec ceux qui la pourfendent. A quoi sert vraiment la vitamine D? Quelles sont ses fonctions? Et comment démêler le vrai du faux? Retour sur une polémique qui n’a pas fini de faire couler de l’encre et de déclencher les passions.
1. Une vitamine bonne pour les os et les muscles
La fonction principale de la vitamine D est de permettre l’absorption du calcium au niveau intestinal et d’en diminuer la perte par les urines. Des récepteurs pour cette vitamine existent un peu partout dans le corps, notamment au niveau des os et des muscles. En maintenant des taux de calcium et de phosphates efficaces, la vitamine D agit indirectement sur la minéralisation des os. De la même manière, elle renforce la musculature, ce qui expliquerait l’augmentation du risque de chutes chez ceux qui en manquent. Dans les deux domaines que sont l’os et le muscle, les données, y compris des dernières études, restent solides et la vitamine D, ciblée pour les bonnes personnes, y est bien utile.
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2. Le soleil, source essentielle de vitamine D
Contrairement à d’autres vitamines, la vitamine D n’est que très peu présente dans l’alimentation. On en trouve dans l’huile de foie de morue, qui n’est maintenant plus consommée, dans les poissons gras (saumon, hareng, anchois, maquereau, thon, etc.), les jaunes d’œufs et, dans une moindre mesure, dans les champignons et certains abats. Les apports en vitamine D par l’alimentation sont toutefois insuffisants pour couvrir nos besoins quotidiens. Pour les combler, il faut s’exposer aux rayons du soleil, raison pour laquelle le statut même de vitamine est discuté pour la vitamine D. On lui préférerait celui d’hormone.
«Par définition, les vitamines sont des substances nécessaires à la vie qui ne sont pas produites de façon endogène, commente le professeur Omar Kherad, médecin-chef du service de médecine interne de l’Hôpital de La Tour. Or la principale source de vitamine D est la synthèse endogène qui se déroule au niveau de la peau, après une exposition aux ultraviolets B fournis par les rayons du soleil. C’est donc un processus interne au corps.» Au-delà des éléments de définition, pour atteindre les seuils recommandés (lire ci-dessous) et constituer nos stocks de vitamine D, on doit donc s’exposer au soleil. Sous nos latitudes, de cinq à trente minutes deux fois par semaine sont nécessaires. Influencé par la quantité du rayonnement, le taux de vitamine D est tributaire des saisons. En hiver, en raison du manque d’ensoleillement, on en produit moins qu’en été ou au printemps.
A noter que l’efficacité du processus de synthèse dépend aussi de nombreux facteurs individuels. Les peaux claires en fabriquent ainsi plus que les peaux foncées qui, à cause de la mélanine, un pigment de la peau, bloquent une partie des rayonnements UV impliqués dans la synthèse de la vitamine D. L’épaisseur de la peau mais aussi celle de la graisse sous-cutanée jouent également un rôle dans le processus. Un ensemble de facteurs qui rend la mesure du taux de vitamine D dans le sang bien plus complexe qu’il n’y paraît et complique le dépistage des carences (lire encadré).
3. Des bénéfices controversés
Au début des années 2000, de nombreuses études ont montré une association entre un taux élevé de vitamine D et une protection contre des maladies aussi diverses que les cancers, les maladies cardiovasculaires, des infections respiratoires ou encore l’insuffisance rénale. Ces résultats ont suscité un très grand intérêt de la communauté scientifique, qui y a consacré de nombreuses recherches.
«Le problème, relève Omar Kherad, est que ces études étaient majoritairement observationnelles. On décrit un phénomène ou une population, mais on n’intervient pas sur des groupes distincts avec un placebo contre un médicament.» Dans ce type d’étude, les biais sont nombreux. En l’occurrence, il n’est pas possible de savoir si le faible taux de vitamine D observé chez les malades provoque la pathologie ou s’il en est la conséquence. Autrement dit: les patients sont-ils malades parce qu’ils ont peu de vitamine D ou bien leur faible taux de vitamine D provient-il du fait de leur situation de maladie qui les empêche d’en produire suffisamment?
En 2019, plusieurs études, cette fois-ci randomisées, où les chercheurs ont comparé la supplémentation en vitamine D contre un placebo, sont venues doucher les espoirs suscités par ces premières études qui suggéraient qu’une supplémentation à large échelle de la vitamine D était bénéfique. Ces études ont été menées sur de très larges échantillons et leur résultat est sans appel: aucune de ces études ne montre un effet significatif sur les cancers, l’insuffisance rénale, les événements cardiovasculaires ou encore la mortalité et les infections sévères (sepsis).
«Depuis lors, note Omar Kherad, on assiste à un combat entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre qui n’est plus très objectif. Il y a derrière cette controverse un biais qu’on sous-estime souvent: le conflit d’intérêts scientifique. Quand vous avez bâti votre parcours académique sur une molécule, il devient difficile de la laisser tomber. Il faut toutefois se rendre à l’évidence: les connaissances actuelles indiquent que la vitamine D n’est pas la pilule miracle bon marché qu’on nous a fait miroiter au début du siècle.»
4. Cibler les populations qui ont réellement besoin de vitamine D
Si les dernières études nuancent fortement les bienfaits d’une supplémentation à très large échelle de la vitamine D, elle n’en reste pas moins très largement prescrite et dosée. «En médecine, observe Omar Kherad, il ne suffit pas de montrer qu’une action est inutile. Il faut aussi souvent prouver qu’elle est dangereuse pour que les prescripteurs modifient leurs pratiques. Or la vitamine D a un bon profil de risque, sauf en cas de surdosage important, où elle peut devenir délétère et même diminuer la densité osseuse.»
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Supplémenter à faible dose une large population comporte donc peu de risques, même si, selon l’état actuel des connaissances, la démarche semble avoir peu d’effets concrets. Reste que, pour certaines populations, une supplémentation est nécessaire. Les bébés de moins de 3 mois, par exemple, en ont besoin parce qu’ils ne sont pas assez exposés au soleil. Chez les ostéoporotiques et les personnes âgées qui sont très à risque de chuter ou qui ont déjà chuté aussi. Des recommandations précises existent aussi pour plusieurs autres groupes de population.
Mais, de manière générale, faire le tri parmi les facteurs de risque pour lesquels une carence en vitamine D est problématique et nécessite une intervention est complexe. Ce qui fait dire au professeur Kherad que «le véritable enjeu n’est pas de supplémenter tout le monde mais de mieux définir les profils individuels qui ont réellement besoin d’une supplémentation en vitamine D.» Un programme qui promet de se révéler ardu.
Apport journalier en vitamine D et carences
Les besoins quotidiens diffèrent en fonction du groupe d’âge. On parle de carence en vitamine D à partir d’une concentration sanguine de 25-hydroxyvitamine D inférieure à 50 nanomoles par litre de sérum sanguin. On parle de carence sévère en cas de valeur inférieure à 25 nmol/l.
10 microgrammes: Nourrissons jusqu’à 1 an
15 microgrammes: Personnes entre 1 et 60 ans
20 microgrammes: Personnes à partir de 60 ans