«Le jour où j’ai appris qu’une personne de mon entourage avait été touchée par le Covid-19, ce virus, qui jusqu’ici était encore pour moi quelque chose de très diffus, lointain, est devenu d’un seul coup quelque chose de très réel, de très concret.» Caroline Meyer, 36 ans, productrice et présentatrice à La Télé de l’émission «Rendez-vous avec…», qui fut aussi la directrice des chœurs de la dernière Fête des vignerons, n’oubliera jamais ce week-end pas comme les autres, le dimanche 8 mars dernier: «J’étais à la répétition de mon chœur, à Lausanne, quand j’ai appris qu’une amie très chère, médecin, ne pourrait pas venir ce jour-là. Elle a alors annoncé qu’elle était infectée par le coronavirus. De concert avec les autres chanteuses, nous avons immédiatement décidé de regagner nos domiciles respectifs et de nous mettre en auto-isolement, puisque nous avions répété avec elle la veille.
A ce moment-là, il avait déjà été décidé par les autorités de ne plus procéder à des tests. L’attente fut donc longue, bizarre, j’étais seule chez moi. A chaque petit truc, mal de tête, mal de dos, c’était de plus en plus déstabilisant. «Je dois l’avoir, non je ne l’ai pas, si je l’ai…» Puis, deux ou trois jours plus tard, j’ai commencé à ressentir clairement tous les symptômes, toux sèche, essoufflement, mal de tête et grosses douleurs dorsales, sans avoir vraiment de fièvre. Mes copines chanteuses et moi sommes tombées malades en même temps et l’une d’entre nous est d’ailleurs hospitalisée aux soins intensifs. Depuis quelques jours, je n’ai plus d’odorat et ne ressens plus les goûts, ça m’inquiète un peu. Mais ce qui est le plus questionnant, c’est de se dire que si mon amie n’avait pas été médecin, elle n’aurait pas été dépistée et nous aurions continué à nous balader dans la nature en contaminant beaucoup trop de personnes…»
Caroline est aujourd’hui complètement à l’isolement. Ses proches lui font les courses, qu’ils déposent devant sa porte. Sinon, ses journées, cette Lausannoise les occupe comme elle peut: «Le moral est en dents de scie, des jours bien, des jours je me sens vraiment seule. Heureusement, il y a Netflix, les livres, la TV, et puis surtout cette formidable chaîne de solidarité de gens qui m’appellent, m’écrivent, bavardent avec moi par téléphone. C’est quelque chose d’extraordinaire. Et puis bon, pour le reste, je me dis que j’ai 36 ans, que ce n’est pas trop grave pour moi, mais ça fait bizarre. J’étais quelqu’un qui sortait beaucoup, avait une vie sociale très active, et là, je me retrouve confinée. Mais à distance, on se rend compte de la force de son réseau. Tout le monde se propose de faire quelque chose pour moi; mes parents m’ont apporté des fleurs, on s’est fait des signes à travers des selfies qu’on s’est envoyés. On essaie d’être créatif, inventif, mais on reste impuissant. J’ai été une des premières à développer le virus, j’espère guérir le plus vite possible, pour pouvoir aider les autres ensuite.»
«Le Covid-19 n’est pas une maladie honteuse»
Marie-Claude Polglaze, 59 ans, au chômage depuis six mois, a été testée positive au coronavirus le 11 mars dernier.
«Je me demandais l’autre jour quelle serait la première personne touchée par le corona que je connaîtrais. Eh bien, il s’avère que c’est moi, témoigne Marie-Claude Polglaze, de Chéserex (VD), avec un certain fatalisme. Je pensais un peu comme tout le monde que ça n’arrivait qu’aux autres.» Dès qu’elle a appris qu’elle était positive au coronavirus, cette ex-responsable de l’informatique d’une entreprise de barbecues, depuis six mois au chômage, a décidé instantanément de partager la nouvelle avec ses amis sur Facebook: «Ça me semblait important de communiquer, de dire que ce n’est pas une maladie honteuse qu’on doit cacher. Et la prévention passe d’abord par l’information. Je ne suis pas sortie de chez moi depuis maintenant une semaine, je regarde le monde à travers la TV et internet. Et je me suis imposé un challenge: ne pas devenir folle. Je me dis que je vais m’en sortir, je suis optimiste.»
«Tout a commencé pour moi comme un vulgaire rhume, sans vraiment tousser, raconte-t-elle, j’ai d’abord pensé que c’était une grippe saisonnière. Puis j’ai commencé à avoir de la fièvre, jusqu’à 39,5°C. J’ai appelé le médecin de garde de l’hôpital de Nyon qui m’a dit que comme je suis dans un groupe à risque – je souffre en effet d’emphysème et d’hypertension –, il fallait venir immédiatement me faire dépister. A l’hôpital, on m’a introduit une espèce de gros Q-tip dans le nez, jusqu’au fond de la gorge, ce n’est pas douloureux mais désagréable. Et on m’a appelée le lendemain, le 11 mars dernier, vers 16h30, pour m’annoncer la nouvelle. Ça m’a assise, littéralement.
Les instructions, dès lors, étaient claires: rester confinée chez moi au moins jusqu’au 18 mars. J’ai dû m’organiser, un peu comme tout le monde, maintenant. Mais j’ai surtout essayé de comprendre comment j’avais pu choper ce virus: je vis seule dans un petit village, je sors très peu, j’ai été en contact avec peu de personnes, je suis juste sortie une fois au supermarché les jours précédents. Je me dis que c’est peut-être là que je l’ai attrapé. Et je suis convaincue que cette maladie est bien plus contagieuse qu’on nous le dit.»
«Je suis incroyablement reconnaissante de faire théoriquement partie d’un groupe d’âge où plus de 80% des personnes touchées survivent, ajoute Marie-Claude. Attraper le Covid-19 n’est pas une condamnation à mort pour tous, mais il faut rester très vigilant. On peut être jeune et en forme et ne pas avoir de complications, mais qu’en est-il de nos grands-parents, parents, amis ou membres de la famille souffrant d’asthme ou d’allergie? On doit absolument tout faire pour les protéger. Ma propre mère, qui a 85 ans, a du mal à rester isolée et ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas venir prendre soin de moi. Comment faire comprendre aux gens que leurs bravades mettent les autres en danger?
La propriétaire d’un café, l’autre soir au journal télévisé, qui poussait les gens à l’embrasser, faisant comme si le Covid-19 n’existait pas, ou cette jeune fille éméchée à Genève, se vantant de pouvoir battre le virus, ne sont que des imbéciles irresponsables. Ce qui m’a brisé le cœur, c’est la petite vieille qui faisait ses courses au marché et qui disait qu’elle préférait prendre le risque plutôt que de déprimer et de rester à la maison. Un commentaire sur les réseaux sociaux m’a particulièrement marquée: «Dans cette crise, nous devons choisir qui nous sommes: la personne qui continue sa vie comme si rien n’avait changé ou la personne qui fait ce qu’il faut pour prendre soin de sa famille, de ses amis et de sa communauté. Laquelle êtes-vous?»
Marie-Claude Polglaze, elle, le sait, mieux que beaucoup d’autres. Elle attend désormais le grand jour, celui de sa guérison complète et totale. Elle s’y accroche avec optimisme: «Si tout cela se passe bien, j’espère pouvoir aider ceux qui sont autour de moi et qui ont besoin de nourriture ou de médicaments. Et je serai heureuse de pouvoir le faire en toute sérénité, puisque j’aurai alors des anticorps protecteurs. Nous devons tous nous réveiller et commencer à nous comporter de manière responsable. Nous survivrons à tout cela si nous arrêtons d’être égoïstes et nous comportons comme des êtres humains qui se soucient les uns des autres.»
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