Viola Amherd a une question: pour quelle raison, demande la cheffe du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) à l’équipe qui l’accueille ce mardi matin au centre de recrutement d’Aarau (AG), les Valaisans sont-ils si nombreux à être déclarés inaptes au service militaire? L’année passée, ils étaient en effet plus de trois sur dix, pour une moyenne de 21,2% pour l’ensemble du pays. La réponse sera inaudible et la visite se poursuit au pas de charge.
Fidèle à son image de femme sans chichis, la Haut-Valaisanne a enfilé pour l’occasion une paire de jeans et des baskets. Ce genre de rencontre est rare, en raison d’un emploi du temps chargé – fraîchement élue, la ministre avait inspecté les troupes lors du WEF à Davos en janvier dernier – mais d’autant plus apprécié par les recrues et l’état-major. A la conseillère fédérale, cela permet, nous dit-elle, «d’aller sur le terrain et de ne pas seulement être plongée dans les rapports et la théorie, de parler avec les gens, de sentir ce qui les préoccupe».
La démonstration en est faite lors de son arrivée à la place d’armes de Brugg (AG), où est basé le commandement du génie 73, qui a pour charge d’assurer la mobilité des troupes et qui intervient en cas de catastrophe. «Nous sommes très fiers, ce n’est pas tous les jours qu’un conseiller fédéral vient ici», s’exclame le colonel Daniel Wegrampf, qui dirige l’école de sous-officiers et de recrues. Et qui, devant le pont d’appui de 46 mètres qui peut être monté en quelques heures, tient à préciser: «Nous sommes des hommes de construction, droits, honnêtes. Ici, nous ne faisons pas de théâtre!»
La conseillère fédérale écoute, enfile un gilet de sauvetage pour un tour sur l’Aar. Autorisées à lui poser des questions, les recrues ne s’en privent pas: hygiène, promotion de la paix, attractivité de l’armée… «C’est bien de voir qu’ils s’intéressent à des thèmes importants et qu’ils y réfléchissent eux-mêmes», nous dira-t-elle.
«Accueil ouvert et chaleureux»
Elue en décembre dernier, celle qui a hérité du siège PDC laissé vacant par Doris Leuthard semble avoir pris ses marques au gouvernement, sans tambour ni trompette. Elle assure se sentir bien à la tête de son département. «Le DDPS n’était pas mon choix de cœur lorsque je suis entrée au Conseil fédéral. Mais j’ai découvert un grand département avec beaucoup de diversité, ce qui me plaît beaucoup, à moi qui déteste la routine! Je m’y sens très bien. Le plus étonnant, à mon arrivée, a été l’accueil très ouvert et chaleureux qui m’a été fait. Je ne connaissais pas ce monde et je pensais que ce serait plus dur. Le machisme? Non, je ne le craignais pas. Quand j’ai commencé en politique, j’étais souvent la seule femme et je suis habituée à travailler dans un monde plutôt masculin.»
Le fait que Viola Amherd est la première femme à ce poste a bien évidemment été abondamment relevé. Alors, finalement, c’est comment? «D’un côté, c’est normal, il était temps, sourit-elle. De l’autre, c’est une chance, car cela donne plus de visibilité au département et en offre une image plus ouverte, plus diversifiée.» Une diversification qu’elle s’applique à concrétiser.
A titre d’exemple, «lorsqu’il a été question d’instituer la commission chargée de sélectionner le nouveau chef de l’armée (le Valaisan Philippe Rebord sera remplacé en 2020, ndlr), j’ai explicitement demandé que des femmes y siègent.» La commission compte deux femmes sur cinq membres, dont la conseillère d’Etat vaudoise Béatrice Métraux. C’est également une femme que la conseillère fédérale a choisi de nommer à la tête de Ruag. «A la condition qu’elle soit compétente, évidemment. C’est le cas de [la Tessinoise PDC] Monica Duca Widmer et je suis ravie qu’elle ait accepté. Sans parler du fait qu’elle est de langue maternelle italienne.»
Vous avez dit ouverture et diversité? La semaine dernière, à la suite du témoignage paru dans 24 heures d’une personne transgenre déclarée inapte par les médecins militaires, conformément au règlement, le chef Philippe Rebord s’est dit favorable à ce que l’armée ouvre ses rangs aux transgenres. Active sur Twitter, la ministre a retweeté le message d’un internaute félicitant Philippe Rebord pour son ouverture d’esprit et espérant que la ministre était du même avis.
Des changements, mais en douceur. En mai dernier, la cheffe du DDPS a présenté une version allégée des budgets alloués aux moyens de protection de l’espace aérien, à hauteur de 6 milliards de francs, comme à l’armée de terre, pour 2 milliards de francs. «Je me réjouis que le Conseil fédéral ait donné son accord pour aller dans une direction qui correspond mieux aux menaces d’aujourd’hui.» (Dans le cadre du projet Air2030 sur le renouvellement des forces aériennes, les Suisses seront appelés à voter sur l’achat de nouveaux avions de combat, ndlr.)
Un rythme «intense»
Question transparence – et avant la polémique sur le financement du pavillon suisse à Dubaï par le fabricant de cigarettes Philip Morris qui a touché le DFAE – elle a demandé un rapport sur les parrainages au sein de son propre département. «Vu les gros achats que nous avons à faire ces prochaines années, je veux être sûre qu’il n’y a pas de problème de collusion.»
Egalement dans ses intentions, celle de rendre l’armée plus verte, «par exemple en installant des panneaux solaires sur nos bâtiments, en remplaçant les véhicules qui doivent l’être par d’autres qui consomment moins d’énergie… Cela ne se fera pas d’un jour à l’autre, mais c’est très important pour le département.»
Si elle trouve «très bien» que les jeunes s’engagent pour l’environnement, elle dit rester sereine face à la vague verte annoncée aux élections fédérales de l’automne, ce qui pourrait remettre en question l’un des sièges du Parti libéral-radical, voire celui du PDC. «Je ne me fais pas trop de souci quand je vois les résultats que nous faisons dans les exécutifs cantonaux. Mais il est vrai qu’on est moins visible lorsqu’on essaie de trouver des solutions constructives au lieu de crier haut et fort…» Au Conseil fédéral, «le PDC a droit à un siège et je suis confiante pour les élections. L’élection du Conseil fédéral appartient au parlement.»
Et le rythme de travail, alors? Si elle retrouve, «sur la forme, les principes de fonctionnement de l’exécutif communal», Viola Amherd note le rythme plus soutenu depuis qu’elle est entrée au gouvernement. Le peu de temps libre qu’il lui reste, elle le consacre au Haut-Valais. «Quand je le peux, je rentre chez moi le week-end et je me balade dans la nature, je fais des randonnées. Cela me permet de me régénérer. Le sport? Hier, j’ai voulu aller au fitness… Manque de chance, il était fermé pour rénovation», rit-elle.
Mais, dans la limousine qui la ramène à Berne, la voilà déjà replongée dans ses dossiers entre deux coups de téléphone. Prête à retrouver son bureau de l’aile est du Palais fédéral au-dessus duquel, pour la première fois, est désormais gravé le mot «Chefin».