- Madame la conseillère fédérale, comment allez-vous fêter le 1er Août?
- Viola Amherd: J’avais prévu de me rendre à Lucerne pour prononcer un discours. Mais avec le Covid-19, cela a été annulé. Je vais donc aller marcher avec mon cercle proche, une dizaine de personnes. Nous dégusterons ensuite une raclette et trinquerons tranquillement.
- Quels souvenirs d’enfance avez-vous de la Fête nationale?
- Je me souviens bien sûr du cortège des lampions, et du stress à l’idée que les bougies tombent et y mettent le feu (elle rit). Et bien sûr des fusées que j’allumais avec les autres enfants du quartier!
- Que représente pour vous cette journée?
- C’est toujours pour moi l’opportunité de reprendre conscience de l’immense chance que nous avons de vivre en Suisse. J’y pense souvent le reste de l’année, mais, le 1er août en particulier, je prends le temps de savourer cette pensée.
>> Voir la galerie de photos de la balade des abonnés avec Viola Amherd
- En quoi est-ce une chance?
- Nous pouvons vivre en paix et en liberté, et exprimer librement notre opinion. Nous appuyer sur un système de droit garant d’une grande stabilité. Et puis, notre pays dispose d’une solide base économique, avec de très bonnes PME qui contribuent énormément au bien-être général. Enfin, il y a la sécurité, quasiment incomparable. La crise du Covid-19 a montré à quel point notre système de santé fonctionne. C’est une chance incroyable que de pouvoir vivre ici, nous ne devrions jamais l’oublier.
- Avons-nous parfois tendance à le faire?
- Je crois que la grande majorité est consciente de ce privilège. Pendant la crise, lorsque j’allais faire des courses à Brigue, où les gens me connaissent et m’interpellent, ceux qui sont venus me parler se sont montrés compréhensifs vis-à-vis des mesures édictées. Cela m’a fait très plaisir.
- Depuis votre entrée au Conseil fédéral, votre regard sur la Suisse a-t-il changé?
- Ce qui m’apparaît encore plus clairement, même si j’en étais déjà consciente lors de mes mandats précédents, c’est à quel point la sécurité de notre pays est importante, pour l’économie comme pour les citoyens. J’ai aussi pris encore plus conscience de la bonne cohabitation entre tous les échelons de notre système fédéraliste. C’est parfois compliqué, mais cela fonctionne très bien!
- Passez-vous cet été au pays?
- Oui. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois. La Suisse offre tellement d’opportunités! Sur des distances si courtes, en trois heures de temps vous pouvez découvrir des paysages de montagne sauvage, avec des reliefs qui me font penser à l’Islande même si je n’y suis jamais allée (elle rit), et un climat méditerranéen avec les palmiers au bord des lacs! Pourquoi partir?
- Quel est pour vous le plus bel endroit de Suisse?
- C’est justement cette diversité qui est si belle.
- Vous êtes-vous fait du souci pendant la crise?
- Bien sûr, d’autant que j’ai dans mon cercle proche une personne qui appartient à la catégorie à risque.
- Avez-vous changé quelque chose dans votre quotidien?
- Le week-end, je suis restée à la maison. Et j’ai constaté que ne pas être en route, mais rester dans les environs, en allant faire une randonnée ou du vélo, peut s’avérer très bénéfique. D’autant qu’en Haut-Valais, nous avons la chance d’être très vite en pleine nature. J’ai cuisiné bien plus souvent chez moi. Les apéros avec les amis en ont pris un coup…
- Qu’avez-vous cuisiné?
- Oh, des choses très simples. Des spaghettis avec une bonne sauce, des légumes vapeur… Ce qui me donne peu de travail. Je n’ai pas passé des heures dans la cuisine!
- Cet été, pas de JO, et des joueurs de tennis européens qui hésitent encore à se rendre à un tournoi comme l’US Open. Vous le comprenez?
- Bien sûr, je pense aux athlètes qui se préparaient aux Jeux depuis longtemps, et pour qui c’est triste et dommage. Mais le CIO n’avait absolument pas d’autre choix. En tant qu’ancienne joueuse de tennis, je m’intéresse bien sûr aux tournois et je les suivrai s’ils se jouent.
- Votre département a donné plus de 5 millions pour aider le sport. Ne faudrait-il pas plutôt que ce soit la BNS qui aide à compenser les pertes liées au Covid-19?
- La BNS est indépendante, le CF ne peut donc pas décider ce qu’elle fait de son argent. Et il est important qu’elle le reste. La situation financière de la Confédération est bonne et nous pouvons donc soutenir l’économie, le sport et la culture.
- Y a-t-il un domaine qui vous inquiète particulièrement?
- Il est très important que les structures sportives, professionnelles comme amatrices, qui sont essentielles pour les jeunes athlètes comme pour la santé de nos concitoyens, ne soient pas mises KO par le Covid-19. Le sport, on l’oublie parfois, c’est 100 000 places de travail environ. Et il contribue à hauteur de 1,7% au PIB de la Suisse, ce n’est pas négligeable. Nous devons pouvoir maintenir ces structures en place.
- Quel impact le Covid-19 a-t-il eu sur la collégialité?
- Les débats au sein du Conseil fédéral ont parfois été houleux mais le dialogue entre nous a été excellent. Il nous est arrivé d’avoir plusieurs séances la même semaine et des discussions en dehors, donc bien plus de contacts qu’en temps «normal». Cela nous a vraiment soudés.
>> Lire l'entretien avec Alain Berset: «Ca va durer assez longtemps...»
- Si je vous demande de nommer un moment décisif de cette période?
- La période dans son ensemble a été très intense. Mais pour moi, le moment clé a vraiment été celui de la mobilisation partielle de l’armée, quand les cantons ont appelé à l’aide. Sortir les gens de leur environnement habituel, de leur famille, de leur activité pour les mobiliser, ce n’était pas rien.
- Des recrues se sont plaintes de n’avoir rien eu à faire. Que leur répondez-vous?
- L’engagement de l’armée est subsidiaire, il n’a été imposé nulle part. Nous nous sommes mobilisés suite aux 300 demandes des cantons. Nous étions face à ces images de Bergame (Italie, ndlr), où l’armée évacuait les malades, et confrontés à une situation délicate au Tessin. Il était difficile pour les cantons d’évaluer leurs besoins, ce que je comprends très bien. Il s’est avéré que, parfois, l’engagement aurait pu être moindre. A posteriori, je préfère que certains mobilisés n’aient pas eu assez à faire plutôt que de constater que nous n’étions pas préparés à gérer les malades.
- Que vous a appris la crise sur le plan politique?
- Qu’il est essentiel que nous soyons préparés aux menaces les plus diverses, et que nous devons penser à l’impensable. Si, il y a six mois, j’avais parlé de mobiliser l’armée face à une pandémie, on m’aurait sans doute demandé si je me sentais bien. Personne ne m’aurait prise au sérieux. C’est la même chose pour d’autres menaces, et c’est pour cela que je m’engage à fond pour l’achat de nouveaux avions de combat, pour pouvoir protéger la population en cas d’attaques aériennes.
- Avoir choisi l’unique pilote de chasse féminine (la Vaudoise Fanny Chollet) pour lancer la campagne pour ces nouveaux avions, n’était-ce pas une pure opération de communication?
- Ce n’est pas le DDPS qui fait campagne, mais un comité interpartis. Mon département informe. Pour vous répondre, il était clair pour moi que je voulais amener devant les médias quelqu’un qui travaille tous les jours avec les jets. Et puis, pour moi qui m’investis depuis plus de trente ans dans le domaine de la promotion des femmes, il apparaît toujours plus évident que ce dont cette promotion a besoin, c’est des modèles. Il était donc tout à fait logique de choisir une professionnelle, en mesure de parler concrètement de son travail. Et pour montrer qu’une femme peut devenir pilote de jet de combat et endosser des fonctions importantes au sein de l’armée. J’ajoute que si elle est la seule pilote d’avion de chasse, plusieurs femmes pilotent des hélicoptères militaires.
- Quelle impulsion souhaitez-vous donner au DDPS ces prochains mois?
- Les femmes représentent 0,8% des effectifs de l’armée, ce qui est bien sûr beaucoup trop bas. Augmenter leur proportion serait un gain pour l’armée et pour elles, car elles y trouvent des possibilités de formation intéressantes. Je me réjouis de constater que dans nos engagements à l’étranger, notamment au Kosovo, la proportion monte à près de 20%.
- Comment l’expliquez-vous?
- Je pense qu’elles voient dans cet engagement à l’étranger un sens et une responsabilité accrus. Il faut souligner qu’elles peuvent le faire sans avoir passé par l’école de recrues, mais en recevant une formation spécifique.
- Et sur le plan de la pandémie, vous faites-vous du souci?
- Un peu plus maintenant, avec les beaux jours. Lors de la première phase, les citoyens se sont très bien comportés et je leur fais mes compliments. Mais il ne faut pas oublier à quel point il est important de respecter les gestes barrières. Si nous pouvons continuer à nous comporter comme nous l’avons fait dans les premières semaines, sans déjà crier victoire, alors je suis optimiste quant au fait que nous surmonterons la crise.