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Comme tous les humoristes, Vincent Kucholl a dû affronter l’omniprésent covid et les sujets qui vont avec. Sensible à la division que cette crise provoque en Suisse, il se réjouit d’en sortir enfin.
Marc David
Comme tous les humoristes, Vincent Kucholl a dû affronter l’omniprésent covid et les sujets qui vont avec.
Anne-Sophie & Benoît de Rous | alavolette.net«Comment je vais? Bien. J’ai 45 ans, je suis à mi-chemin. Aujourd’hui, en décembre? Je suis un peu au bout du fart, comme tout le monde, je me réjouis de lever le pied.
L’année a pris toutes sortes de couleurs. Morose au début, puis pleine d’espoir avec le retour de plaisirs longtemps mis de côté. Jusqu’au retour à la case départ actuel et une désagréable impression de mars 2020. Sauf que pendant le confinement, il y avait presque un côté excitant. L’inconnu, la solidarité, la bienveillance générale, les applaudissements sur les balcons, les gens qui allaient faire les courses pour les vieux. Là, on est tous rodés à l’exercice, on se remet juste à envisager d’annuler notre voyage prévu – c’est mon cas.
Au début de l’année, les fermetures des lieux culturels ont duré si longtemps que ces mois ont eu le même goût. Sans des jalons comme Paléo, le temps s’est écoulé comme un long fleuve trop tranquille. L’année nous a filé entre les doigts, sans ses aspérités habituelles. Je n’avais pas de projet marquant, tel un spectacle sur scène, ce fut le train-train, avec le covid comme matière première. Je ne le cache pas, ce fut un peu ch…
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L’aspect qui me touche le plus est la scission dans la société suisse. Ces sujets sur lesquels on nous demande de prendre position, les vaccins, les décisions fédérales. Avec Vincent Veillon, alors que nous sommes moins politisés que d’autres, nous nous sommes fait allumer pour cela. Des gens se sont braqués, on s’est fait traiter de nazis, de collabos, de criminels. C’est nouveau, pour nous, à ce point-là. Ces divisions en deux camps dépassent les clivages historiques villes-campagnes, cathos-protos, droite-gauche, Romands-Alémaniques. C’est bizarre, surprenant, cela traverse les familles. Je déteste.
Pareil pour le relativisme par rapport aux faits scientifiques. Ils deviennent presque des opinions et peuvent être contestés par tous. Quelques personnes parlent très fort, parfois pour dire des bêtises. Si leurs propos sont repris, ils peuvent devenir des avis parmi d’autres, qui valent autant que la parole des scientifiques, pourtant attestée, démontrée. Cette situation m’agace au plus haut point. Cela mine les bases de la société. Pour vivre ensemble, il faut être d’accord sur certains faits.
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En rire? C’est difficile, car le rire n’a plus de prise. Les objets de la moquerie sont sourds, tel Zemmour qui met tout le monde dans un même sac et choisit de ne plus écouter. Son électorat adopte la même attitude.
Avec Vincent, nous tentons de garder un rapport avec tous. Nous ne voulons surtout pas être les porte-parole d’un petit bout de la société. Mais essayer d’être fédérateur ne signifie pas chercher à plaire à tout le monde. Nous voulons continuer à surprendre, à choquer parfois.
Il y a des rayons de soleil. Je pense à des personnes qui ont traversé mon année. David Castello-Lopes, qui joue pour nous le bobo parisien arrogant, propose exactement ce dont nous avions rêvé; il a tâtonné un peu, c’est devenu une belle réussite, et il adore la Suisse! Ou Christophe Auer, un vieux pote, sur scène avec Vincent: super qu’il ait osé se lancer. Et les nouvelles têtes, notamment féminines, qui ont rejoint notre équipe: Aurélie Cuttat, Laura Chaignat et on continue à collaborer régulièrement avec Forma. Du point de vue social, une femme qui s’essaie à l’humour prend plus de risques qu’un homme, les rôles de chaque genre étant toujours très figés. Le chemin vers l’égalité est encore long.
Des moments qui m’ont fait chaud au cœur? Récemment, à Saint-Maurice, lors d’une dédicace du livre qui vient de sortir sur nous, il y avait plein de gamins, des gosses de 10-12 ans qui avaient tous la banane. Et hier, je me baladais dans Lausanne quand une grand-maman a levé les pouces en me voyant et m’a lancé: «Je suis fan!»
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Candidat à la présidence de la République quelques jours plus tard, le polémiste d’extrême droite Eric Zemmour fait un doigt d’honneur à une femme qui vient de l’insulter, 27 novembre 2021, Marseille (France):
Nicolas Tucat/AFP«Zemmour… Ce cancer est présent depuis longtemps et il grandit. Je suis obligé de tirer un parallèle avec Trump, en espérant que la France ne soit pas aussi malade que les Etats-Unis, qu’elle ne soit pas dans un tel état de mort cérébrale qu’elle porte ce monstre au pouvoir. C’est du spectacle: comme Trump, Zemmour est un «entertainer». Je hais sa façon de raconter l’histoire à sa manière, dans un but effrayant et machiavélique.»
Rizgar Hussein, un Kurde irakien, regarde les photos de sa femme et ses trois enfants. Depuis qu’un canot a coulé en traversant la Manche, causant la mort de 27 migrants, il n’a plus de nouvelles d’eux, 29 novembre 2021, Darbandikhan (Irak):
Ako Rasheed/Reuters«On voit des gens qui nous ressemblent et la tragédie devient plus proche de nous. Cette famille a l’air d’être des nôtres. De notre côté, nous n’avons pas abordé ce thème récemment. Qu’en dire, en effet, sinon que c’est dramatique? Sur la gestion de la crise, par contre, il y a plein de choses à exprimer. Et sur le clivage des sociétés, avec cet eldorado que l’Angleterre représente, la promesse d’un monde meilleur, assez forte pour qu’on soit prêt à perdre sa vie.»
Après avoir accusé de viol un haut dirigeant chinois puis disparu pendant dix-neuf jours, la championne de tennis Peng Shuai réapparaît en parlant avec Thomas Bach, président du CIO, 21 novembre 2021, Lausanne
Greg Martin/IOC/Reuters«L’expression grossière de rapports de force qu’on n’essaie même plus de cacher derrière un vernis de communication. A priori, la parole des victimes devrait être entendue. Là, c’est l’inverse, même pour une star du tennis mondial. Cette situation témoigne de l’arrogance de la dictature chinoise et de l’hypocrisie du CIO. Des Jeux arrivent, il ne faut surtout pas froisser. Pareil pour la désignation du Qatar ou de la Russie: plus c’est gros, plus ça passe.»
La chanteuse et danseuse noire franco-américaine Joséphine Baker devient la sixième femme à entrer au Panthéon, 30 novembre 2021, Paris (France):
Sarah Meyssonnier/Reuters«Dans ce genre de cas, la portée aux nues d’une personnalité a du sens. On célèbre les valeurs que Joséphine Baker avait chevillées au corps, ses actes héroïques. Je ne la connais pas bien mais je sais qu’elle a été une courageuse antinazie, qu’elle a adopté une douzaine d’enfants. Là, OK pour la «starification» et même la sacralisation, car c’est le Panthéon. Quelques femmes entrent enfin dans ce tombeau.»
La chanteuse américaine Britney Spears est libérée de la tutelle de son père, qui durait depuis treize ans. Des fans acclament leur idole, 12 novembre 2021, Los Angeles (Etats-Unis):
Patrick T. Fallon/AFP«Cela ne me fait ni chaud ni froid. Ce que Britney Spears a vécu est sans doute triste et douloureux, mais il y a tellement de drames familiaux dont personne ne parle. C’est du pur fait divers, laissons faire les tribunaux. Descendre dans la rue avec un t-shirt «Free Britney» dit quelque chose de la hiérarchie des problèmes chez certains. Le climat a sans doute davantage besoin qu’on se mobilise que Britney.»
Comme le veut la tradition, le président américain, Joe Biden, accorde sa grâce à deux dindes, Peanut Butter et Jelly, peu avant la fête de Thanksgiving. Elles passent plusieurs jours dans un hôtel luxueux, 18 novembre 2021, Washington (Etats-Unis):
Drew Angerer/Getty Images«Rigolo de voir ces deux dindes traitées comme des reines, graciées et pleines de plumes alors que des millions d’Américains «middle class» vont remplir leurs assiettes de viande issue d’élevages industriels. J’ai vécu un an dans le Missouri: je me souviens bien de cette fête, des buffets débordants de «macaroni and cheese» et des dindes imbibées de sauce, contribuant à l’indice de masse corporelle de tout un peuple.»
Le nouvel écrin du Mudac et du Musée de l’Elysée, sur le site du pôle muséal de Lausanne Plateforme 10, ouvre ses portes (ici une installation de l’artiste Christian Marclay), 04 novembre 2021, Lausanne:
Jean-Christophe Bott/Keystone«Ce quartier, je le connais bien. J’ai vécu pendant dix-sept ans au-dessus de ce bâtiment et je suis parti juste avant que les travaux débutent. Je trouve cette réalisation super, avec son audace urbanistique et architecturale. L’attrait d’une ville se mesure essentiellement à la qualité de son offre culturelle et muséale. Là, il y a un sacré bond en avant. Lausanne devient un peu plus une grande ville.»
Des milliers de migrants sont pris au piège en Biélorussie, à la frontière de la Pologne, qui refuse leur entrée, 10 novembre 2021, Kuznica Bialostocka (Pologne):
Reuters«C'est d'une tristesse absolue, cette image. Un petit aréopage de puissants décide en se moquant éperdument des conséquences pour la masse, en raisonnant seulement par rapport à une idéologie ou des intérêts privés. Le système est verrouillé. La voix du peuple n'est pas entendue, il n'y a aucune structure en place pour l'intégrer. Cela crée des dégâts collatéraux colossaux. Il y a là un mépris et une arrogance qui donnent envie de faire la révolution.»
Des mannequins bénévoles vêtus d'habits de prêtre, certains très anciens, défilent à l'occasion d'une exposition autour des vêtements liturgiques, 10 novembre 2021, Tournai (Belgique):
Pascal Rossignol/Reuters«Il y a une tolérance au discours critique qui est bienvenue de la part de l'Eglise. Cela a bien évolué alors que, il y a trente ans, Scorsese se faisait allumer avec «La dernière tentation du Christ». «La vie de JC» a certes provoqué quelques vives réactions, qui ont surpris Vincent, mais on n'oserait pas encore une série similaire sur l'islam. Si je ne suis pas croyant, l'histoire des religions m'intéresse et j'aime les églises pour leur architecture. On a joué une fois dans une chapelle, à la prison Bochuz, c'était très particulier.»
La princesse Gabrielle et le prince Jacques de Monaco, devant leur père, Albert, apparaissent pendant la fête nationale monégasque avec des dessins pour leur mère, Charlène, hospitalisée, 19 novembre 2021, Monaco:
imago images«Je revendique le droit de ne pas m'intéresser à cette pauvre Charlène. Comme beaucoup, elle est malade et semble avoir des problèmes avec son mari. Sauf qu'elle a un jet privé pour la ramener à Monaco. Les «royals»? J'avais suivi le mariage de Diana et Charles avec des yeux pleins d'étoiles, j'avais 7 ans. Aujourd'hui je préfère l'histoire des femmes et des hommes à celle des gens connus. Quand on donne autant d'importance à Charlène ou à Britney qu'aux migrants de Calais, cela me donne la nausée.»