«Comment je vais? Bien. J’ai 45 ans, je suis à mi-chemin. Aujourd’hui, en décembre? Je suis un peu au bout du fart, comme tout le monde, je me réjouis de lever le pied.
L’année a pris toutes sortes de couleurs. Morose au début, puis pleine d’espoir avec le retour de plaisirs longtemps mis de côté. Jusqu’au retour à la case départ actuel et une désagréable impression de mars 2020. Sauf que pendant le confinement, il y avait presque un côté excitant. L’inconnu, la solidarité, la bienveillance générale, les applaudissements sur les balcons, les gens qui allaient faire les courses pour les vieux. Là, on est tous rodés à l’exercice, on se remet juste à envisager d’annuler notre voyage prévu – c’est mon cas.
Au début de l’année, les fermetures des lieux culturels ont duré si longtemps que ces mois ont eu le même goût. Sans des jalons comme Paléo, le temps s’est écoulé comme un long fleuve trop tranquille. L’année nous a filé entre les doigts, sans ses aspérités habituelles. Je n’avais pas de projet marquant, tel un spectacle sur scène, ce fut le train-train, avec le covid comme matière première. Je ne le cache pas, ce fut un peu ch…
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L’aspect qui me touche le plus est la scission dans la société suisse. Ces sujets sur lesquels on nous demande de prendre position, les vaccins, les décisions fédérales. Avec Vincent Veillon, alors que nous sommes moins politisés que d’autres, nous nous sommes fait allumer pour cela. Des gens se sont braqués, on s’est fait traiter de nazis, de collabos, de criminels. C’est nouveau, pour nous, à ce point-là. Ces divisions en deux camps dépassent les clivages historiques villes-campagnes, cathos-protos, droite-gauche, Romands-Alémaniques. C’est bizarre, surprenant, cela traverse les familles. Je déteste.
Pareil pour le relativisme par rapport aux faits scientifiques. Ils deviennent presque des opinions et peuvent être contestés par tous. Quelques personnes parlent très fort, parfois pour dire des bêtises. Si leurs propos sont repris, ils peuvent devenir des avis parmi d’autres, qui valent autant que la parole des scientifiques, pourtant attestée, démontrée. Cette situation m’agace au plus haut point. Cela mine les bases de la société. Pour vivre ensemble, il faut être d’accord sur certains faits.
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En rire? C’est difficile, car le rire n’a plus de prise. Les objets de la moquerie sont sourds, tel Zemmour qui met tout le monde dans un même sac et choisit de ne plus écouter. Son électorat adopte la même attitude.
Avec Vincent, nous tentons de garder un rapport avec tous. Nous ne voulons surtout pas être les porte-parole d’un petit bout de la société. Mais essayer d’être fédérateur ne signifie pas chercher à plaire à tout le monde. Nous voulons continuer à surprendre, à choquer parfois.
Il y a des rayons de soleil. Je pense à des personnes qui ont traversé mon année. David Castello-Lopes, qui joue pour nous le bobo parisien arrogant, propose exactement ce dont nous avions rêvé; il a tâtonné un peu, c’est devenu une belle réussite, et il adore la Suisse! Ou Christophe Auer, un vieux pote, sur scène avec Vincent: super qu’il ait osé se lancer. Et les nouvelles têtes, notamment féminines, qui ont rejoint notre équipe: Aurélie Cuttat, Laura Chaignat et on continue à collaborer régulièrement avec Forma. Du point de vue social, une femme qui s’essaie à l’humour prend plus de risques qu’un homme, les rôles de chaque genre étant toujours très figés. Le chemin vers l’égalité est encore long.
Des moments qui m’ont fait chaud au cœur? Récemment, à Saint-Maurice, lors d’une dédicace du livre qui vient de sortir sur nous, il y avait plein de gamins, des gosses de 10-12 ans qui avaient tous la banane. Et hier, je me baladais dans Lausanne quand une grand-maman a levé les pouces en me voyant et m’a lancé: «Je suis fan!»
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