- Green: En ces temps de pandémie, beaucoup ont perdu l’envie de voyager en train. Est-ce aussi votre cas et l’automobile a-t-elle gagné en importance?
- Vincent Ducrot: Elle a toujours été importante. J’ai une grande famille, nous vivons à la campagne et, à certains moments, nous ne pouvons nous passer d’une voiture. Nous avons toujours pratiqué une mobilité combinée.
>> Lire aussi une ancienne interview (novembre 2020): Vincent Ducrot, directeur des CFF: «Dans deux ans, nous serons plus ponctuels»
- Prenez-vous le train lorsque vous vous rendez au siège des CFF, à Berne?
- Oui. Afin d’être plus proche de mon poste de travail, j’habite à Fribourg pendant la semaine. J’ai un appartement en ville que je partage avec mes deux fils. Ils étudient encore et sont aussi pendulaires.
- Vous dirigez les CFF depuis un an. Comment parvenir à rendre le rail attractif?
- Le retour à la normalité fera automatiquement revenir les passagers dans nos trains. Il n’y a pas assez d’espace pour toutes les autos. Actuellement, les Suisses voyagent simplement moins, car ils en ressentent moins le besoin.
- Les CFF ont fait œuvre de pionniers dans le domaine du télétravail. Après la pandémie, nous déplacerons-nous autant qu’avant?
- Il n’y aura pas de retour absolu à la normalité. A l’avenir, de nombreuses personnes travailleront probablement à domicile un jour par semaine. La pandémie ne sera qu’un bref épisode, à l’image de la baisse soudaine du trafic aérien après le 11-Septembre. Nous tablons sur une croissance du trafic ferroviaire au cours des prochaines années. Si nous parvenons à réduire le nombre de voyageurs pendant les heures de pointe, par exemple en incitant les gens à partir de chez eux un peu plus tard en début de journée, nous gagnerons même un avantage supplémentaire. Avant la crise, nos trains étaient bondés matin et soir. La pandémie n’a pas exercé que des effets négatifs.
- Un abonnement général pour le télétravail verra-t-il le jour?
- Non, car un abonnement général implique une mobilité illimitée. D’autres produits sont en cours de développement.
- Beaucoup de trains transportent surtout des personnes avec des bagages, des vélos ou des poussettes. Prendrez-vous des mesures pour répondre à leurs exigences?
- Oui. Lorsque les compositions actuelles ont été commandées, il y a une quinzaine d’années, le vélo ne connaissait pas encore un tel succès. En comparaison avec 2020, nous avons déjà 40% d’espace en plus pour les deux-roues. Nous souhaitons aussi proposer des compartiments multifonctionnels. Nous en saurons davantage à la fin de l’année.
- Dès 2030, les CFF veulent parvenir à la neutralité climatique. Où en êtes-vous?
- Nous avons beaucoup progressé, 90% de notre électricité est verte. En 2035, elle proviendra entièrement de sources d’énergie renouvelable. Nous avons encore beaucoup de véhicules sur les routes et de motrices avec des moteurs diesel que nous devons transformer en les dotant de moteurs électriques ou à hydrogène. En outre, nous remplaçons le système de chauffage de nombreux bâtiments.
- En général, l’énergie solaire ne semble pas posséder une importance significative…
- Nous projetons de réaliser de nouvelles installations solaires au cours des prochaines années. Cependant, notre attention se porte essentiellement sur l’électricité hydraulique. Nous possédons nos propres barrages et venons d’acquérir deux ouvrages supplémentaires afin d’assurer notre indépendance.
- Les CFF misent désormais sur une économie en circuit fermé. Cela entre-t-il dans le but de la neutralité climatique?
- Une économie en circuit fermé va beaucoup plus loin. Une entreprise peut être neutre d’un point de vue climatique alors que sa gestion des ressources n’est pas durable. Nous considérons comme un devoir de privilégier une utilisation judicieuse des ressources. Ainsi, nous faisons un large usage de l’acier dont la fabrication exige beaucoup d’énergie. Autrefois, nous mettions simplement les mâts au rebut. Aujourd’hui, nous les recyclons. Il en va de même pour le ballast, car il devient de plus en plus difficile d’acheter des pierres.
- La technologie répond-elle au changement climatique?
- Des modifications de comportement sont aussi nécessaires. Elles commencent par le choix des luminaires chez soi et se poursuivent avec la manière de voyager. La technologie représente une aide précieuse, mais les citoyens doivent jouer le jeu. C’est un immense défi. Les CFF sont une partie de la solution. Le train est un produit extrêmement durable.
- Que pensez-vous des transports publics gratuits?
- Une illusion. Chaque chose a son prix. Tous les essais n’ont pas permis d’accroître la fréquentation. Ce n’est pas une simple question de coût. Les CFF doivent assurer la qualité et les cadences à tout moment, c’est un facteur décisif.
- Hier comme aujourd’hui, le prix des billets est un argument pour utiliser sa voiture plutôt que le train.
- Oui, parce que de nombreuses personnes ont une perception erronée des coûts. On ne compte jamais les frais réels d’une automobile. Pour un peu moins de 4000 francs, un abonnement général est nettement plus avantageux que n’importe quelle voiture.
- Pourrai-je partir cet été en vacances avec les trains de nuit des CFF?
- Je l’espère. Tout dépendra des limites imposées aux déplacements et de la demande. Nous avons donné une nouvelle impulsion pour étendre ce réseau. En décembre, nous inaugurerons une liaison avec Amsterdam. Puis viendront Rome, Prague et Barcelone. Les trains de nuit demeureront un produit de niche, même si la loi sur le CO2 prévoit de leur accorder 30 millions pour les soutenir. C’est très bien.
- Vous élevez seul six enfants entre 13 et 27 ans. Font-ils la grève pour le climat?
- Non (rires), mais ils sont très sensibles aux questions environnementales. Ils prennent le train à chaque fois qu’ils le peuvent. Ils font attention à choisir des ampoules à basse consommation, ils trient les déchets. Ils sont beaucoup plus écologiques que nous ne l’étions. Leur attitude permet d’entrevoir un changement de la société en profondeur.
- Etes-vous sensible à l’environnement au quotidien?
- Je suis très pragmatique. A l’initiative de mes enfants, nous testons actuellement différentes autos électriques. Je leur ai promis que nous en achèterions une dès qu’une version avec une autonomie de 500 km sera disponible.