Elle a un univers bien à elle, Valérie Lemercier. Elle peut se permettre d’aller très loin dans ses spectacles, de débiter les pires horreurs tout en faisant rire aux larmes tellement ses mots et ses mimiques sont justes et sa classe hors pair. D’ailleurs, comme pour confirmer ces propos, elle balance de manière détachée: «J’adore dire «ta mère la pute» lorsque je suis contente.» Et contente, elle a l’air de l’être lorsqu’elle nous reçoit dans le salon d’un grand hôtel parisien. On voit qu’elle a aimé faire ce film, qu’il a été pour elle à la fois une source de joie mais aussi une révélation.
Avec «Aline», celle qui a commencé en grande bourgeoise dans l’émission mythique «Palace» de Jean-Michel Ribes, tout en apprenant la réalisation en produisant une vingtaine de publicités, a affirmé son talent, sa vision et son originalité. Cette grande bringue solaire aux yeux verts espiègles est une pro jusqu’au bout de ses ongles parfaitement manucurés. Sans chichis, elle n’est pas de celles qui exigent de recevoir vos questions à l’avance. Elle joue le jeu et ça l’amuse. Habillée d’une jupe en lamé doré et vert émeraude surmontée d’un chemisier à fanfreluches, elle choppe votre regard curieux et admiratif et le commente d’un simple: «Je sors ce soir, je vais au théâtre.» Dommage, on aurait bien passé la soirée à discuter avec cette fille originale et tellement talentueuse.
- Qu’est-ce qui vous a attirée chez Céline Dion pour vous lancer dans ce gigantesque projet?
- Valérie Lemercier: J’ai été très touchée par ses premiers pas seule. Je me suis demandé comment elle allait faire sans son mari lorsque je l’ai vue à ses obsèques. Et puis après, je ne sais pas pourquoi, je me suis dit que je pourrais la jouer. Quand j’en ai parlé, sans vraiment y croire, à mon équipe de «Marie-Francine» en 2016, j’ai compris qu’ils étaient partants. Alors j’ai dit banco et me suis délectée à tout lire, tout voir sur elle.
- Vous n’étiez pas fan en fait?
- Non, mais j’aimais bien son album «Encore un soir» écrit par Goldman. En revanche, je ne connaissais pas du tout son répertoire anglais et j’étais complètement passée à côté de ses débuts.
- Qu’avez-vous découvert sur elle qui vous a le plus étonnée au fur et à mesure de vos recherches?
- Que son père ne voulait pas du tout d’enfants et qu’il en a eu 14! Et que Céline, la quatorzième, ne devait pas naître. Sa mère ne lui a jamais caché qu’elle voulait la faire gicler, ce qui rend leur relation encore plus forte et émouvante, car, pour se rattraper, maman Dion en a fait beaucoup plus pour Céline que pour les 13 autres.
- Maintenant que le film est fait, qui est Céline Dion pour vous?
- Elle reste toujours un mystère.
- Vous ne l’avez jamais rencontrée et elle n’a pas vu le film?
- Je ne sais pas dans quelle mesure mes messages lui parviennent. Je fais savoir depuis deux ans à son entourage qu’elle peut voir le film où elle veut quand elle veut, avec moi ou sans moi. D’aucuns m’ont dit qu’elle allait trop pleurer, d’autres que cela ne l’intéressait pas. Mais avant de me lancer, je lui avais fait parvenir le scénario, elle a donné son accord. Elle, comme son entourage, a vu très vite que le ton du film était bienveillant.
- Quels sont vos points communs avec elle?
- Nous sommes un peu toutes les deux de vilains petits canards avec des problèmes de cheveux, de dents. On connaît la moquerie des gens et les quolibets sur notre physique. Moi, à l’école, les garçons disaient: «Le corps, ça va, alors pourquoi pas avec un oreiller sur la tête…»
- Oui, mais dans votre rapport à la beauté, il y a une différence entre vous et elle… car Céline Dion ne se sent pas laide. Si elle a recours à la chirurgie esthétique, c’est parce que René la pousse pour en faire une vraie star…
- Oui, c’est sûr. Mais elle, elle a eu une mère qui lui a tout le temps dit: «Tu es belle ma fille.» Même lorsqu’elle avait les dents de travers et les sourcils qui se rejoignaient.
- A part le côté vilain petit canard, qu’avez-vous d’autre en commun avec elle?
- Je viens d’une famille nombreuse et rurale, nous aussi, nous jouions tous d’un instrument. J’ai passé trente ans de ma vie sur scène comme elle, même si les salles dans lesquelles je me produis sont beaucoup plus petites. Je sais qu’une loge, c’est moche. Que cela soit au Zenith ou au Châtelet, cela reste deux murs avec un lavabo. Et puis, surtout, il y a la solitude quand on prend ses repas seule devant un miroir ou lorsqu’on sort de scène. Enfin, il y a aussi ce lien très fort que l’on développe avec les gens qui travaillent avec vous…
- Céline Dion a failli perdre sa voix il y a quelques années et, il y a deux semaines, elle a annulé toutes ses représentations à Las Vegas pour raisons médicales…
- C’est vrai que lorsqu’on doit monter sur scène, on a toujours peur que le corps lâche. Quand je joue un spectacle, dès que je me réveille le matin, tout va vers le show. Je ne veux pas prendre de risque. J’ai cette espèce de trac de ne pas être en forme. Du coup, je me protège pour être au mieux le soir. Finalement, on n’est pas là pour les autres. Volontairement, on se protège, on se met dans une bulle pour continuer, car sinon on peut être atteint par tellement de choses.
- Votre film est surtout centré sur l’histoire d’amour entre René et Céline…
- C’était la grande affaire de sa vie, cette histoire d’amour. Elle a commencé très tôt et n’a pas été facile du tout. Lui freinait des quatre fers. Il était deux fois marié, beaucoup plus âgé qu’elle et, en plus, les deux personnes que Céline aimait le plus au monde, c’est-à-dire sa mère et René, ne s’appréciaient pas du tout. C’était une situation cornélienne.
- On dirait que vous êtes très romantique?
- Oui, je suis très fleur bleue. Quand je regarde les films que j’ai pu tourner ou même lorsque je regarde une photo, la seule chose qui me revient à l’esprit, c’est si, à ce moment-là, j’étais amoureuse ou très triste. Par exemple, lorsque je revois une affiche du «Petit Nicolas», je me dis: «Oh là là, qu’est-ce que j’étais malheureuse à ce moment-là!» Il n’y a que ça dont on se souvient dans la vie. Les images, les photos, nous remettent dans l’état amoureux dans lequel nous étions à ce moment-là. Et je me suis dit que pour Céline Dion, cela devait sûrement être la même chose.
- Vous montrez René comme l’homme idéal…
- En effet. C’est d’ailleurs aussi un film sur lui, sur sa générosité, sa bienveillance. Il l’écoutait et la regardait tout le temps. Il était amoureux de la femme mais aussi de l’artiste. A la fin de sa vie, quand il ne pouvait plus l’accompagner dans ses concerts, il avait fait installer un système de satellite et de duplex pour la voir et l’entendre depuis son lit et il lui parlait via un système d’oreillettes. C’est quand même fou. Personne n’a jamais fait ça. C’est le manager le plus célèbre du monde. Quand vous allez au Musée Grévin, il est là en statue, à côté d’elle.
- Vous ne l’avez pas un peu idéalisé, le René?
- Non, car tous les gens que j’ai rencontrés et qui m’ont parlé de lui racontent la même chose, idem dans les émissions et les reportages que j’ai pu voir avec eux deux. De toute manière, rien que la façon qu’il a de rire quand elle fait le pitre, je trouve ça tellement mignon. Je les trouve beaux tous les deux. Je pense qu’il y a beaucoup d’artistes qui auraient aimé avoir un René à leurs côtés. En tout cas, moi, j’aurais adoré. Parce qu’il était visionnaire, qu’il voyait grand pour elle. Elle aurait pu passer à côté de chansons, telle celle de «Titanic», car elle n’aimait pas la musique. Mais il était là. Ce mec, il croyait tellement en elle qu’il a hypothéqué sa maison pour faire son premier disque.
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- Céline/Aline est obsédée par l’idée d’avoir des enfants. Cela n’a pas été votre cas?
- Elle vient d’une famille très nombreuse et unie, donc on doit avoir envie de reproduire le même schéma. Je pense aussi que quand on a eu une mère comme elle, on a envie d’avoir des enfants. Ce qui n’était pas mon cas.
- Il y a un sens du détail hallucinant dans «Aline». Vous êtes une perfectionniste?
- Je pense que le diable se niche dans les détails. Qu’il faut apporter du soin à tout, tout le temps. Par exemple, j’ai fait un moulage de mon grand nez et tous les acteurs qui jouent mes frères et sœurs portent une prothèse pour avoir le même nez que moi. Tout est écrit et très préparé à l’avance.
- Vous n’avez pas angoissé avec cette énorme pression sur vos épaules? «Aline», c’est quand même le film le plus cher du cinéma français de ces deux dernières années.
- Non, je n’ai pas eu du tout peur, mais j’ignore pourquoi! C’est d’ailleurs la première fois que je me suis sentie relativement zen. Le premier jour du tournage de «Palais Royal!», quand j’ai vu tous les camions au château de Chantilly collés les uns aux autres, je me suis dit: «Oh mon Dieu, et c’est pour moi tout ça?» Mais là, c’était tellement gros que même pas… En plus, je n’avais vraiment pas le temps. On a tourné dans quatre pays, en France, en Espagne, au Québec et aux Etats-Unis, on enquillait les scènes les unes derrière les autres, il y avait tellement de lieux, tellement d’acteurs, de décors… Vous savez, quand on est 16 dans une scène, comme celle du mariage, et que l’on a une tiare de 3 kilos sur la tête, on y va… Parfois même, je me mettais devant la caméra pour jouer, sans faire attention à ce qu’il y avait comme décor dans mon dos, et par la suite, avec des effets spéciaux, on changeait le fond pour que cela soit comme je voulais.
- Etre une femme et diriger tout ce petit monde, cela a été facile?
- Les Québécois, ce sont les meilleurs techniciens possible. Ils tournent tout le temps, pour de gros films américains, et sont très pros. C’était très agréable, car, en France, il reste un fond de misogynie. Quand on est une femme et que l’on demande quelque chose, on passe pour une chieuse et on met forcément en doute ce que vous demandez. Mais pas là; quand je voulais un truc, on me le faisait. D’ailleurs, pour mes spectacles, c’est la même chose. Dans mon pays, il faut montrer que l’on est sympa avant d’avoir le premier projecteur qui vous éclaire. Alors que quand on va jouer en Suisse, en Belgique ou au Québec, les techniciens font simplement leur boulot, un point c’est tout. Après, on peut vous trouver sympa ou pas sympa, mais on ne conteste pas ce que vous demandez.
- C’était hyper-audacieux de jouer Aline Dieu à tous les âges, de 5 à 50 ans, non?
- Il faut faire ce qu’on sait faire. Je sais faire un enfant. Donc pourquoi je ne le ferais pas? C’est comme si on demandait à Céline de chanter le répertoire de Carla Bruni. Ce serait dommage. Mais c’est vrai que mon chef opérateur lors du repérage avait l’impression que je n’allais pas y arriver. D’un autre côté, il a travaillé sur le tournage de «Didier» et il a fait de Chabat un chien, donc on peut tout faire.
- Comment avez-vous trouvé Victoria Sio, qui chante les titres de Céline Dion dans votre film?
- C’est le casting de «The Voice» France qui nous a envoyé 50 filles pour passer des essais avec quatre chansons, dont les deux plus difficiles de Céline Dion à chanter: «All by Myself» et «My Heart Will Go On» de Titanic. Mais on a fait une écoute à l’aveugle comme dans «The Voice». Je ne voulais pas connaître leur âge, ni être influencée par quoi que ce soit à part la voix. Après j’ai dirigé Victoria comme une actrice. La capacité vocale, elle l’avait. Mais il ne fallait jamais qu’elle soit dans l’imitation, elle devait juste être à 2000% dans toutes les chansons.
- Et vous, vous envisagez de refaire un album comme «Valérie Lemercier chante», que vous aviez réalisé avec Bertrand Burgalat?
- Ben dites donc, vous n’êtes pas très nombreux à l’avoir écouté, mais ça me fait très plaisir que vous en parliez. Pour répondre à votre question, je ne sais pas, mais en tout cas, sur la bande originale du film, on a fait un petit bonus avec Victoria. C’était très marrant de chanter toutes les deux. J’adore chanter!
- Etes-vous superstitieuse, comme Aline, qui porte tout le temps sur elle une pièce dorée?
- Les artistes sont souvent superstitieux. C’est vrai que Céline Dion porte toujours dans sa chaussure, lors de ses tours, une pièce de 5 cents de 1968, son année de naissance, qu’elle a trouvée par terre au Japon. Moi, par exemple, je n’aime pas le 4, mais j’aime bien le 5. Sur le film «Marie-Francine», on tournait devant une porte cochère qui était au No 4 de la rue et j’ai fait enlever le numéro! Je ne porte jamais de violet non plus, car c’est la couleur des intérieurs de cercueils. Au théâtre, j’arrive toujours par la gauche. Et enfin, dans «Aline», et ça, je n’en parle jamais, si vous regardez bien, il y a du rouge dans tous les plans. Ça me rappelait le ruban rouge que la mère de Céline Dion avait mis autour de la cassette de démo de sa fille pour lui porter chance lorsqu’elle l’a envoyée à René Angélil.
- Cela rappelle aussi le ruban rouge que vous aviez mis autour de votre photo pour l’envoyer à Jean-Michel Ribes pour tourner dans l’émission «Palace»?
- Oui, parce que quand j’étais jeune, on allait porter nos photos dans les productions de films et, dès qu’on avait le dos tourné, les employés jetaient nos photos à la poubelle, alors qu’elles nous avaient coûté si cher à faire. Mais mon ruban, il n’était pas tout rouge. Il y avait aussi un peu de blanc. C’était cette sorte d’étiquette que l’on coud sur les vêtements d’enfants lorsqu’ils partent en camp de vacances et moi, j’y avais mis mon nom et mon numéro de téléphone.
- Il y a peu de temps, vous avez accepté que l’on tourne un documentaire sur vous, «Singulière Valérie», qui vient d’être diffusé sur la RTS, alors que vous êtes très secrète et que vous n’avez jamais voulu que l’on fasse des captations de vos spectacles.
- C’est vrai que jouer Aline m’a un peu déverrouillée. J’ai toujours peur d’être impudique, d’embarrasser les gens avec moi-même. Mais là, j’ai eu tellement de plaisir à avoir accès à des documentaires sur Céline que je me suis dit, après tout, pourquoi ne pas donner un peu de moi aussi. Mais je me suis beaucoup moins confiée qu’elle, je n’ai jamais ouvert les portes de ma maison.
- Qu’est-ce qui vous fait avancer dans la vie?
- Divertir, faire plaisir, fabriquer quelque chose, que cela soit de la cuisine, de la couture, ou un film.