Pierre est majeur et vacciné. Deux fois. Il est dans les starting-blocks. Après un hiver placé sous le signe du semi-confinement et un printemps à la météo morose, il accueille le retour des beaux jours avec soulagement. «Les mesures sanitaires ont bridé ma vie sociale et affective pendant plus d’une année et demie. Bon, je n’ai jamais cessé de faire des rencontres via Tinder, mais ce n’est pas la même chose», lâche le célibataire genevois, plus ou moins endurci. Il piaffe d’impatience à l’idée de retrouver ses terrains de jeu favoris: les bars et les festivals. «J’ai besoin de retrouver de la légèreté et une certaine forme d’insouciance. De rencontrer des personnes hors de mon cercle d’amis. J’ai envie de danser, de picoler et j’ai soif d’inattendu.»
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Même son de cloche du côté de Margaux*, 34 ans. La Lausannoise confie: «J’ai fait une grève du sexe pendant le semiconfinement. Pas par peur du virus. D’ailleurs, je viens de recevoir ma deuxième dose. Ce sont les applications de rencontre qui m’angoissaient. C’était soit «Viens chez moi», soit «Allons faire un tour au bord du lac». Avec la météo pourrie de ces derniers mois, je n’avais aucune envie d’aller en date à l’extérieur.» La réouverture des lieux publics la réjouit: «Je compte aller dans tous les bars de la ville et attaquer, attaquer, attaquer. On sera sans doute un peu gênés au début, mais on a besoin de personnes qui ont du courage et qui vont se parler en vrai.»
Devons-nous nous attendre à un été post-Covid-19 débridé? L’été a toujours été un objet de marketing pour les rencontres, le sexe et l’amour, covid ou non. Son érotisation n’est pas nouvelle. Il n’y a qu’à regarder l’abondance de chansons de type Summer Love qui existent», nuance Romy Siegrist, psychologue FSP et sexologue, avant de poursuivre: «Les vaccins et les autotests avant de se rendre en soirée rassurent. La gestion du risque est plus aisée que pour le précédent été. Mais de là à dire qu’il sera plus sexuel que d’habitude… je ne suis pas sûre.»
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Ferdinando Miranda, directeur exécutif du Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités, ne s’attend pas à un été de toutes les folies: «Je serais ravi de vous dire que tout le monde va se jeter l’un sur l’autre. Avec consentement, bien entendu. Ce serait génial, mais je n’en suis pas certain. La vraie question, pour moi, se situe ailleurs. Est-ce que la crise dont nous sortons va nous amener à repenser la relation à l’autre, dont la sexualité est l’un des composants? Oui, peut-être que nous assisterons à une euphorie, mais elle durera le temps d’une nuit. Elle n’aura pas la force de s’installer dans le temps. Pour ce faire, ce sont les modèles, les scripts, les préjugés et les idées préconçues qu’il faudrait revoir et déconstruire afin d’assister à une véritable métamorphose sociétale.»
L’universitaire se méfie des raccourcis historiques et des comparaisons approximatives qui voudraient qu’on s’imagine revivre une révolution sexuelle, type les années folles ou post-Mai 68, mais un élément central ressort de son analyse. «Socialement, historiquement et politiquement, nous assistons à un trauma. La pandémie de Covid-19 – ce virus dans nos corps – appelle à des remises en question intérieures, individuelles et par conséquent collectives. Une certaine vision de la vie, la maîtrise du temps et de l’espace, n’est plus là. Il faudra se réinventer dans la manière d’être en contact avec nous-mêmes et les autres. Quand on se retrouve dans un espace avec beaucoup de monde, on se sent fatigué. Porte-t-on le masque ou pas? Qui peut-on prendre dans ses bras? Et pourquoi?»
Sabrina*, une célibataire de 41 ans, ressent cette fatigue. «J’ai moins envie d’aller vers les autres. J’ai fait le tour des applications de rencontre et la perspective d’aller draguer en boîte ne m’excite pas plus que ça. Ce ne sont que des rencontres éphémères, j’ai envie de nouer une vraie relation amoureuse.» Elle ajoute: «La pandémie m’a permis aussi de me recentrer, de prendre du temps pour moi et de développer un certain équilibre en m’appuyant sur mes propres ressources.»
Un discours qui fait écho à certains de ceux tenus par la patientèle de Zoé Blanc-Scuderi, sexothérapeute et directrice de SexopraxiS, un centre spécialisé dans les questions d’intimité. «Je suis convaincue que les situations de crise nous ramènent à l’essentiel, à ce qui est fondamental pour nous. Les êtres humains ont peur de la solitude. Se sentir en lien est donc primordial. La peur de la maladie, de la mort et de l’isolement a encore plus mis en lumière ce besoin de contact. Dans des situations de peur et de fragilité, on va plus vers quelque chose d’authentique et d’intime. Cette vulnérabilité partagée crée le terreau favorable à un attachement.»
Pas d’été hédoniste en perspective, donc? La sexothérapeute relativise: «C’est du même ressort que lorsqu’on imaginait être «libérés» de la pandémie. On fantasmait sur des scènes de liesse où on se prendrait dans les bras. Ça ne s’est évidemment pas passé comme ça. Les choses se font par étapes, on se réhabitue peu à peu. Oui, il y a un élan de joie, de liberté, mais très vite le sentiment de normalisation revient. Peut-être qu’on sera plus conscients de notre chance, mais on a la mémoire courte et on se focalise rapidement sur le quotidien. Finalement, cet été un peu particulier se vivra en fonction de l’expérience que chacune et chacun a faite de la pandémie.»
La sexologue Romy Siegrist conclut: «Est-ce qu’on a souffert de la solitude? Du manque de sexualité? De contacts avec la peau? Ce sont les ressentis personnels et les vécus qui vont orienter les comportements.» Les médias britanniques l’ont annoncé: 2021 devrait être le nouveau summer of love. Après plus d’une année de confinement strict, les Britanniques sont prêts à faire des rencontres en présentiel. Et en Suisse?
*prénom d'emprunt