Il fut un temps où les médias la surnommaient «Röschen» (petite rose), comme son père. Ces dernières années, la presse préférait le sobriquet de «Flinten-Uschi» (Uschi la pétoire) en raison des armes défaillantes utilisées par ses troupes en Afghanistan. Depuis l’annonce de sa nomination à la tête de la Commission européenne, Ursula von der Leyen est décrite comme une «étoile déclinante» (le quotidien français Libération) ou de «ministre la plus faible du gouvernement» (Martin Schulz, ancien président du Parti social-démocrate et du Parlement européen).
Mais l’annonce surprise a surtout montré à quel point la politicienne, aujourd’hui âgée de 60 ans, sait se réinventer, avec un véritable flair. C’est Emmanuel Macron, europhile convaincu, qui aurait soufflé son nom à Angela Merkel. La chancelière s’est depuis publiquement réjouie de cette nomination, qui devrait entrer en vigueur en novembre prochain.
Une enfance dorée
Il est vrai que les deux femmes, du même bord politique, l’Union chrétienne-démocrate ou CDU, se connaissent très, très bien. Surtout, Ursula von der Leyen a été nommée ministre par la chancelière dès son premier cabinet, en 2005. Elle reste la seule à n’avoir jamais quitté le gouvernement Merkel depuis: après celui de la famille, elle a dirigé le Ministère du travail avant de devenir la première femme à la tête de la Défense. Excellente oratrice, énergique et terre à terre, la politicienne est longtemps restée très populaire. Avant les couacs liés à son dernier mandat.
Mais revenons en arrière. Les trajectoires de «Mutti» et «Röschen» se suivent, mais leurs origines sont on ne peut plus différentes. Angela a grandi à l’est du Mur dans une famille luthérienne avec un père pasteur. Celui d’Ursula, Ernst Albrecht, est haut fonctionnaire à Bruxelles, où elle voit le jour, sixième de sept enfants. Sa mère renonce au journalisme pour élever la fratrie. Une famille de la haute bourgeoisie protestante, tendance évangélique luthérienne, qui scolarise ses enfants à l’Ecole européenne, où ils jonglent entre l’allemand et le français. Leur temps libre, les petits Albrecht le passent à jouer de la musique classique et à monter à cheval. Le papa est «souvent absent mais merveilleux».
En 1970, Ernst Albrecht ramène les siens à Hanovre pour prendre la tête des biscuits Bahlsen. Et se lance en politique sous la bannière chrétienne-démocrate. En 1976, il devient chef du gouvernement du très conservateur land de Basse-Saxe, qu’il dirigera durant quatorze ans. Il sera même candidat à la Chancellerie fédérale.
Ursula a 13 ans lorsque la famille est éprouvée par le décès de Benita Eva, 11 ans. Elle est désormais la seule fille. «Mais la même chose valait pour mes cinq frères comme pour moi: que nous ayons un bon diplôme», dira-t-elle. Elle tâte de l’archéologie puis de l’économie à Göttingen, où les terroristes d’extrême gauche comme la bande à Baader ont de nombreux sympathisants. Priée pour sa sécurité de changer d’université, la jeune femme opte pour Londres, où elle vit sous pseudonyme. «Pour moi qui venais d’une Allemagne monocorde et blanche, l’année passée dans cette ville multicolore, bouillonnante et internationale, a été fascinante.»
Rentrée au bercail étudier la médecine, elle rencontre Heiko von der Leyen. Ils se marient en 1986. Leur premier enfant, David, voit le jour l’année suivante. Médecin assistant, Ursula arrête de travailler pour élever les enfants: entre 1989 et 1999, elle donne naissance à Sophie, Maria, aux jumelles Victoria et Johanna, Egmont et Gracia.
En 1992, la famille quitte l’Allemagne pour la Californie, où Heiko a décroché une bourse de recherche à la prestigieuse Stanford University. C’est là, expliqueront-ils plus tard, qu’Ursula et Heiko comprennent qu’une mère peut faire carrière et un père retirer de la fierté à s’occuper des enfants. «Nous l’avons ressenti comme une véritable libération et compris ce que signifie le soutien de la société», dira Ursula. En 1996, au retour en Allemagne, Heiko va être un père qui met la main à la pâte et permettre ainsi à son épouse de faire carrière en politique.
Offensive médiatique
Car Ursula a rallié les rangs de la CDU, réaction filiale à la fin du règne de son père, évincé en 1990 par un certain Gerhard Schröder. Atavisme ou prise de conscience? Le retour au pays rime en tout cas avec l’envie grandissante de marcher sur les traces paternelles. En quelques années, elle gravit quatre à quatre les échelons. Jusqu’en 2005, où sa nomination au gouvernement ne fait plus aucun doute. Sur toutes les lèvres, une seule question: «Comment fait-elle?»
L’offensive médiatique est lancée. Ursula von der Leyen ouvre grand les portes de sa maison rouge à Ilten, près de Hanovre, où vivent également chevaux, poneys et chiens. Raconte dans une chronique hebdomadaire du magazine populaire Bild le quotidien frénétique mais organisé de sa progéniture, dont les cinq aînés vont au gymnase. Comment elle les aide à préparer leur repas avant de filer au travail. Pose à la piscine, dans le train ou pendant la confection de biscuits avec ses enfants. Souligne le rôle «évidemment tout aussi important et impliqué» de son époux dans le «management» de la famille. Devenu un homme d’affaires avisé et un professeur de médecine reconnu, Heiko reste très discret. Son épouse, elle, assure qu’elle délègue le plus possible pour rentrer au plus tôt chez elle. Les soirées et le week-end sont réservés à la famille.
Une aura chancelante
Devenue ministre, Ursula von der Leyen tient parole: elle impose un congé parental et multiplie les places de crèche. Sa popularité atteint son apogée en 2008, lorsqu’elle révèle que, pour entourer son propre père, atteint d’alzheimer, toute la famille a déménagé chez lui. Des voix s’élèvent, y compris au sein de l’Eglise protestante, pour critiquer cette mère qui veut tout faire. Elle n’en a cure. Les photos people, c’est fini, mais elle continue volontiers d’évoquer les siens. En 2014, en pleine polémique sur l’accueil des réfugiés, on apprend que la famille a hébergé un jeune Syrien jusqu’à ce qu’il trouve un apprentissage.
Aujourd’hui, les enfants – dont le dernier cliché de presse, daté de 2013, est interdit de republication – ont quitté le foyer. Tout juste sait-on que l’aînée, Sophie, caresse le rêve de devenir comédienne. Ses parents la soutiennent, mais se sont d’abord assurés qu’elle ait un diplôme d’économie en poche. Ursula von der Leyen raconte le plaisir qu’elle a désormais à savourer un dîner au calme avec Heiko, ou évoque le groupe WhatsApp qui leur permet de rester tous en contact. «Joies, peines, nous partageons tout», dit-elle.
Sur le plan politique, son aura a été largement ternie ces dernières années par les polémiques autour de son ministère et de la manière dont elle aurait embelli son CV. A-t-on offert à Ursula von der Leyen une sortie par la grande porte avant que la situation ne devienne par trop embarrassante? Ou le poste était-il taillé à la mesure de celle qui plaide pour le succès des «Etats-Unis d’Europe»? Saura-t-elle resserrer les liens avec la Suisse, en pleine négociation sur un accord-cadre décisif? Ce qui est sûr, c’est que la future cheffe de l’Europe n’a pas fini de surprendre.