Ce sont les chants de la tradition locale qui l’ont toujours fait revenir chez lui. L’acteur Philipp Langenegger a vécu seize ans en Allemagne, mais à Nouvel An il est toujours présent à Urnäsch (AR). «Pour moi, c’est le jour le plus sacré de l’année», explique le quadragénaire en évoquant le Silvesterchlausen. Lors de la Saint-Sylvestre, tôt le matin, les hommes d’Urnäsch traversent le village déguisés en «wüeschti» (laids), «schö-wüeschti» (beaux-laids) et «schöni» (beaux) «Silvesterchläuse». C’est l’une des plus anciennes coutumes de l’arrière-pays des Rhodes-Extérieures. Ils chantent, font résonner leurs cloches et souhaitent à tous une bonne année. «Je ne manquerais ça pour rien au monde, affirme Philipp Langenegger. C’est magique!» Voilà six ans qu’il vit de nouveau dans son village d’origine avec sa famille. En tant qu’ambassadeur d’Urnäsch dans le cadre du concours du village suisse de l’année 2022, il a contribué à faire gagner la commune. «Je ne suis pas le seul: tout le monde a œuvré à cette victoire, les jeunes comme les vieux. Nous sommes comme ça, à Urnäsch, on se serre les coudes.»
Dans le village appenzellois, le quotidien est marqué par des coutumes que les habitants maintiennent vivantes. Chez Werner Altherr, par exemple, on trouve dans une vitrine ses anciennes coiffes de la Saint-Sylvestre: des chapeaux décorés de figurines sculptées qui représentent des scènes de la vie traditionnelle. Les coiffes les plus récentes sont équipées de LED et brillent dans l’obscurité. «Cela donne vraiment la chair de poule.» Werner Altherr dirige le Centre d’artisanat et d’art d’Urnäsch. «Nous devons préserver l’ancien artisanat», explique ce patron d’une entreprise de couverture, fier d’avoir appris à fabriquer des bardeaux durant son apprentissage. «Et aujourd’hui, je suis heureux de transmettre à mon tour ce savoir-faire.» Le cœur de Werner Altherr bat pour le bois. «Il bat donc aussi pour le Bloch.»
Une autre tradition très ancrée. Tous les deux ans, le lundi précédant le mercredi des Cendres, le Bloch d’Urnäsch prend la route. Des dizaines d’hommes tirent alors un tronc d’arbre pesant plusieurs tonnes (le Bloch) à travers les vallons alentour. De 4 heures et demie du matin à 7 heures du soir, ils parcourent plusieurs kilomètres. Les hommes qui forment l’équipage portent des vêtements qui représentent les métiers du bois. Pour en faire partie, il faut attendre des années. «Le Bloch connaît un véritable boom, comme toutes les coutumes ici», explique Niklaus Frehner. Ce sellier trapu au visage jovial s’est inscrit au Bloch peu après avoir terminé l’école, et c’est seulement cette année, à 32 ans, qu’il a pu y participer pour la première fois. Installé dans une ancienne ferme, son atelier de sellerie incarne parfaitement la tradition. De grandes clochettes sont posées sur le sol et, sur la table, se trouvent de fines ciselures. «Ici, les coutumes d’Urnäsch m’accompagnent tout au long de l’année.» Niklaus Frehner fabrique les masques en cuir (appelés Larven) pour les «Silvesterchläuse», les courroies pour le «Bloch» et les bretelles appenzelloises joliment décorées et portées pour une autre importante coutume locale.
En Appenzell, la montée à l’alpage est un important jour de fête. Le cortège est mené par les «Gäässe», les chèvres blanches appenzelloises, et se déroule dans un ordre bien précis. Un garçon en costume de berger et une fille en costume de travail conduisent les chèvres. Ensuite, le berger, en costume traditionnel, fait son apparition. Il est suivi de trois vaches portant des colliers. Derrière, quatre vachers chantent et sonnent les cloches. Ils sont suivis par le reste du bétail: les vaches, les génisses et les veaux, un taureau et le cheval. Le propriétaire du troupeau, accompagné de son chien, un bouvier appenzellois, clôt le cortège. Le fromage fait à l’alpage est vendu à la fromagerie de la Hauptstrasse. Helen Stark, 52 ans, y travaille depuis huit ans. Outre l’Alp Nase, la spécialité locale, elle vend également de l’appenzell ainsi que le célèbre fromage de vache à cornes d’Urnäsch, lequel a reçu le titre de vice-champion du monde lors du World Championship Cheese Contest à Madison (Etats-Unis).
A Urnäsch, les traditions locales ne sont pas passées de mode. Elles maintiennent la cohésion sociale dans la commune, relient les anciennes et les nouvelles générations. Et, chaque année, elles attirent à Urnäsch des milliers de curieux venus de partout. Même le Beatles Ringo Starr, vêtu d’une veste en cuir et de lunettes de soleil noires, s’est assis un jour, dans les années 1990, au restaurant Engel et a observé la montée à l’alpage. Il avait alors déclaré à un journaliste: «Aujourd’hui, ce n’est pas moi la personne la plus importante ici.»