«Il faut que les enfants oublient la guerre»
Village de Sukachi
Les enfants de Natalia reviennent demain d’Italie. Slata, 9 ans, et David, 8 ans, ont eu quatre mois de «vacances de guerre». Dans des familles qui, en 1986 déjà, avaient recueilli des enfants de la région après l’accident du réacteur de Tchernobyl. En février dernier, les soldats russes ont attaqué l’Ukraine en passant par Tchernobyl. Les chars ont détruit la maison de Natalia. Elle était cachée à la cave avec les enfants et entendait les explosions assourdissantes. Hormis le frigo et le lave-linge, tout a été démoli. «Sans les enfants, je ne pourrais continuer de vivre», assure Natalia. Sans l’aide suisse non plus. Elle a reçu la première maison en bois en juillet. Des ouvriers ukrainiens l’ont montée à Savognin, dans les Grisons, et transportée en Ukraine. Ensuite, elle l’a peinte, tapissée, rendue accueillante et a éliminé les décombres. Comment s’y prend-elle toute seule? «Je suis une maman.» A Noël, elle a préparé 12 plats de fête en hommage aux 12 apôtres. «Ce doit être une belle fête, afin que les enfants oublient la guerre.»
«Cette maison est notre nouvelle vie»
Village de Kukhari
Youlia est devant son ordinateur. Elle étudie à la maison parce que les Russes ont démoli son école. A la mi-mars, ils ont attaqué la ferme familiale. L’écurie a été incendiée, une chèvre a survécu, le cheval est mort. Vu que la porte d’entrée était barricadée par les décombres, ils se sont enfuis par la fenêtre, alors que les balles d’armes automatiques sifflaient au-dessus de leurs têtes. Tous les cinq ont rampé à travers la rue jusque dans les bras de soldats ukrainiens. «Je n’ai pensé qu’à sauver mes enfants et n’ai rien emporté», raconte Olha. Elle dit que ses enfants sont désormais traumatisés. Dès qu’ils entendent de forts bruits, ils pleurent. Le 30 septembre, elle a obtenu la maison conçue en Suisse. «Cette maison est notre nouvelle vie», assure la postière. L’entrepreneur Martin Huber était personnellement présent lors de sa remise. «Cela nous a rendus nerveux de savoir qu’il serait là. Monsieur Martin est une personne importante et nous nous demandions comment nous comporter face à un tel homme. Mais quand il se présenta tout est devenu très simple parce qu’il est une personne normale.»
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«Pêcher, ça aide à digérer le traumatisme de la guerre»
Village de Pidhaine
La famille est attablée à la lueur des bougies. Le courant électrique manque depuis plusieurs heures. Dès le début de la guerre, des soldats russes ont occupé le village. Il y eut de farouches combats entre Ukrainiens et Russes. Dix-sept jours durant, les Romanenko se réfugient dans leur cave, crevant de faim et de froid jusqu’à ce qu’ils puissent s’enfuir. A leur retour, ils trouvent leur maison et trois maisons voisines incendiées. Ils ne possèdent plus que ce qu’ils portent sur eux. Maksym, 14 ans, supporte mal que ses cannes à pêche aient brûlé en même temps que le canapé sous lequel il les avait cachées. «Les Russes ne sont pas des humains, tranche Leonid, le père. Ce sont des démons, ils détruisent tout ce que nous avons bâti.» Armé d’une lampe de poche, Maksym nous conduit dans sa chambre pour montrer les cannes à pêche que les villageois lui ont offertes. «Pêcher, ça aide à digérer le traumatisme de la guerre», pense Tetiana, la maman. Il y a un berceau dans la pièce servant de séjour: un deuxième enfant verra le jour au printemps, qui grandira dans la nouvelle maison.
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«Cette guerre unit les Ukrainiens»
Village de Fedorivka
C’est arrivé le premier jour de la guerre, le 24 février 2022. L’infirmier ukrainien Vasyl se tient devant sa maison quand un obus russe s’abat dans le jardin. L’onde de choc le jette à terre. Les murs de son habitation, héritée de ses grands-parents, s’effondrent. Il met son épouse et ses trois fils en sécurité. Quelques heures plus tard, un autre obus s’abat et la maison se met à brûler. Y compris l’insuline dont dépend la maman diabétique. L’infirmière survit parce que ses beaux-parents ont mis une dose à l’abri. Des mois durant, la famille migre chez des amis ou des parents. Jusqu’à ce qu’elle se voie attribuer en septembre une maison en bois. Lidia est à la cuisine et mijote un repas au gaz. Voilà des heures qu’il n’y a plus de courant. Il fait froid mais elle se dit confiante: «La guerre nous unit, nous les Ukrainiens. Nous ne vivons plus que dans l’ici et le maintenant. Si nous avons survécu un jour, la nuit arrive, et puis le jour suivant.»
«Cette maison est le signe que la vie continue»
Village de Sukachi
Leonid et Lioubov sont attablés dans le séjour de la maison en bois. Ils ont débouché le mousseux, déballé du pain, de la charcuterie et des fruits. Ils viennent de recevoir la maison suisse. Le maire adjoint trinque avec eux. De la fenêtre, ils voient les ruines de la maison dans laquelle Leonid est né. Des hélicoptères russes l’ont prise pour cible. Lui et son épouse se sont jetés à terre et ont tenté de protéger leur fille handicapée. Depuis cette nuit-là, elle dort mal, témoigne Lioubov. Elle redoute que les Russes ne reviennent. «Nous avons survécu mais tout perdu», lâche Leonid. Naguère, quand il était chauffeur poids lourd à Tchernobyl, il a mis à l’abri les travailleurs de la centrale nucléaire accidentée. «Cette maison est le signe que la vie continue.» Il envisage de dresser un sapin de Noël, de le décorer et de fêter en famille. «Et l’année prochaine, je veillerai à ce que les Russes paient pour la reconstruction de notre village.»
Une maison en quatre jours
Natif d’Appenzell, Martin Huber, 66 ans, se trouve dans une maison en bois presque entièrement construite. Il observe comment les ouvriers montent les parois et posent la tuyauterie. Finalement, une grue transfère le toit d’une seule pièce depuis un semi-remorque. C’est la quatorzième maison que l’entrepreneur de Herisau (AR) livre dans la région d’Ivankiv. Plus grande commune d’Ukraine par sa superficie, elle se situe entre Kiev, la capitale, et la frontière biélorusse.
C’est ici qu’a commencé l’agression contre l’Ukraine le 24 février 2022. Sur leur passage, les soldats russes ont détruit quelque 800 habitations de civils. Quand Martin Huber a contemplé les dégâts sur des photos, il s’est dit: «Je veux aider.» Il a un lien avec l’Ukraine. Depuis 2005, il fabrique, près de la ville de Vinnytsia, des cadres de fenêtres en chêne, qu’il finit à Herisau. Avec un entrepreneur grison, il a développé un prototype de maison en bois construit par des ouvriers ukrainiens à Savognin (GR). En juillet, la maison a été remise à une première famille. Depuis, des ouvriers construisent les maisons dans la fabrique ukrainienne de Martin Huber. Au début, il leur fallait quatre semaines, aujourd’hui quatre jours suffisent. C’est la maire d’Ivankiv qui attribue les maisons. Elle privilégie les familles avec enfants dont le logis a été détruit par la guerre.
Pour financer le projet, Martin Huber a fondé l’association Ukraine Hilfe (aide à l’Ukraine). Pour un coût modeste – il y œuvre bénévolement avec son épouse Jacqueline –, il a collecté plus de 1 million de francs. Assez pour offrir un nouveau toit à 33 familles. Cette année, il entend livrer 100 maisons. C’est pourquoi il a transféré une grue d’Appenzell en Ukraine.
Ce qu’il en retire? «Faire le bien fait du bien», résume-t-il. Ce qu’il a voulu lui réussit: construire en série en Ukraine des maisons en bois où les gens auront chaud par des températures sibériennes. Et dans lesquelles ils pourront vivre durablement.
Contact: www.verein-ukraine-hilfe.ch