On avait plutôt l’habitude d’évoquer ses 500 Rolls, son Boeing 747 à l’intérieur en or massif, son palais de 1788 pièces et le fait qu’il disputait régulièrement à Bill Gates le titre d’homme le plus riche du monde. Mais, depuis le 3 avril dernier, le sultan du Brunei Hassanal Bolkiah, 72 ans, a scandalisé la planète en instaurant la charia la plus stricte d’Asie du Sud-Est, punissant l’homosexualité et l’adultère de mort par lapidation. Les voleurs auront, eux, une main ou un pied amputé, la flagellation étant réservée à la consommation d’alcool ou à l’avortement. «Un sérieux recul pour la protection des droits humains, a lancé la haut-commissaire aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, tandis que l’Union européenne parle «de torture ou d’actes cruels inhumains et dégradants».
Appel au boycott
L’acteur George Clooney a immédiatement appelé au boycott des neuf hôtels de luxe appartenant au sultanat (The Beverly Hills Hotel et Hotel Bel Air à Los Angeles; Le Meurice et Plaza Athénée à Paris; The Dorchester, Coworth Park et 45 Park Lane à Londres; Hôtel Eden à Rome; Principe di Savoia à Milan) rejoint par Elton John, même si le chanteur anglais avait reçu plusieurs millions pour chanter aux 50 ans du plus vieux souverain en exercice après la reine Elisabeth.
Coup de bluff?
Le Brunei, c’est ce confetti de 430'000 habitants sur l’île de Bornéo, un ancien protectorat britannique devenu indépendant en 1984. Un pays richissime en gaz et en pétrole, où les soins médicaux sont gratuits pour ses habitants qui ne paient quasiment pas d’impôts. En 2014, le sultan avait déjà annoncé son intention d’introduire progressivement la charia, suivant l’exemple de l’Arabie saoudite, mais avait adopté un profil bas devant la vague d’indignation internationale.
Certes, dans son discours du 3 avril dernier, il a tenté de rassurer l’Occident en rappelant que le pays continuerait à fonctionner selon un double système judiciaire: l’un islamique, ne s’appliquant qu’aux musulmans (deux tiers de la population), et l’autre civil, qui concerne l’ensemble des habitants (13% de bouddhistes et 10% de chrétiens).
«Coup de bluff»
Certains commentateurs évoquent un coup de bluff de la part de ce potentat, qui règne sur un pays sans liberté de la presse et où toute critique du régime est considérée comme un crime. A un moment où le pays voit son économie donner des signes de faiblesse, crise du pétrole oblige, Hassanal Bolkiah aimerait renforcer son image de leader islamique auprès des plus conservateurs.
John Lee, éditorialiste coréen qui a longtemps vécu à Brunei, doute, dans les colonnes du journal La Croix, que la charia soit mise un jour en pratique. Le Brunei n’a plus connu d’exécution capitale depuis les années 1950 et la loi islamique prévoit que quatre témoins musulmans doivent apporter la preuve d’un «crime» de sodomie ou d’adultère.
Soudaine éruption de vertu
Ironie de l’histoire, face à cette soudaine éruption de vertu, on évoque en parallèle une querelle familiale dans les années 2000, qui avait débouché sur la révélation du train de vie fastueux du frère cadet du sultan, le prince Jefri Bolkiah, accusé d’entretenir un harem de maîtresses occidentales et d’avoir baptisé un de ses yachts «Tits» («nichons» en anglais).
En revanche, le boycott des hôtels n’aurait aucune chance de faire changer d’avis le sultan. Avec une fortune personnelle estimée à plus de 20 milliards de dollars et un fonds souverain d’investissement qui en vaut le double, Hassanal Bolkiah n’a pas investi dans ces hôtels de luxe pour faire de l’argent, mais pour offrir un pied-à-terre à sa nombreuse famille lorsqu’elle voyage à Paris, Londres, Milan, Rome ou Los Angeles.
Lampion patriotique
Evidemment, lorsqu’on parle de la famille, un petit lampion patriotique s’allume. Sarah, la femme du prince héritier, Haji Al-Muhtadee Billah, qui montera un jour sur le trône, est née d’une mère fribourgeoise, Suzanne Aeby, ancienne infirmière en psychiatrie à Marsens et à Prangins, et d’un père du Brunei.
Aujourd’hui mère de quatre enfants, la princesse – dont le titre officiel occupe presque un paragraphe: S.A.R. Paduka Seri Pengiran Anak Isteri Pengiran Anak Sarah Binti Pengiran Salleh Ab Ramahan – a fêté ses 32 ans le 9 avril dernier. A la naissance de son aîné, le prince Abdul Muntaqim, le 17 mars 2007, un petit garçon qui sera un jour le 31e sultan du Brunei avec un quart de sang helvétique dans les veines, la jeune maman et son époux avaient reçu un message de félicitations de Micheline Calmy-Rey, alors conseillère fédérale en charge des Affaires étrangères.
Fondue au menu
Certes, on ne saura jamais ce que pense la future sultane de cette charia imposée par son beau-père. La jeune femme ne donne jamais d’interviews et ses apparitions publiques se comptent sur les doigts de la main. Ce qui ne l’empêche pas de garder des contacts étroits avec sa famille fribourgeoise. Sa tante Marie-Jeanne Scheidegger, qui vit près de Genève, raconte au téléphone que sa nièce mange toujours la fondue, même si elle n’est pas revenue en Suisse depuis 2005. Suzanne, sa mère, revient par contre une fois par année au pays. «Nous allons aussi régulièrement au Brunei et nous avons un accès facile à Sarah. Avec elle, on parle plutôt anglais», poursuit Marie-Jeanne. Dans ces occasions, elle et son mari ne logent pas au palais mais chez la mère et le père de Sarah, dans la somptueuse villa offerte par le sultan.
Mme Scheidegger ne commentera pas l’actualité du Brunei, évidemment, si ce n’est pour faire part de sa stupéfaction et espérer «que ce peuple, si bon et paisible, n’en souffre pas». Et quand on lui demande si ce sultan qui dépense 21'000 francs par mois pour sa seule teinture de cheveux a offert des cadeaux somptueux à la famille suisse par alliance, elle sourit. Pas de villas bling-bling ni de yachts sur le Léman. «Notre mode de vie n’a pas changé. Pour aller au Brunei, nous payons nos billets d’avion!»