Il faisait beau et déjà chaud sur les hauts de Lausanne ce 9 juin. La porte en bois du jardin passée, les dalles grises nous mènent à la terrasse couverte de la coquette propriété. Sur le court chemin, le visiteur est happé par une variation de couleurs. Bleu, jaune, rouge, les petites fleurs sauvages que butinent les premières abeilles égaient ces quelques mètres. Clin d’œil de l’ex-icône de la politique lausannoise, le vert de la riche végétation alentour domine dans ce décor bucolique. Bienvenue chez les Brélaz. Marie-Ange, 58 ans, robe rouge pétant assortie à son rouge à lèvres, et Daniel, 73 ans, tel qu’en lui-même. A un accessoire près: sa légendaire cravate à chat. «Elle est dans la poche de ma veste. Je suis prêt à la dégainer si vous le souhaitez pour les photos. Là, je suis en tenue de retraité», explique-t-il, toujours aussi pince-sans-rire. Seize mois après sa terrible chute dans les escaliers de son domicile, le premier écologiste au monde à avoir siégé dans un parlement national a visiblement retrouvé la forme. On en a la confirmation quelques minutes plus tard, lorsqu’il interrompt le long préambule de son épouse d’un «Je peux en placer une?» mi-rigolard, mi-agacé.
Ce retour à la vie en pleine santé n’était pas gagné d’avance. Flash-back. Ce mardi 1er février 2022, vers midi, Daniel Brélaz quitte son bureau du domicile familial pour aller grignoter quelque chose à la cuisine, au rez-de-chaussée. Son temps est compté. Il a rendez-vous en ville moins d’une heure plus tard. A peine engagé dans l’escalier de 16 marches qui relie les deux étages, il glisse et chute lourdement dans des circonstances qu’il ne s’explique toujours pas. «Il est tombé à la troisième marche et s’est arrêté à la huitième en frappant violemment la tête contre le mur. Alertée par le bruit et ses cris, je me suis précipitée vers lui. Il y avait du sang partout. Daniel saignait du nez, des oreilles et des avant-bras. Beaucoup plus grave, il ne respirait plus. Je l’ai secoué de toutes mes forces pendant de longues secondes et il s’est remis à souffler. Mais, l’espace d’un instant, j’ai pensé qu’il était mort. J’ai ensuite appelé les secours. L’ambulance est arrivée très vite», raconte Marie-Ange, replongée dans l’émotion de ces minutes dramatiques. «L’accident est arrivé une heure après qu’une de nos voisines est venue nous annoncer le décès de son mari», se souvient l’ancienne conseillère communale, écologiste aussi, interpellée par la concomitance des événements.
«En réalité, Marie-Ange m’a sauvé la vie. Sans elle, pas sûr que je m’en serais sorti», enchaîne son mari. Transporté au service des soins intensifs du CHUV, l’imposant patient est aussitôt plongé dans un coma artificiel. «J’ai émergé trois jours plus tard. Des bribes de souvenirs me sont revenues. Mais, aujourd’hui encore, je suis bien incapable d’expliquer ce qui s’est passé», avoue celui qui a cumulé soixante-six ans de mandats politiques au cours de sa carrière: vingt ans de Grand Conseil, vingt-six ans à l’exécutif de la ville de Lausanne, dont quinze en qualité de syndic, et vingt ans et six mois comme parlementaire fédéral.
Nom de code Schmidt
Quinze jours après sa chute, Fabien Schmidt, puisque c’est curieusement sous ce nom que Daniel Brélaz était inscrit à l’hôpital universitaire, était transféré dans un centre de réadaptation, à Glion. Pour réapprendre à marcher. «Avec le recul, on peut dire qu’il a eu une chance extraordinaire. Il aurait pu se tuer, rester handicapé ou perdre la mémoire, la faculté sur laquelle a reposé sa carrière. Mais, au final, il n’a pratiquement aucune séquelle, si ce n’est un peu de difficulté à se déplacer lorsque le sol n’est pas plat», se réjouit Marie-Ange, convaincue que ses prières quotidiennes et celles d’Alexandre, leur fils, ont largement contribué à favoriser le complet rétablissement de son mari. A un petit bémol près. «Au cours des mois qui ont suivi son retour à la maison, Daniel s’est montré très susceptible et irascible. Un rien, un mot parfois, le faisait sauter en l’air et jurer tel un charretier. Une attitude que je ne supportais plus. Heureusement, à force de lui faire la guerre, j’ai réussi à le faire changer.»
Aujourd’hui, le couple, marié depuis trente-trois ans, coule des jours heureux, occupant son temps entre la lecture, la musique, la télévision, les concerts à l’Opéra de Lausanne et les sorties familiales en voiture électrique. «On a beau se préparer à la retraite, quand on a été hyperactif, ce n’est pas facile de lever le pied du jour au lendemain. Mais je m’y fais. Le moral est bon», assure le géant vert, retraité à 99%, calcule-t-il. «Il me reste le conseil d’administration de La Télé, chaîne dont je suis l’un des cofondateurs, via TVRL, comme activité professionnelle. A part ça, je suis de près les dossiers dont j’avais la charge: l’énergie, le climat et les finances publiques. Il arrive qu’on me consulte sur des questions liées à la péréquation et sur la stratégie du parti», détaille l’ancien conseiller national, qui a eu droit à des adieux sous la Coupole lors de la session de décembre 2022, neuf mois après avoir été remplacé par son successeur, Raphaël Mahaim.
Le plaisir, pas le blues
Cela étant, une question revient en boucle lorsqu’on dit que l’on a rencontré Marie-Ange et Daniel Brélaz: leur aspect physique, leur poids pour être clair, que les deux personnalités avaient mis en scène dans notre magazine il y a une dizaine d’années. A l’époque, grâce à un régime, à un traitement d’acupuncture et à la pose d’un by-pass, Daniel Brélaz avait perdu 92 kilos, passant de 182 à 90 kilos, et sa femme 60 kilos, passant de 140 à 80 kilos. «On a les deux pas mal repris», confesse sans détour Marie-Ange, avec une sincérité qui l’honore. «Personnellement une trentaine de kilos et Daniel un peu plus. Nos régimes étaient tellement spartiates qu’on a fini par craquer. Mais je crois que c’est un mal pour un bien, si l’on peut dire», estime la Gruérienne, originaire de Charmey, évoquant une période très compliquée, où privation rimait vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec frustration. Mais pas que. «Nous étions en permanence épuisés. Un état qui nous éloignait de la vie sociale et avait fini par nous donner des allures de petits vieux. Pire, notre vie ne tournait plus qu’autour de notre poids et notre santé commençait sérieusement à en pâtir. Aujourd’hui, on fait toujours un peu attention. Nous avons banni l’alcool, les desserts et le plus possible le sucre. Mais nous vivons mieux avec notre surpoids qu’en traînant quotidiennement notre spleen», conclut Marie-Ange Brélaz, dans un regard complice en direction de son mari, qui acquiesce volontiers. Entre les kilos en moins et les plaisirs en plus, les Brélaz ont choisi. Et assument. Avec le sourire…