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La guerre en Ukraine

Ukraine: sauver le patrimoine culturel pour sauver l'identité d'un peuple

Pour Marc-André Renold, professeur ordinaire et directeur du Centre du droit de l’art de l’Université de Genève, la destruction du patrimoine culturel lors de conflits armés est un moyen d’affaiblir l’identité d’un peuple.

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Marc-André Renold

Pour Marc-André Renold, la destruction du patrimoine culturel lors de conflits armés est un moyen d’affaiblir l’identité d’un peuple.

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- Le patrimoine culturel constitue un enjeu à part entière lorsqu’un conflit armé éclate. Pourquoi?
- Marc-André Renold: Dans n’importe quel conflit armé, il y a des pertes humaines – ce qui est bien évidemment effroyable –, mais il y a aussi des atteintes au patrimoine culturel. Les parties tentent de s’affaiblir mutuellement et s’en prendre au patrimoine de l’autre est malheureusement une manière d’atteindre ce but. Dans tous les conflits récents, on constate de telles atteintes. Certaines personnalités, comme l’ancienne directrice générale de l’Unesco Irina Bokova, vont jusqu’à parler de génocide culturel.

Art ukraine

A Lviv, sur décision du conservateur des lieux, les quatre statues de Hartman Witwer datant du début du XIXe siècle ont été protégées d’une éventuelle attaque. D’autres sculptures qui se trouvaient dans le cimetière du XVIe siècle ont trouvé refuge aux alentours de la cathédrale de Lviv.

Piotr Wójcik/Picture Doc, Shutterstock

- Y a-t-il des exemples emblématiques?
- Il y a le cas, en 2015, de la cité de Palmyre en Syrie, où Daech a fait usage de cette arme qu’est la destruction du patrimoine culturel, non seulement pour affaiblir ceux qu’il qualifiait d’ennemis, mais aussi comme moyen de propagande en direction du monde occidental. Il y a aussi eu un grand nombre de sites culturels et religieux à Mossoul, en Irak, détruits lors du conflit et qui sont actuellement en reconstruction. En 2012, plusieurs groupes islamistes maliens ont également détruit dix des monuments les plus importants et les plus connus de Tombouctou.

- Comment le droit international réprime-t-il la destruction du patrimoine culturel en temps de conflit armé?
- Lors du procès de Nuremberg, qui avait la lourde tâche de juger les crimes commis par les nazis, on a reconnu la destruction de biens culturels et les pillages organisés à large échelle comme des crimes de guerre. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a retenu que la tentative de destruction délibérée de la vieille ville de Dubrovnik était une circonstance aggravante de crimes de guerre. Enfin, la Cour pénale internationale a décidé en 2016 que la destruction intentionnelle des mausolées de Tombouctou constituait un crime de guerre et a condamné un chef islamiste à 9 ans de prison pour cela.

art ukraine

Lviv, place Rynok, statue de Neptune. Les quatre statues de pierre calcaire incarnent les allégories de la terre (avec Diane et Adonis) et de l’eau (avec Neptune et Amphitrite).

Piotr Wójcik/Picture Doc, Shutterstock

- En Ukraine, outre le fait de protéger les statues, on a également déplacé, caché un certain nombre d’objets d’importance dans des refuges. La Suisse a-t-elle un rôle à jouer?
- A mesure que le conflit avance, des œuvres sont déplacées pour être mises en sécurité. On m’a rapporté le cas de civils qui passaient la frontière en voiture avec de tels objets. Si ces initiatives civiles viennent à se multiplier, il faudra se poser la question de ce que les pays, dont la Suisse, peuvent faire à plus grande échelle pour protéger ces objets. C’est là que ce qu’on appelle la diplomatie du patrimoine culturel a un rôle à jouer en facilitant les échanges entre pays et en créant un réseau de refuges pour ce patrimoine.

- Le centre universitaire que vous dirigez a récemment lancé une telle plateforme visant à promouvoir la diplomatie du patrimoine culturel.
- Absolument. Il faut aussi que l’existence de ces refuges, pour ne citer que ce sujet, soit connue du grand public, ce qui n’est pas le cas. La Confédération dispose aujourd’hui d’un lieu spécifiquement prévu à cet effet (un ancien dépôt de munitions reconverti). Celui-ci pourrait servir dans ce contexte de guerre en Ukraine, comme dans d’autres conflits.

Art ukraine

Odessa, escalier du Potemkine. Située au centre de la ville, la statue de bronze du duc de Richelieu, fondateur de la ville moderne au XIXe siècle à la demande du tsar Alexandre Ier, a été recouverte de sacs de sable pour la protéger d’une attaque russe.

Anadolu Agency

- Que répondez-vous à ceux qui dénoncent le fait que l’on s’intéresse à des objets alors que des milliers d’humains perdent la vie dans ces conflits?
- C’est un faux débat. Protéger le patrimoine ne signifie pas se désintéresser du sort tragique des milliers de personnes déplacées, blessées ou tuées dans les conflits. La protection des populations est d’ailleurs le but premier du droit international humanitaire. Il n’empêche que le patrimoine culturel fait partie intégrante de l’identité des peuples, qu’on le veuille ou non, et qu’il est souvent gravement menacé.

Par Margaux Sitavanc publié le 30 mars 2022 - 08:58