Bloquée par des lianes entremêlées, la vieille Jeep rafistolée ne peut plus avancer. Il faut donc marcher sur les 25 derniers kilomètres, se frayer un chemin à coups de machette, en sueur, à travers la jungle.
C’est ainsi que débute l’odyssée filmée de trois baroudeurs romands dans l’Amazonie bolivienne. Avec Objectif sauvage, Cedrik Strahm, Martin Ureta et Joshua Preiswerk ont remporté en mars le Prix Ushuaïa TV, décerné par la célèbre chaîne française dédiée à la nature. Une jolie reconnaissance pour ce trio de choc, dont le long métrage est projeté ce printemps dans plusieurs cinémas de Suisse romande. Un voyage d’un mois, du lac Léman au campement abandonné de Los Fierros, à la recherche d’une lagune baptisée Chaplin par les autochtones. «On nous a raconté qu’elle fait référence à un Che Guevera local persécuté par le gouvernement qui a dû se réfugier dans la forêt, raconte Cedrik. Le rebelle aurait porté une moustache comme le comique anglais, d’où son surnom. Il aurait fini ses jours au bord de cette étendue d’eau douce.»
Hugo, l’un des six indigènes qui les ont accompagnés, un petit gars costaud d’une vingtaine d’années, leur a conté les légendes mystiques autour de ce lieu «sacré». «La lagune se déplace, beaucoup s’y seraient égarés à jamais», explique-t-il dans le documentaire. Vont-ils atteindre leur but? Le film, à la manière des émissions de téléréalité comme Koh-Lanta ou Wild, révèle face à la caméra les dessous de l’expédition. Mais les graines d’explorateurs insistent pour préserver le dénouement du périple. Même leurs proches n’ont pas su, avant la projection, s’ils avaient atteint leur but. «On peut simplement dire que l’on remercie les nouvelles technologies.» Suspense, suspense…
Avec 40 kilos chacun sur le dos, dont beaucoup de matériel photographique car la bande de potes est fan de belles images, ils ont réalisé leur rêve de gosse. Cedrik, 34 ans, graphiste, s’est toujours immergé dans les BD d’exploration. Martin, le Suisso-Argentin de 40 ans, traducteur attitré du voyage, a
vagabondé en car VW toute son enfance avant de devenir vidéaste professionnel. Et Joshua, le petit dernier de 31 ans, monteur vidéo, s’est pris de passion pour les grands voyages. Il vit actuellement en Inde. Ce projet, rendu possible grâce à une campagne de crowdfunding qui leur a rapporté 22 000 francs et au soutien des communes de Vevey, Montreux et Veytaux dont ils sont originaires ou résidents, c’est un peu leur version d’Indiana Jones, les aventuriers de l’arche perdue. Hormis l’expérience de vie, leur motivation était aussi de préserver cette zone reculée. «On a appris que le gouvernement souhaitait couper le parc en deux pour y construire une autoroute. Alors il fallait que l’on donne de la visibilité à la lagune. Le but de ce film n’est pas d’inciter au tourisme de masse. D’ailleurs, je ne pense pas qu’en sortant de la salle les gens se précipitent pour réserver leurs vacances», rigolent-ils.
«On n’est pas Mike Horn»
Accompagnés par des gens du cru, ils ont d’abord fait appel à une agence de voyages bolivienne, étape nécessaire pour avoir l’autorisation d’entrer dans le parc national Noel Kempff Mercado. «Sur place, rien ne s’est passé comme prévu. On a manqué de vivres et de porteurs. On a donc été dans le village le plus proche pour recruter des volontaires mais, comme nous, ils n’étaient pas des habitués de la jungle», raconte Martin.
La vie sauvage leur en a fait baver: fièvre du castor – un parasite qui leur a torturé l’estomac pendant leur séjour –, visite nocturne d’un caïman, mais surtout une déshydratation sévère: «C’était affreux d’avoir si soif. J’ai très sérieusement envisagé de boire mon urine», dit l’un d’entre eux. Ces «types normaux» pensaient faire deux jours au cœur de l’Amazonie, finalement ils sont restés onze jours sans connexion avec le monde extérieur. «Avec la canopée, on ne captait même pas le satellite. Ma compagne m’en a beaucoup voulu, car je n’ai pas pu lui donner de nouvelles», confie Cedrik, qui vient d’avoir un petit garçon. Ils précisent qu’ils n’ont jamais cherché à devenir des Mike Horn en quête de l’épreuve la plus dingue. En revanche, depuis ce voyage épique, ils manient l’art de la machette à la perfection.