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Travailler sans bureau fixe: la tendance des nomades numériques

Ces Romands ont pris leur ordinateur et leur valise pour continuer leur activité professionnelle à des milliers de kilomètres de chez eux. Ils font partie de la communauté des nomades numériques. Ils témoignent depuis le Sénégal, l’Irlande ou en route pour le Maroc.

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Le Valaisan Arnaud Mathier a décidé de retaper son bus et de gérer sa petite PME à distance

Tout plaquer mais rester connecté. Le Valaisan Arnaud Mathier a décidé de retaper son bus et de gérer sa petite PME à distance.

Sedrik Nemeth

Des images du bureau idéal d’un nomade numérique, les réseaux sociaux en abondent: un écran d’ordinateur sur un hamac, un jus de fruits coloré et une plage de sable fin en arrière-fond… La réalité est évidemment un peu plus complexe. Aucune statistique n’existe en Suisse mais, aux Etats-Unis, 15 millions de personnes ont choisi ce virage professionnel en 2021, soit 42% de plus qu’un an auparavant. Un engouement expliqué par la pandémie de covid, qui a imposé davantage de flexibilité à l’ère de l’internet globalisé. Mais la volonté croissante, notamment des indépendants, d’équilibrer vie professionnelle et vie privée y est aussi pour quelque chose. Qui sont celles et ceux qui quittent la routine du métro, boulot, dodo pour prendre la route? Ils ont entre 20 et 40 ans, sont débrouillards, allergiques à la routine et optimistes face aux crises, selon les recherches de Laetitia Mimoun, professeure à HEC Paris.

A mentionner aussi qu’une poignée d’entre eux optent pour le nomadisme professionnel pour sortir d’une forme de précarité. Le coût de la vie est moins élevé dans certaines destinations que «chez soi». Des pays comme le Portugal et la Grèce ont flairé le potentiel: ils proposent des conditions avantageuses pour faciliter le travail à distance. Hors de l’Europe, les pays qui séduisent sont le Costa Rica, la Thaïlande ou l’Indonésie.

Coworking et «co-living»


Pour répondre à ce phénomène en expansion, de plus en plus d’espaces de coworking ont émergé. Une solution pour pallier la solitude qui peut parfois peser. Des «co-living» (partage d’habitation) existent aussi. PuraWorka, né en Suisse, a ouvert un lieu de ce type à Lombok (Indonésie), tout en déployant d’autres structures dans les Alpes, notamment à Zermatt. Neil Beecroft, cofondateur, est lui-même «home free mais pas homeless». Entendez par là qu’il a choisi de ne pas s’installer dans un domicile fixe. Adepte du télétravail, ce Valaisan prône cette façon d’exercer son métier depuis plusieurs années. «La notion de voyage est en train de changer. On ne part plus pour quatre jours à Lisbonne mais un ou deux mois, vu qu’on peut prendre son travail avec soi», explique-t-il. La tribu aventureuse des nomades numériques partage une vision commune: l’efficacité ne dépend pas de ses coordonnées géographiques et ils ne jurent que par un monde professionnel plus libre.

«Il faut accepter de vivre avec moins»

Arnaud Mathier, Entrepreneur, 36 ans, direction le Maroc

Bouli, son vieux van de l’armée, a eu besoin d’un petit rafistolage chez le garagiste mais le voilà prêt à quitter les hauteurs d’Anzère (VS) pour traverser plusieurs territoires, avec pour objectif le Maroc. A 36 ans, Arnaud Mathier a commencé depuis peu à bourlinguer. «J’étais un bon sédentaire, mais les choses évoluent avec différents cycles dans la vie», commence l’ancien vidéaste, à la tête d’une entreprise de CBD, Flower Power Distribution, qu’il continuera de diriger à distance. Cet entrepreneur a passé l’été à préparer sa future maison mobile, entre l’isolation, l’électricité et l’aménagement intérieur. «Il n’y a pas de douche, mais ça me va très bien d’aller me laver au lac ou dans un cours d’eau», déclare le Vaudois d’origine.

Arnaud Mathier a décidé de travailler uniquement à distance. C'est ce qu'on appelle un nomade numérique

En avril dernier, le Valaisan Arnaud Mathier a décidé de partir sur les routes avec son van et de travailler uniquement à distance. 

Sedrik Nemeth

Il a appréhendé le nomadisme numérique comme une lente reconversion, qu’il a mise en place étape par étape. «J’en ai mangé, des tutoriels et j’ai forgé mon mental pour comprendre les ficelles d’un métier dans l’e-commerce, qui me permettait de travailler depuis n’importe où», dit-il. Avant de décider de tout lâcher, il a testé ce mode de vie pendant un mois au Portugal. «Il faut franchir des barrières, accepter de vivre avec moins. Mes affaires aujourd’hui sont contenues dans un box et j’en suis plus heureux», insiste Arnaud.

Alors qu’il a grandi dans un village bourgeois au bord du lac Léman, il avoue avoir été bloqué au début par l’image qu’il renvoyait à ses proches. «J’ai dû m’habituer au regard des autres. Maintenant, j’en rigole, d’être perçu parfois comme un punk. Cela ne me pose plus aucun problème d’être vu en train de boire un café sur un parking.» Ce fan de sports d’adrénaline apprécie surtout le temps libre qu’il acquiert avec cette nouvelle manière de travailler. «Mon temps a de la valeur. Avant, je faisais plus de deux heures de trajet par jour pour aller au job. Ma liberté a ce prix.»

A-t-il peur de souffrir de solitude, sans collègues? «Je m’alimente des récits de gens qui vivent comme ça. La sociabilité, tu la trouves sur la route si tu veux», affirme celui qui prévoit comme deuxième étape d’aller en Grèce en passant par la Tunisie. «Ensuite, je rêverais d’aller en Asie», se projette le nomade, qui voit sa nouvelle vie professionnelle comme un champ d’expérimentation.


 

«Les réseaux sociaux montrent une image très romantisée»

Sarah Pellegrin, Spécialiste en communication et prof de yoga et méditation, 30 ans, Irlande

Son pseudonyme sur Instagram, c’est Mindful on wheels, à traduire «en pleine conscience sur roues». Avant de s’installer pour la saison d’hiver dans une petite maison à une heure de Galway, en Irlande, la Valaisanne de 30 ans a sillonné de nombreux pays en van. «J’ai réalisé que je pouvais travailler de n’importe où tant qu’il y a une bonne connexion 4 ou 5G», lance Sarah Pellegrini, qui évolue dans la stratégie marketing.

Elle a pris goût au voyage lors d’un long séjour en Inde qui l’a profondément marquée. C’est là qu’en parallèle de son métier elle entame une formation de professeure de yoga, qu’elle complète par deux ans de cursus pour enseigner la méditation en pleine conscience. De retour dans son job traditionnel à Lausanne, elle ne restera pas longtemps au bord du Léman. Elle signe pour un an de nomadisme, sac au dos, animant des ateliers bien-être au Maroc tout en continuant des mandats à distance en communication.

Sarah Pellegrini jongle entre travail et découvertes musicales en Irlande

La Valaisanne Sarah Pellegrini jongle entre travail et découvertes musicales en Irlande. Avant, cette nomade numérique était en France, au Portugal et au Maroc.

Sarah Pellegrini

Direction la France, l’Espagne puis le Portugal, en van cette fois. «Tu apprécies la nouveauté de beaucoup bouger jusqu’au moment où tu réalises que de continuer à déplacer ta maison te prend énormément d’énergie», nous raconte-t-elle lorsqu’elle s’arrête en Irlande. Une destination originale, loin des clichés sous les tropiques. Ce qui l’a retenue dans le comté de Clare, ce sont ses randonnées mystiques le long des falaises. «C’est une région avec un certain magnétisme, un carrefour artistique qui m’a donné envie de m’imprégner de la culture locale.»

Car c’est bien la règle des nomades numériques: la durée de séjour est libre. Ils suivent leur instinct. «Mon intention était de repousser les limites de ma zone de confort et de revenir à un mode de vie plus ancestral avec une approche minimaliste. Je trouvais intéressant de construire un quotidien qui corresponde plus à notre système nerveux, en symbiose avec la nature en suivant la course du soleil», précise encore la jeune active.

Sa famille, bien ancrée dans son terroir valaisan, a pensé que ce mode de travail était une phase. «Ma maman me demande toujours: «C’est bientôt fini? Tu rentres?» sourit Sarah. Une idée qui lui traverse parfois l’esprit lorsque ses proches lui manquent, car tout n’est pas rose dans le nomadisme. «Ce n’est pas parfait. Les réseaux sociaux montrent une image très romantisée, mais il y a aussi beaucoup d’inattendu qui peut générer de l’anxiété et un fort sentiment de solitude. L’instabilité ne convient pas à tout le monde», analyse la Romande. Elle s’épanouit dans l’inconnu. «J’ai appris à me connaître et à m’écouter. J’aime être seule sur la route. Après, je reste ouverte à m’adapter si quelqu’un entre dans ma vie!»


 

«On dégage plus de temps et on est plus productifs»

Meriam Mastour et Anas Luzitu Maboso, Juriste indépendante et chef d’entreprise, 30 et 37 ans, Dakar (Sénégal)

Elle a 30 ans, lui 37. Ils ont trois enfants. Elle a des origines tunisiennes, il est né au Congo (RDC). Il y a encore quelques mois, toute la famille était à Versoix (GE), mais les voilà qui télétravaillent à Dakar, au Sénégal. «C’était un bon choix pour nous immerger sur notre continent d’origine. En tant qu’«Afropéens», c’était important pour nous de vivre cette expérience. De venir sur place pour casser les idées reçues. Et pour que nos enfants ne soient pas toujours une minorité. Qu’ils développent une meilleure confiance en eux», dit Meriam Mastour, juriste indépendante.

C’est lors de vacances dans ce pays d’Afrique de l’Ouest qu’un bien-être les a conquis. «Ici, on peut rêver plus grand qu’en Suisse! On rencontre des gens de partout. On se croirait au centre du monde», raconte Anas Luzitu Maboso, spécialiste fiduciaire et chef d’entreprise. Depuis 2014, il est à la tête d’ALM Management, une société dématérialisée de plusieurs employés. Cet entrepreneur a convaincu sa clientèle hélvète de le suivre à distance. «Au Sénégal, tous les deux, on arrive à dégager plus de temps, à être plus productifs en ayant un meilleur équilibre entre vie privée, professionnelle et militante», ajoute Meriam, cofondatrice du collectif Les Foulards Violets.

Meriam Mastour et Anas Luzitu Maboso ont quitté Genève pour expérimenter la vie de nomade numérique

Il y a quelques mois, le couple a quitté Genève avec sa petite famille pour expérimenter la vie de nomade numérique. Premier arrêt: Dakar.

Meriam Mastour et Anas Luzitu Maboso

D’autres arguments pleuvent: possibilité d’épargner ou accès à une éducation internationale pour leurs enfants. Ce quotidien d’expatriés, ils l’avaient déjà expérimenté au Qatar. «C’était notre test pour voir si c’était possible. Alors oui, c’était parfois un exercice cérébral. Après, l’avantage de travailler ainsi, c’est que cela responsabilise tout le monde au niveau des ressources humaines», continue Anas.

Leur décision de choisir une autre forme de vie professionnelle n’a pas été prise à la légère. Il fallait modifier les plans de carrière et faire des sacrifices. Meriam met son stage d’avocate entre parenthèses et développe ses activités en tant que consultante spécialisée dans les discriminations. Renoncer à son cocon familial a été plus délicat pour la jeune trentenaire. «C’était le dernier rempart. Nos parents ont émigré en Suisse pour travailler et il fallait leur faire comprendre notre trajectoire inversée. Les moyens de communication nous permettent de rester en contact tous les jours.»

Epanouis aujourd’hui, ils ne savent pas encore combien de temps ils vont rester à Dakar. «Si, demain, on a l’impulsion d’aller au Ghana, en Amérique latine ou à Genève, on ouvrira la discussion», conclut le duo, alors qu’il s’apprête à aller se promener à la plage pour l’«afterwork».

Par Albasini Jade publié le 30 juin 2023 - 10:13