- Votre association Lobbywatch estime que la nouvelle loi sur la transparence de la vie politique fédérale est minimaliste. Quels sont les progrès qui restent à faire?
- Thomas Angeli: Nous sommes certes contents que la Suisse se soit enfin équipée d’une loi sur la transparence du financement politique. Mais ce n’est encore, en effet, qu’un petit premier pas. Cette réglementation a deux faiblesses principales. D’abord, elle laisse trop de marge de manœuvre pour échapper aux contrôles. Ensuite, elle n’impose en fait de la transparence qu’aux candidats au parlement fédéral. Une fois qu’ils sont élus, ceux-ci ne sont toujours pas tenus de préciser le degré réel de leur dépendance financière vis-à-vis de lobbys. Depuis quelques années, ils ne doivent mentionner que leurs mandats, pas les montants qu’ils perçoivent. Il reste donc encore beaucoup trop de flou.
- Et la transparence sur les donateurs, où en est-elle?
- Là aussi, la situation reste insuffisante. Il demeure possible de cacher l’origine précise de l’argent versé aux partis et aux candidats. Prenons l’exemple de Rolf Dörig, président de la Stiftung für bürgerliche Politik (Fondation pour une politique civile, ndlr), une fondation qui soutient l’UDC. Rolf Dörig a dit qu’il rendrait public le montant qu’il versera à l’UDC pour ces élections (d’après la déclaration sur le site du Contrôle fédéral des finances, 500 000 francs, ndlr), mais pas l’identité exacte des donateurs. Ce paravent via une association de supporters demeure possible. Nous doutons que ce soit légal.
- Il y a aussi la marge de manœuvre restreinte du Contrôle fédéral des finances?
- C’est sans doute une faiblesse supplémentaire, même s’il faut voir comment se passera ce premier exercice. Le Contrôle fédéral des finances doit par exemple s’annoncer à l’avance quand il décide de contrôler les comptes d’un parti politique. Un contrôle annoncé n’a bien sûr pas la même efficacité qu’un contrôle surprise.
- Les limites obligeant à ouvrir ses comptes (50 000 et 15 000 francs) vous semblent-elles pertinentes?
- Pour le budget total d’une campagne électorale, nous sommes contents de la limite à 50 000 francs. C’est bien, car c’est mieux que ce qui était envisagé dans l’initiative populaire, qui fixait cette barre à 150 000 francs. En revanche, la barre de 15 000 francs pour les dons individuels est trop haute. Elle suffit pour les grands cantons, où les campagnes électorales coûtent forcément plus cher. En revanche, dans les cantons les moins peuplés, il n’y a pas besoin de grosses sommes d’argent et donc l’origine des financements des candidats de ces petits cantons restera largement invisible grâce à cette limite.
- Le Contrôle fédéral des finances vous semble-t-il avoir les compétences nécessaires pour vérifier les informations que les partis et candidats lui donnent?
- Nous n’avons aucun doute sur les compétences du Contrôle fédéral des finances. Nous en avons en revanche sur les moyens qui lui ont été accordés pour cette tâche: trois nouveaux postes de travail seulement… Et puis il ne peut pas sanctionner lui-même s’il constate des fautes. Il ne peut qu’envoyer le résultat de ses investigations au procureur du canton concerné.
- Il n’a même pas la possibilité de publier le résultat de ses contrôles?
- Non, tout restera confidentiel tant que l’infraction ne sera pas jugée. Et comme une telle affaire peut durer des années...
- Sur les 246 parlementaires actuels, quel pourcentage d’entre eux vous semble sous une influence financière excessive sur le plan démocratique?
- C’est impossible d’avancer un pourcentage. Mais je peux vous assurer qu’il existe des influences excessives auprès de parlementaires et auprès des commissions. Ce sont surtout les banques, les caisses maladie et la pharma qui ont des liens d’intérêts trop forts avec trop de politiciens. Au niveau fédéral, un parlement de milice, c’est une illusion. Conseiller national, selon une étude de l’Université de Genève, c’est un travail à environ 70%. A Lobbywatch, nous estimons qu’il faudrait mieux les rémunérer, mais avec un système plus transparent.
- Peut-on dire que nous vivons dans un système politique légalement corrompu?
- Je n’utilise pas le terme corruption, qui désigne une infraction pénale. Je parle, je le répète, de l’illusion et des limites d’un système de milice.
- Dans quelles circonstances a été créé Lobbywatch?
- Jusqu’en 2011, les listes des personnes accréditées par les parlementaires étaient sinon secrètes, du moins accessibles uniquement sur place. Nous avions l’interdiction de les photographier. Nous devions les copier à la main. C’était pénible, mais nous le faisions chaque année pour le magazine «Beobachter». Nous constations que ces listes étaient pleines de fautes, qu’elles n’étaient pas mises à jour, que les liens entre invités, parlementaires, associations et entreprises étaient très difficiles à démontrer. Il fallait refaire chaque fois tout le travail. Alors pourquoi ne pas faire un site internet pour conserver, publier et mettre à jour ces données en permanence, mais avec la collaboration de toute une équipe? C’est ainsi qu’est né, en 2014, Lobbywatch, qui organise aussi des «promenades de lobbyisme» pour montrer à des citoyens intéressés comment cela fonctionne.
- Quels conseils donnez-vous aux citoyennes et citoyens un mois avant ces élections fédérales?
- Découvrir sur lobbywatch.ch les liens d’intérêts des parlementaires qui se représentent. Ils peuvent aussi examiner les déclarations de financement sur le site du Contrôle fédéral des finances. Et, dès début octobre, le site moneyinpolitics.ch complétera et synthétisera ces informations. Enfin, qu’ils n’hésitent pas à demander qui finance les campagnes des candidats rencontrés dans la rue.
- Une anecdote drôle tirée de vos longues années à Lobbywatch?
- Je me souviens d’une politicienne romande à qui nous avions envoyé les résultats de nos recherches, une longue liste de mandats rémunérés. Sa première réponse par e-mail avait été: «Quoi? J’ai tout ça???»
Transparence chiffrée: mode d’emploi avant les élections
Résumé des nouvelles règles de financement des partis et des budgets de campagnes électorales et de votations fédérales.
50 000 francs
Désormais, dans le cadre d’élections ou de votations fédérales, les campagnes menées par des partis, des acteurs politiques ou des personnes privées dont les coûts dépassent 50 000 francs devront être déclarées au Contrôle fédéral des finances.
15 000 francs
Les auteurs de dons de plus de 15 000 francs en faveur d’un candidat ou d’une formation politique doivent être déclarés nommément. Et les dons anonymes et provenant de l’étranger sont désormais interdits.
114 candidats
ont déclaré les comptes de leur campagne électorale individuelle sous leur nom au Contrôle fédéral des finances. Cette liste est désormais consultable à l’adresse politikfinanzierung.efk.admin.ch. Tout comme celle des 163 formations politiques dont les campagnes collectives ont dépassé la limite de 50 000 francs et celle des donateurs de plus de 15 000 francs.
40 000 francs d’amende
C’est la punition pécuniaire maximale que risquent les partis et les acteurs politiques qui ne respecteraient pas ces nouvelles obligations de transparence.