La Romandie était fâchée le jour où la «Handelszeitung» – journal basé à Zurich – a sorti un classement sur la qualité de vie des communes suisses. Aucune localité francophone n’est dans le top 50! Coup encore plus dur pour Tramelan, situé dans le Jura bernois, le bourg occupant l’avant-dernière place dans le «ranking» national: 943e, en se basant sur une analyse de 50 critères allant de la fiscalité aux transports, en passant par la sécurité, l’éducation ou encore l’offre culturelle et sportive. Aïe. On se demande bien à quoi peut ressembler le quotidien des gens qui vivent en ce lieu si mal classé. Allons jeter un œil!
Mais d’abord, je dois vérifier où se trouve Tramelan sur Google Maps. Entre nous, j’ai un doute. Je me rappelle vaguement être passée en coup de vent dans cette vallée mais sans jamais m’y arrêter. La voilà, au nord de Bienne, à quelques kilomètres du Chasseral; 1 h 45 en train depuis Lausanne, avec deux changements. Je gagne plusieurs minutes en voiture. Je scrolle sur le site de la commune pour contacter le maire, Philippe Augsburger. On me le passe directement. L’annonce a eu l’effet d’un coup de massue pour ce natif de la localité. «Ils n’ont pas mis un pied ici, c’est de l’ignorance crasse! Alors oui, ça nous a fait grincer des dents dans la région», commence-t-il. Ils ont un caractère bien trempé, les Tramelots et Tramelotes! Mais aussi de l’humour. «Ils nous font de la pub finalement. Regardez, ça attire «L’illustré»!» ajoute-t-il quand je lui soumets notre volonté de réaliser une petite immersion dans les jours qui suivent. Il deviendra notre guide.
Avant mon départ, j’épluche la presse locale. Les réactions sont généralement amusées devant «le diktat urbain» de cette étude menée loin de leur réalité. Précisons aussi que le ressenti de la population n’a pas été pris en compte. C’est le consultant immobilier alémanique Iazi qui a scruté de nombreuses statistiques pour élaborer le classement, se basant sur une série d’indicateurs que je me suis procurée avant ma visite. Vous le découvrirez au travers de ce récit: nous allons donner tort à plusieurs d’entre eux. Bon, allez, je ne vous en dis pas plus, il est temps de prendre la route! Direction Tramelan et ses 4700 habitants.
Vendredi 23 septembre, 7 h 30. Gabriel Monnet, le photographe qui m’accompagne, me propose de le retrouver en chemin pour faire le trajet ensemble en voiture. C’est quand même plus simple pour atteindre la commune bernoise, on ne va pas se mentir. On va participer à une démonstration de hornuss, un sport traditionnel encore très vivant dans la région. «Le HG Tramelan est le dernier club en activité en Suisse romande. Nous sommes 18 joueurs adultes et 12 juniors. Et l’intérêt augmente!» explique avec une pointe de fierté Rodolphe Bartlomé, le vice-président, qui nous accueille avec café-croissant sur les hauteurs de la localité. La goutte de schnaps est optionnelle, mais elle me réchauffe à 1000 mètres d’altitude. Le décor est reposant. Tout autour de nous, les vaches pâturent tranquillement dans un immense pré (il faut au moins 300 mètres disponibles en longueur pour le terrain de hornuss), alors que les rayons du soleil colorient les arbres en ce début d’automne. Il y a un petit air de Canada par ici. En hiver, on peut même faire des balades en traîneau à chiens. Idéal pour les touristes en mal de posts Instagram. Ce n’est pas difficile de valider les critères «Forêt» et «Espace vert» du fameux listing cité plus haut.
Une vingtaine d’élèves de La Neuveville nous rejoignent pour se frotter à cette pratique intergénérationnelle, surnommée aussi «le frelon» en français. Ils s’emparent des planches à pizza faisant office de palettes et s’échangent des balles de tennis dans une ambiance conviviale. D’abord endormis, les adolescents se sont vite pris au jeu. «C’est impressionnant!» lâche l’un d’entre eux. Certains tentent le lancer de puck avec les longues tiges flexibles. Comme moi, n’y voyez pas une ressemblance avec le baseball, il n’y en a pas!
Le sport en général va tapisser nos quarante-huit heures tramelotes. Joli moment quand les footballeurs du FC Tramelan gagnent 4 à 1 sous la pluie devant plus de 200 personnes en émoi. Il y avait aussi un match de hockey dans la patinoire à côté. Quelques yogis déambulent avec leur matelas pour un cours de hatha. On nous a vanté l’association d’haltérophilie, qui est sur toutes les lèvres. Le club de volley aussi est très apprécié. Quant à la piscine en plein air, qui vient de fermer, elle a enregistré plus de 54 000 entrées cet été. A ce stade, on peut définitivement cocher «Offre de loisirs», «check», «check» et re-«check»!
Prochain arrêt: les étoiles de la CIP, le Centre interrégional de perfectionnement, qui fait office d’hôtel et de lieu culturel. Je dis les étoiles, car, vu du ciel, le bâtiment a la forme d’une constellation. Mais, du sol, il ressemble plutôt à un sous-marin avec des hublots jaunes. Sur le chemin, on retrouve Philippe Augsburger. Encore un peu électrisé par la nouvelle du classement, le maire énumère les qualités de son village. «Le nombre d’habitants progresse. Les gens s’installent ici pour la quiétude et la beauté du paysage. Niveau impôts, il y a pire. Et par rapport aux aspects écologiques, notre patinoire est recouverte de panneaux photovoltaïques. On vient d’inaugurer une tour d’observation de la faune et de la flore locales…» Je l’interromps poliment. On a le temps de découvrir. Mais, sur mon calepin, l’indicateur «Evolution de la population» peut être approuvé.
On croise une classe d’enfants dans la rue. Après deux jours d’observation, je peux mettre un vu à côté du critère «Quotient de jeunes». On en a vu beaucoup, au prorata du nombre de résidents. Dans l’après-midi, les perceuses retentissent dans la vallée pour faire sortir de terre un nouveau bâtiment industriel. «Cette entreprise permettra de proposer 200 à 300 nouveaux emplois», nous confie encore Philippe Augsburger. «Création d’entreprises», «check» aussi, même si ce n’est pas dans le secteur tertiaire comme précisé dans l’étude zurichoise.
Didier Juillerat, directeur du CIP, se présente. Il nous apprend qu’à Tramelan ils maîtrisent les technologies du décolletage, domaine de la fabrication de pièces pour la mécanique, l’horlogerie et autres appareils de pointe. «Cela nous tient à cœur de donner envie aux nouvelles générations de choisir des apprentissages techniques.» Par contre, dans le classement, seules les écoles primaires et secondaires (qui existent évidemment à Tramelan) ainsi que les universités et HES sont comptabilisées.
Hasard du calendrier, ce week-end, la 25e édition de Tramlabulle, festival dédié à la BD, a lieu. On assiste aux derniers préparatifs avant d’y faire un saut le lendemain pour les séances de dédicace de nombreux illustrateurs locaux et internationaux. Pal Degome, dessinateur invité, nous a fait le plaisir de croquer l’actualité de sa commune d’origine. Quant à Pierre-Alain et Aline Kessi, organisateurs de l’événement, ils nous convient à la soirée «BD’Folies», un dîner-spectacle animé par les humoristes Sandrine Viglino et Christophe Bugnon. Cela en fait, du choix, pour un petit bourg de cette taille. Désolée, mais nous avons déjà rendez-vous avec la Chorale ouvrière de Tramelan, qui fête ses 100 ans en chansons et avec une pièce de théâtre. «On réveille aussi une ancienne tradition en proposant un bal en fin de soirée!» se réjouit Cédric Meier, président de l’Union des chanteurs jurassiens (UCJ), mais surtout second ténor. Des centaines de personnes sont attendues.
Avant l’échauffement vocal, petit détour samedi après-midi au Cinématographe, au cœur du village, qui, depuis sa création, en 1915, diffuse les incontournables du 7e art. Daniel Chaignat, administrateur de la salle, nous montre tous les recoins de cet espace qu’il surnomme «la fabrique de rêves». Septante bénévoles y consacrent leur temps libre. Deux projections par jour: des films d’auteur mais aussi des blockbusters en 3D comme le prochain «Avatar». «On s’est même doté d’un nouveau projecteur laser qui consomme jusqu’à 75% moins d’énergie et propose de la 4K pour l’occasion», affirme le Tramelot. A noter que le Cinématographe séduit les jeunes de la région. Selon Aurélie Morisod, responsable communication de l’AG culturel, l’abonnement intercantonal pour les moins de 25 ans: le lieu est dans le top 5 des fréquentations parmi ses 250 partenaires répartis dans toute la Romandie et la ville de Berne. Pour résumer, sur la même journée, il y a quand même un certain choix d’activités: BD, humour, théâtre, musique et cinéma. Le critère «Offre culturelle» est certifié!
Vous voulez plus de commentaires des villageois en lien avec l’annonce très médiatisée de leur 943e place? Ils sont insolites. «Ils oublient quand même la tranquillité en vivant ici. Il n’y a pas de scène de drogue par exemple», rappelle l’administrateur du Cinématographe. Case «Délits loi sur les stupéfiants» à enlever. Pierre-Alain Kessi, de Tramlabulle, ajoute avec le sourire: «Vous savez combien de villages il faut traverser pour aller jusqu’à Zurich depuis ici? Aucun! L’autoroute est directe!» taquine-t-il. Quant à nos amis du hornuss, ils rigolaient en assurant qu’il y a tout le nécessaire pour les familles à Tramelan. «Il nous manque juste un lac, mais il n’est pas loin. Et il y a la piscine!»
Voilà, c’est gentiment l’heure de rentrer. Lors de mon passage, j’ai encore pu déconstruire d’autres indicateurs qui composaient le «ranking» de la «Handelszeitung». «Bibliothèque», il y a la médiathèque au CIP et même une boîte à livres gratuits. «Magasins d’alimentation»: les enseignes Coop et Migros sont présentes, mais aussi une épicerie en vrac et une fromagerie. Et, en voyant défiler les nombreuses éoliennes sur le chemin du retour, symboles de la région, j’ai finalement pu ratifier «Production d’électricité renouvelable». Contrairement au classement, point de départ de ce reportage, cet article n’est pas un compte rendu mathématique. Simplement une observation sur le terrain. Et après ce week-end à Tramelan, on mesure mieux l’incompréhension des gens du cru. Allez, on vous laisse, c’est l’heure de l’apéro!