«Je suis certaine que les 600 personnes qui travaillent ici ont toutes une photo de lui dans leur smartphone. En plus d’être mignon et affectueux, il a une vraie personnalité. Grâce à sa faculté d’observation et à son pouvoir de séduction, il s’est approprié les lieux et s’est mis tout le monde dans la poche. Aujourd’hui, il fait partie intégrante de la maison», estime Stéphanie Jaquet, journaliste scientifique, qui appartient à l’écrasante majorité des collaborateurs de la première des radios qui fondent pour lui. Lui, c’est Tokay. Un chat de gouttière mâle de 4 ans et demi, qui a débarqué au bâtiment de La Sallaz en août 2019. D’abord sur la pointe des pattes avant, peu à peu, de prendre ses aises puis de carrément s’y établir. «Au début, il se contentait de la moquette rouge de la réception ou de la caisse en plexi renfermant la maquette du nouveau bâtiment de la RTS en construction sur le campus de l’EPFL qui fait face à la réception. Mais il a rapidement compris qu’ici il y avait de la vie vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et que tout le monde était bienveillant à son égard.» A commencer par notre interlocuteur, Beat Wenger, réceptionniste-téléphoniste, le premier à dégainer une gamelle et à le prendre sous son aile.
Croquettes à tous les étages
Tokay. Affublé du nom du célèbre vin hongrois par ses anciens propriétaires, magyars «of course», résidant dans le quartier, qui, à force de voir leur protégé à quatre pattes passer ses jours et ses nuits chez leur grand voisin, ont fini par le lui donner contre bons soins lorsqu’ils ont déménagé. Et des bons soins, Tokay n’en manque pas, tant sa cohorte de fans se bouscule pour s’attirer ses bonnes grâces et lui rendre la vie agréable. «Il y a des croquettes planquées à tous les étages ou, à défaut, il a droit à des crèmes à café. Il a pas mal grossi ces derniers mois d’ailleurs», remarque Valérie Hauert, productrice et présentatrice de «La Matinale», sous le charme elle aussi. «Quand j’arrive à la radio, vers 3 h 30, il est soit à la réception, soit devant la porte, attendant de pouvoir entrer. Ensuite, il commence son grand numéro. Avec le temps, il a appris à franchir les tourniquets que nous empruntons avec nos cartes magnétiques et à prendre l’ascenseur. Puis il me suit jusqu’au studio où il s’installe pour plusieurs heures. Après quoi, on lui ouvre la fenêtre du rez-de-chaussée et il s’empresse d’aller dire bonjour à nos amis de Couleur 3», se marre celle qui a succédé à Romaine Morard. Un rituel qui ne manque pas d’étonner les invités du «Journal». «Ils sont à la fois surpris et attendris. La plupart lui font des grattouilles en attendant d’être à l’antenne. Ça les déstresse, disent-ils», poursuit la journaliste, avant de tempérer. «Le côté embêtant, c’est qu’il perd pas mal de poils.»
Du haut de son statut d’intouchable, Monsieur Tokay, dont on peut suivre les pérégrinations sur ses comptes Twitter et Instagram animés par de mystérieux journalistes, se permet parfois quelques frasques. Genre bondir sur la table du studio en pleine émission, histoire de se mettre dans le champ de la caméra de RTS 2. «La première fois que c’est arrivé, il a reçu quelques jours plus tard un carton à son nom rempli de nourriture et de jouets pour chat d’un magasin pour animaux», se souvient Valérie Hauert. Malgré ses caprices de star, on le dit d’un naturel plutôt discret. «On le voit partout, mais il ne s’impose nulle part», résume Daniel Rausis, le truculent Dicodeur, avant de livrer l’une de ses envolées dont il a le secret. «En réalité, il personnifie le chat dans toute son intelligence. Le seul animal qui s’est domestiqué par lui-même, en chassant les rats et autres rongeurs qui rôdaient autour des silos à grains où les Egyptiens entreposaient leur récolte. Ce faisant, il protégeait les stocks, ce qui l’a rapproché des propriétaires de ces greniers, entre 3000 et 1500 avant Jésus-Christ. Je trouve cela mythique», s’enthousiasme l’animateur d’Espace 2.
«Forum» et Securitas
De nuit comme de jour, Tokay déambule donc dans les couloirs et passe librement d’un studio à l’autre avec une affection particulière pour celui de «Forum», l’émission d’actualité du soir. «Quand je faisais les flashs de nuit, sa compagnie brisait ma solitude», confie Stéphanie Jaquet, qui voyait également son ami à fourrure accompagner les agents de sécurité dans leurs rondes nocturnes. «Ils me racontaient que Tokay les suivait partout, sauf au quatrième étage, un endroit hanté selon eux. Certains collègues n’hésitent d’ailleurs pas à affirmer que notre Tokay est en effet un ancien cadre de la maison qui s’est réincarné en chat pour nous surveiller», tranche, hilare, la journaliste des «Bonnes ondes».
Autant d’anecdotes qui ne font toutefois pas rire tout le monde. Car aussi attachante et sympa soit-elle, la boule de poils blancs surmontée d’une touche de «rimmel» gris anthracite a ses détracteurs dans la grande maison. Mais son degré de popularité est tel que celles et ceux qui aimeraient le voir déguerpir n’osent pas témoigner à visage découvert, par peur de se mettre toute la boîte à dos. A l’exemple de ces collaboratrices allergiques aux poils de chat et contraintes de prendre un antihistaminique. «Je n’ai absolument rien contre les chats, mais si Tokay est là ou qu’il a passé près de mon bureau, j’ai les yeux qui coulent, je tousse et j’ai même des problèmes respiratoires. Mais ce chat bénéficie d’un tel niveau de sympathie que mes plaintes sont inaudibles et restent lettre morte, alors même que notre règlement stipule que les animaux sont interdits dans la maison et que la direction doit assurer notre bien-être au travail.»
Une plainte que nous avons relayée auprès des ressources humaines, qui nous ont répondu par un courriel de leur responsable Médias et porte-parole, Emmanuelle Jaquet: «Une grande majorité des collaboratrices et collaborateurs apprécient Tokay, devenu une véritable mascotte. Toutefois, la RTS est consciente que la présence d’un chat dans les locaux de la radio peut poser des problèmes de santé, d’allergies notamment ou/et sanitaires. Pour cette raison, nous sommes en train d’examiner des solutions satisfaisantes pour tout le monde, y compris pour notre «porteur d’image» à quatre pattes.» Un message un brin équivoque qui pourrait ouvrir le dernier cha... pitre d’une belle histoire d’amour entre le cha... rmant et chat... oyant félidé et ses cha... leureux aficionados.