- On parle de sport, Thomas Wiesel?
- Thomas Wiesel: Avec plaisir, j’adore. Je regarde des centaines de matchs, notamment les sports américains, que j’enregistre la nuit.
- Vous avez pratiqué?
- J’ai fait du judo à Lausanne de 4 à 14 ans, jusqu’à la ceinture bleue. Une fois, je suis même allé au Québec avec mon club. Nous devions être toute une délégation et finalement, pour des raisons logistiques, il n’y avait plus que moi. Du coup, là-bas, ils étaient persuadés que j’étais le grand espoir du pays. Alors que j’étais nul. Eux se préparaient pour les Jeux et moi pour le tournoi de Noël.
- Vous aimiez la compétition?
- Gamin, je me prenais parfois au jeu.
- Vous souffriez de ne pas briller?
- Non, j’avais de la facilité à l’école et je n’étais pas non plus celui qui était choisi en dernier. Je me souviens juste qu’au judo je perdais en finale contre mon frère. C’était un peu compliqué de retourner à la maison. J’avais l’impression d’être Serena au début de sa carrière face à Venus.
- Et les sports d’équipe?
- J’étais gardien, au handball, au unihockey, au football. A Londres, où ma famille a habité pendant deux ans, nous jouions au foot toute la journée avec mon frère, dans le jardin de 10 mètres carrés, avec un mini-goal. Il shootait, j’étais au but. Il y avait des rosiers, on perçait les ballons. J’étais pour Manchester, lui pour Arsenal.
- Vous jouez encore?
- Oui, au basket, le sport où je m’en sors le moins mal. J’ai du plaisir. Je n’ai pas de shoot, je n’ai pas grand-chose, mais je table sur le fait que l’adversaire oublie que je suis gaucher. Je suis obligé de miser sur le cérébral.
- Le jeu, vous aimez?
- Comme je suis quelqu’un de renfermé sur mes émotions, quand je regarde du sport, je peux exploser, me laisser aller. J’arrête de penser à mille trucs. C’est presque cathartique. Le sport est structuré, avec des règles, un début, une fin.
Il me canalise.
- Quand avez-vous surtout assisté à des compétitions?
- Aux Etats-Unis, pendant mon année d’échange universitaire. Je n’étais pas très sûr de ce que j’étudiais, j’étais loin de chez moi, il faisait froid. Les matchs m’ont sauvé. Le stade de l’Université du Michigan compte 113 000 places. Tu as des sportifs en cours avec toi la semaine et, le samedi, ils jouent devant 100 000 personnes et 5 millions de téléspectateurs: un truc surréaliste et unificateur que j’aime. Même s’il y a moins de ferveur au stade, si je croise un Américain, à la troisième phrase, on va parler de sport.
- Vous êtes patriote?
- Je me sens rarement Suisse, mais aux Jeux, à la Coupe du monde ou aux Mondiaux de ski, je deviens patriote à fond, oui, j’ignore pourquoi. Quand Shaqiri marque cet été, j’arrache mon t-shirt, alors que ce n’est pas du tout ma personnalité.
- Comment vivez-vous les matchs?
- Je cherche à faire rire, mais je prends des notes. Les grands rendez-vous sportifs sont le dernier moment où la population se fédère. Alors que tout ce que nous vivons est morcelé, personne ne regarde plus les mêmes films ou écoute la même musique.
- Qu’est-ce qui vous a marqué récemment?
- Au Mondial de foot, je n’ai pas compris pourquoi tant de gens étaient fâchés par la victoire de la France. Il existe une sorte de masochisme à consommer à fond les médias français et à se plaindre ensuite. Ce truc de mauvais perdant m’a énervé.
- Quand riez-vous dans le sport?
- Je me revois à Prague ou à Minsk, où je suis allé suivre la Fed Cup et encourager mon amie Timea Bacsinszky. Il y a des enfants, des vieux. Nous n’avons rien en commun et nous nous retrouvons à taper dans nos mains, avec des cloches et un maillot rouge. C’est drôle, touchant, tellement absurde.
- Vous riez alors de vous-même?
- C’est un des rares moments où je ne me regarde pas et où je me laisse faire partie d’une foule. Je ne peux pas aller à Paléo ou à un grand concert, je déteste les masses. Mais s’il y a du sport, c’est bon.
- Et Federer?
- Depuis tout petit, j’arrête tout dès qu’il joue, même si je travaille. Je suis aussi fasciné par l’homme. C’est le sportif du XXIe siècle dans ce qu’il a de plus contrôlé. Aucune sincérité ne se dégage de lui. Wawrinka, tu le sens vrai, avec ses failles, ses énervements. Federer, rien ne dépasse. Même son box est bien rangé, c’est angoissant.
- S’en moquer fait donc du bien…
- On ne peut pas se moquer de Federer, il est intouchable. Il faudra peut-être attendre qu’il s’arrête. Il a ce truc de Michael Jordan à l’époque, ne jamais donner son avis ou diviser.
- Quel champion seriez-vous?
- Un Marc Rosset. Il me fait rire. Il commente, on ne l’entend plus pendant dix minutes, puis il explique qu’il est allé chercher à manger et qu’il a croisé Machin. Son côté péremptoire, j’adore. C’est ce que j’aime dans le sport.
- Comment le milieu sportif reçoit-il vos blagues?
- Pas toujours bien, il y a une logique de meute de vestiaires, d’appartenance. Même si un mec est nul, on ne lui tape pas dessus. La plupart des sportifs sont dans ce moule, ils plaisantent avec leurs potes puis redeviennent sérieux au-dehors. Donc quand un champion comme Julien Sprunger vient me serrer la main après un souper de soutien et rit de lui-même, cela fait du bien.
- Admirez-vous les sportifs?
- Devant eux, je suis de nouveau le gamin qui veut un autographe. Je les vois comme des personnages plus grands que nature. Devant Federer, je me liquéfierais. J’ai croisé Wawrinka une ou deux fois, j’étais tout penaud. J’ai vu tellement de matchs avec lui, j’ai tellement de respect. Après, je n’ai aucun problème à m’en moquer.
- Un joueur qui vous transporte?
- J’ai toujours été fasciné par le basketteur Stephen Curry. Je l’ai découvert dans une petite université de Caroline. Il faisait 20 kilos de moins et mettait déjà 35 points, de la folie. Je suis aussi fan de Dwyane Wade, rapide, charismatique.
- Et votre amitié avec Timea?
- Je l’ai connue à un repas du Lausanne-Sport. J’ai fait des blagues pas gentilles sur elle et j’ai aimé son autodérision. Puis elle est venue à un de mes spectacles. Comme elle était présente, j’ai plaisanté sur elle, elle a adoré, nous nous sommes vus après. Depuis, à chaque fois que je peux la suivre, j’y vais. Quand elle joue, la fascination revient, même si j’adore lui envoyer des bêtises pendant les matchs. Elle me répond ensuite, chez le physio. Nous parlons beaucoup tous les deux des phases dans lesquelles nous nous trouvons, par exemple si je n’arrive pas à écrire ou si elle n’arrive pas à gagner un match. Nous faisons des jobs bizarres.
- Vous projetez-vous dans dix ans?
- Non, les humoristes vieillissent mal. Comme les sportifs, j’avance saison par saison…
>> Voir la vidéo de l'interview croisée Wiesel/Vigneaux:
Interview croisée de Thomas Wiesel et Caroline Vigneaux
LA CHRONIQUE de Thomas Wiesel
Des tortellinis et des schubligs
A force de hanter stades et terrains, l’humoriste Thomas Wiesel a sa petite idée du monde du sport. L’autre jour, incognito mais le regard aiguisé, il était dans les tribunes de la Fed Cup, à Bienne…
Un de ces derniers week-ends, j’étais au match de Fed Cup entre la Suisse et l’Italie, à Bienne. Un moment qui a encore confirmé à quel point j’adore voir du sport en vrai. La programmation musicale digne des meilleurs DJ de bals de campagne, la gastronomie alémanique douteuse, la ramasseuse de balles avec son short remonté jusque sous les aisselles, la dame devant moi qui buvait de sa bouteille d’eau en se versant de petits shots dans le bouchon, chaque détail m’amuse et me fait rire.
Evidemment, il y avait des matchs sur le terrain. Avec le grand retour de Sara Errani après une suspension de dix mois pour dopage; la joueuse transalpine avait plaidé avoir ingéré une substance interdite car le médicament anti-cancer de sa maman s’était retrouvé dans le plat de tortellinis familial, une recette que n’aurait pas reniée le célèbre cuisinier italien Dr Ferrari. A mon avis, il devait y avoir aussi quelque chose dans les schubligs biennois, en tout cas je n’aurais pas aimé devoir passer un contrôle antidopage après en avoir mangé. Quant à Errani, nous ponctuions chacun de ses points gagnants d’un «Dis donc, elle a mangé quoi ce matin?» ou d’un «C’est les pasta de la Mama ça!» d’une délicieuse beaufitude.
On n’a pas pu faire cette blague souvent, tant elle évoluait loin du niveau qui lui avait valu sa cinquième place à la WTA. Au service, elle lançait la balle aussi bien que le programme spatial congolais lance les fusées, au point que ses «Scusi» et ses deuxièmes et troisièmes tentatives déclenchaient l’hilarité des gradins. Le tout pour frapper des services dont la vitesse n’aurait pas fait flasher les radars des autoroutes helvétiques. Elle tenait visiblement à montrer qu’elle n’était pas dopée, et c’était convaincant.
Autre style pour sa compatriote Camila Giorgi, qui frappait chaque coup comme si elle était dans la mafia et que la balle lui devait de l’argent et semblait considérer les lignes du terrain comme des suggestions théoriques.
Les belles performances des Suissesses, de Golubic qui a fait mentir nos méchants sarcasmes sur son allergie aux troisièmes sets à Bencic sur laquelle on n’osait pas trop déconner car son sulfureux paternel était dans les parages, en passant par la bonne humeur de Bacsinszky et Vögele dans un double disputé pour la forme.
Même si, comme la plupart des Romands, j’ai essayé et échoué dans la quête d’obtenir des billets pour la Laver Cup pour voir Roger jouer sur nos terres une dernière fois, ce week-end m’a rappelé qu’il n’y a pas que les événements sportifs qui coûtent deux mois de loyer qui sont susceptibles de provoquer des émotions fortes. Vive le sport en live, sous toutes ses formes!